6.

 

Les commandes du drone Prédateur RQ-1A étaient relativement simples. Elles avaient été conçues pour le soldat moyen du XXIe siècle et étaient quasiment semblables à celles de la PlayStation de Sony. On se servait d'un stick pour ouvrir et fermer les gaz et d'un autre pour piloter le drone tandis que les systèmes de transmission étaient élaborés par une série de boutons servant à relever le train d'atterrissage, faire pivoter les caméras installées sur le nez, et ainsi de suite. Un jeu d'enfant, pensai-je. J'avais étudié le pilotage du drone autrefois, quand j'avais une vie et une carrière. Je me sentis confiant et attentif comme mon petit avion décollait de Governors Island et filait vers Manhattan. 

— Faites attention aux courants ascendants, me dit Kreutzer. Ils peuvent être une vraie chierie. 

Il avait le second siège dans la caravane exiguë et surchauffée. En tant que spécialiste des systèmes, il devait veiller à ce que les données avioniques et télémétriques arrivent clairement et de façon lisible. II avait en face de lui trois énormes moniteurs où il pouvait visualiser et manipuler son « produit ».

Le Standard Oil Building apparut sur ma droite et je fis un léger virage pour éviter sa flèche. Puis quelque chose alla de travers. Le Prédateur se retournait continuellement, l'extrémité de son aile droite se redressant chaque fois que j'essayais de l'abaisser. J'augmentai un peu les gaz pour essayer d'échapper à ce que je pensais être une légère turbulence et brusquement un mur de vent heurta le drone sur le nez, et l'aspira dans une descente en spirale très rapide que l'on pouvait appeler plus justement « une chute libre ». 

Le drone atteignit Broadway de biais et ricocha comme une pierre sur les toits de plusieurs voitures garées, pour s'arrêter finalement au milieu de Bowling Green en glissant sur le dos. La caméra nous montra une vue tremblante de la statue de Charging Bull et un ciel partiellement nuageux.

Le visage de Kreutzer arbora une expression de suffisance infinie tandis qu'il me montrait ce que j'avais fait de mal. Sur son écran, il afficha les dernières secondes du vol du Prédateur comme une projection de diapositives PowerPoint. Je vis la flèche du Standard Oil Building et la colonne d'air au-delà, où Morris Street rejoignait Broadway. Puis il agrandit au maximum la vision infrarouge de la même scène et me montra un faux remous d'air en couleur qui tournoyait follement à l'angle des deux rues, un cisaillement du vent produit par la différence de température entre les côtés ensoleillés et ombragés des buildings.

— OK. Leçon retenue, dis-je. 

Excité par le pilotage du Prédateur, je sentais mon cœur palpiter. Quand Jack entra pour voir ce qui se passait, je laissai Kreutzer lui expliquer. Je poussai brusquement un cri strident. Tous deux se retournèrent et me regardèrent d'un air étonné.

Un mort qui n'avait pas de peau sur le sommet de sa tête s'était approché pour examiner le Prédateur posé dans Bowling Green. Son nez inversé se fronça tandis qu'il reniflait les instruments d'optique de l'avion. J'étais si absorbé par le vol du drone que j'avais oublié qu'il se trouvait à un kilomètre environ de distance et que le cadavre animé ne pouvait pas m'atteindre à travers l'écran. 

J'éteignis ce dernier et frottai mes mains l'une contre l'autre.

— Allons en assembler un autre, dis-je. Je suis prêt à recommencer. 

Une heure plus tard, l'équipe d'Ayaan avait un Prédateur 2 prêt à décoller. Il avait une envergure de trente-cinq mètres et les instruments logés dans son nez ressemblaient à la tête de l'un des aliens que Sigourney Weaver avait coutume d'affronter dans les films. J'effectuai mon inspection avant le vol et branchai les systèmes d'optique. Je mis les gaz à fond– nous utilisions une piste d'envol plus courte que la dimension réglementaire – et fis s'élancer le Prédateur sur la pelouse, l'image sur mon écran cahotant tandis qu'il prenait de la vitesse. Juste au bon moment, je tirai en arrière le stick et l'avant se redressa. Le drone décolla vers le ciel et évita facilement le sommet de Ligget Hall. Je n'oubliai pas de rentrer le train d'atterrissage et nous partîmes.

J'amenai le drone à une vitesse de croisière et le laissai voler tout seul, me contentant la plupart du temps de l'incliner légèrement sur l'aile pour le faire survoler Castle Clinton à Battery Park. Je gardai mon altitude très basse, préférant la possibilité qu'un ou deux espions morts-vivants entendent l'hélice plutôt que de voler très haut et permettre à des millions d'eux de le voir. Cela signifiait slalomer entre les buildings, le Prédateur était conçu pour faire cela, même s'il était censé avoir un pilote très expérimenté aux commandes. Quand il arriva devant les murs de brique du bas de Manhattan, je le guidai vers un entonnoir étroit en haut de Battery où Bowling Green s'ouvrait sur le latge canyon de Broadway. 

— En douceur cette fois, n'essayez pas de le brusquer. 

Kreutzer se pencha sur moi et je sentis son haleine comme j'approchais du remous d'air qui avait fait s'abattre le premier drone. Cette fois, je lâchai les gaz au moment décisif et le Prédateur le traversa comme un bouchon de liège flottant sur une vague, filant à la lisière du cisaillement du vent au lieu d'essayer de le franchir de force. Je passais au-dessus des voitures abandonnées de Broadway quand le téléphone cellulaire Iridium se mit à gazouiller.

— Qu'est-ce que je fais ? demandai-je. Qu'est-ce que je fais ? 

Jack se précipita à l'intérieur de la caravane et mit en route un terminal de pilotage annexe. Il savait qu'une seule personne avait mon numéro de téléphone. Il prit les commandes du drone. Je me ruai au-dehors vers la lumière du soleil et l'herbe verte, et je pris l'appel.

— Vous m'espionnez maintenant ? demanda Gary. 

Je fus abasourdi.

— De quoi parlez-vous ? 

L'homme mort éclata de rire dans mon oreille.

— Je vois tout, Dekalb. Chaque cadavre animé dans Manhattan peut être mes yeux ou mes oreilles. Je suppose que c'est vous qui venez de faire tomber un avion sur mon île si parfaite. Vous avez des idées lumineuses, hein ? Vous projetez de venir ici et de délivrer les prisonniers. Cela ne marchera pas. 

J'essayai de bluffer.

— Nous cherchions uniquement les médicaments. Repérer les hôpitaux, trouver un moyen d'accomplir la mission d'origine. 

— Bien essayé. Mon cerveau est mort, pas endommagé. Vous voulez me tuer. Je sais que je ferais la même chose à votre place. Je représente une menace – une menace sérieuse – et vous voulez me neutraliser. À l'évidence, je ne désire pas cela. Je suis disposé à faire un marché. 

Je m'assis lourdement sur la pelouse.

— Répondez-moi. Les survivants… 

— Sont à moi maintenant, m'interrompit-il. L'heure n'est plus aux négociations. Ce que je vous offre, c'est un passage en toute sécurité. Je sais que vous avez eu des ennuis avec des pigeons l'autre jour. Ils sont partis à présent. Je vous laisserai entrer dans Manhattan juste assez longtemps pour vous permettre d'aller au bâtiment des Nations unies, de prendre vos pilules, et de repartir. Personne ne s'approchera de vous : je peux les retenir. Je peux vous protéger. Vous faites cela et ensuite vous retournez à votre bateau et vous partez d'ici pour toujours. Cela vous paraît faisable ? 

— Et si, néanmoins, nous tentons de récupérer les prisonniers ? 

— Alors vous découvrirez pourquoi un million de morts ne peuvent pas tous être mauvais. C'est ce que je vous propose, Dekalb, et rien d'autre. Vous prenez les médicaments et vous partez. Oh, une dernière chose. Ayaan. 

Je regardai la fille en question. Elle prenait la pose pour des photographies. Fathia avait trouvé un Polaroid dans l'un des baraquements et toutes voulaient un souvenir de leur visite de New York. Elle se tourna pour me regarder et sourit.

Gary ronronna dans mon oreille.

— Ayaan reste ici. Je veux découper sa peau en petits morceaux et les manger un par un. Je veux passer un moment délicieux avec ses viscères. Elle m'a tiré une balle dans la tête. Personne ne s'en tire impunément après cela. 

Je plaquai une main sur ma bouche pour retenir ce que j'avais envie de répondre. Putain de merde, il n'en est pas question, enfoiré. Puis j'attendis un moment et dis : 

 Il faut que je vous rappelle. Je tapai « Fin » et rangeai le téléphone. 

— Dekalb, dit Kreutzer depuis la porte de la caravane. Nous avons des images. 

Je le suivis à l'intérieur de l'espace confiné mal ventilé pour voir ce que Jack avait trouvé. 

Tome 1 - Zombie island
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