6.

 

Actuellement : Gary était assis sur le sol de sa kitchenette, entouré de papillotes et de boîtes toutes vides. Il lécha l'intérieur d'un emballage qui avait contenu une barre de céréales, et lécha les dernières miettes. Il ne restait plus rien. 

Il était plus affamé que jamais.

Il sentait des ballonnements au niveau de son estomac. Il savait qu'il était rassasié, comme il ne l'avait jamais été de son vivant. Cela semblait ne faire aucune différence. Faire partie des morts signifiait être toujours affamé, manifestement. Cela impliquait d'avoir toujours cette faim qui vous tenaillait et que l'on ne pouvait jamais satisfaire. Cela expliquait tant de choses. II s'était demandé – dans son ancienne vie– pourquoi ils avaient attaqué des gens, même des personnes qu'ils connaissaient, des personnes qu'ils aimaient. Peut-être avaient-ils essayé de s'en empêcher. Mais la faim était trop grande, tout simplement. Le besoin de manger, de dévorer, était terrifiant et irrépressible. Était-ce à cela qu'il s'était condamné ?

Alors même qu'il se posait cette question, il se mit debout, et ses mains se tendirent vers les placards. Ses doigts étaient maladroits, désormais. Cela l'inquiétait. Avait-il endommagé trop gravement son système nerveux ? Ses doigts lui obéirent suffisamment pour ouvrir la porte.

Les placards étaient quasiment vides et il sentit un gouffre s'ouvrir en lui, un endroit désespérément sombre qui avait besoin d'être rempli. De la nourriture. Il avait besoin de nourriture.

Il avait cru en avoir fini avec les choses de la vie. Cela avait été le point important. L'ère de l'humanité était terminée et le temps de l'Homo mortis était arrivé. L'hôpital avait été livré au chaos, des patients à l'agonie se levant pour empoigner les policiers sains qui déchargeaient leurs armes dans les couloirs, et le courant électrique fluctuant follement. Il avait franchi la porte de la salle des urgences en poussant un chariot de linge rempli de matériel coûteux et personne n'avait essayé de l'arrêter. 

Sur l'étagère, il trouva une boîte de rigatoni et la prit. La cuisinière à gaz ne marchait pas. Comment allait-il les faire cuire ? Son ongle déchira néanmoins le rabat du carton. Prendre ses désirs pour des réalités.

Il n'y avait pas eu d'autre choix. Soit on les rejoignait, soit on les nourrissait… Et ils arrivaient continuellement : on pouvait courir et se cacher, mais ils étaient partout. Ils étaient de plus en plus nombreux chaque jour et il y avait de moins en moins d'endroits où se réfugier, quelques secteurs de la ville que la garde nationale protégeait étaient mis en quarantaine. Même lorsqu'ils avaient instauré le protocole approprié pour se débarrasser des morts. Le maire avait baissé les bras, disait-on. A l'évidence, il ne se montrait plus en public. La seule chose qu'on pouvait voir à la télévision, c'était des annonces régulières du CDC1 indiquant comment il fallait trépaner vos êtres chers. Des feux brûlaient partout au-delà des lignes de police. De la fumée et des cris. Comme le 11 septembre, mais dans tous les quartiers de la ville en même temps. 

Gary sortit une nouille de la boîte et la fourra entre ses lèvres. Il pouvait peut-être la sucer jusqu'à ce qu'elle devienne molle, pensa-t-il.

Ce ne serait peut-être pas si moche, avait-il pensé. On devait mourir de toute façon, alors mourir et revenir… Le plus affreux était de perdre son intellect, son intelligence. Tout le reste, il pouvait faire avec mais il ne supportait pas l'idée d'être un cadavre sans esprit arpentant la terre pour toujours. Mais cela ne se passait peut-être pas nécessairement ainsi. La stupidité des morts résultait de dommages cérébraux organiques – exact ? – provoqués par l'anoxie. Le moment critique survenait entre l'instant où l'on s'arrêtait de respirer et celui où l'on se réveillait de nouveau, c'était à ce moment que cela devait se produire, la rupture entre l'humain rationnel pensant et l'animal mort stupide. Si l'on parvenait à recevoir de l'oxygène en permanence, alimenté par un appareil à respiration artificielle, branché sur un appareil de dialyse pour faire circuler votre sang, qui amenait cet oxygène indispensable vers votre cerveau, ouais. Tous les appareils raccordés à une batterie si jamais le réseau électrique tombait en panne.

Ses dents mordirent avec force, son estomac peu disposé à attendre que la salive ait eu raison de la nouille. Il mâcha vigoureusement, brisant le rigatoni en fragments aussi durs et acérés que des petits couteaux. Il mit une autre nouille dans sa bouche. Et une autre.

Une fois, il avait observé un hélicoptère du gouvernement, le premier qu'il voyait depuis une semaine, s'écraser quelque part dans le parc avec le même bruit que celui provoqué par un accident de voiture. Pendant des heures il avait observé la fumée noire monter de cet endroit, la pointe des flammes orange qui dansaient au-dessus de la ligne d'horizon. Aucune équipe de secours n'était venue. Personne non plus pour éteindre le feu. Il avait alors su que le moment était arrivé. Un morceau de nouille s'enfonça profondément dans sa lèvre inférieure et lui transperça la peau.

Avec un tressaillement, il se rendit compte de ce qu'il faisait et cracha les fragments de nouille dans l'évier sec. Il explora avec ses doigts la partie interne de ses lèvres et sentit une centaine de petites lacérations. Il aurait pu se blesser grièvement, pourtant c'était à peine s'il avait senti quelque chose. La douleur avait été si lointaine, juste une faible lueur à l'horizon.

Il allait devenir dingue à rester cloîtré ici. Il avait besoin de sortir de son appartement. Il avait besoin de trouver davantage de nourriture. Une vraie nourriture.

De la viande.

Tome 1 - Zombie island
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