Nashville, 2
novembre
7 heures
Taylor s’éveilla en même temps que le soleil, ses pensées déjà mobilisées par l’enquête. Elle avait rêvé des morts durant la nuit, et les fantômes des adolescents, assis sur le bord de son lit, l’avaient regardée fixement.
Huit morts. Comment une petite poignée de gamins perturbés auraient-ils pu orchestrer un tel crime en un temps record ? Etait-ce possible ? Son instinct lui disait qu’il y avait quelqu’un d’autre, quelqu’un de plus âgé, de plus retors, qui dirigeait le jeu dans l’ombre. Barent, le roi des vampires ? Ou la soi-disant sorcière Ariane ?
Elle s’interrogea sur l’heure et la date des premiers enterrements.
La question suffit à la chasser hors de son lit. Elle prit une douche et enfila sa paire de boots Tony Lamas la plus confortable, un Levis et un col roulé noir pour se protéger du froid humide. Elle roula ses cheveux mouillés en chignon en prenant soin de ne pas oublier une seule mèche. Lavée des restes de cauchemar qui lui collaient encore à la peau, elle descendit se faire un thé.
Elle but l’Earl Grey parfumé à petites gorgées, les yeux rivés sur le jardin. Il pleuvait. Le son doux de la pluie qui rebondissait sur les feuilles du bouleau noir lui donnait envie de remonter se réfugier dans son lit et de tirer les couvertures sur sa tête. Elle versa des céréales dans un bol et mangea mécaniquement. Puis elle pela une banane, consciente qu’elle aurait besoin d’énergie pour affronter la journée.
Elle finissait de fixer sa plaque à sa ceinture lorsque le téléphone sonna.
C’était Baldwin.
Taylor répondit en souriant, heureuse d’entendre sa voix. Il lui donna des nouvelles de son audition en termes assez vagues. Elle sentait que quelque chose le tracassait. Le récit qu’elle lui fit de l’enquête sur les meurtres de Nashville l’aurait fasciné, en temps normal. Mais il paraissait inhabituellement distrait.
— Hé, qu’est-ce qui se passe ? Ça ne t’intéresse pas, les sorcières, les vampires et les rituels wiccans ?
— Bien sûr que si, Taylor. Mais il faut que je te dise quelque chose. Je viens de recevoir un appel de Caroline du Nord…
Fitz. Une vague d’angoisse lui broya la poitrine. Fitz lui manquait tellement. Sans lui, elle était privée d’une partie d’elle-même. Il avait toujours été la force tranquille, l’ancrage, l’oreille attentive. Il savait la maintenir centrée, stable. Elle aurait voulu tout envoyer balader, grimper dans sa voiture et rouler jusqu’en Caroline du Nord pour participer aux recherches. Mon Dieu, s’il lui était arrivé quelque chose…
Baldwin gardait le silence et une douleur atroce l’envahit. Son cœur battait trop vite sous l’afflux d’adrénaline, elle sentait physiquement sa tension monter en flèche et son estomac partir en eau. Son pouls résonnait dans ses oreilles et à l’arrière de sa gorge. Elle déglutit. Fort.
— Non, s’il te plaît, non. Ne me dis pas qu’ils ont trouvé son corps, supplia-t-elle d’une voix qu’elle ne reconnut pas comme la sienne.
— Je regrette tellement de ne pas pouvoir être auprès de toi, Taylor. Je sais à quel point c’est terrible pour toi. Ils n’ont pas trouvé son corps, ma chérie. Mais un camping-car abandonné, la semaine passée, dans un camping près d’Asheville. Ils essaient de retrouver le contrat de location.
Elle parla entre ses dents serrées.
— Qu’est-ce qu’ils ont découvert exactement, Baldwin ? Dis-moi la vérité.
— Il y avait un message. Qui t’est adressé. Juste quelques mots : Ayin tahat ayin.
— Ce qui signifie ?
— C’est de l’hébreu. Ça veut dire « œil pour œil ».
— Œil pour œil ? Tu crois que c’est le Prétendant ?
— C’est signé de son nom, oui.
— Oh, non… A quel jeu à la con joue-t-il, cette fois ?
— Je ne sais pas.
Baldwin se tut de nouveau et Taylor l’entendit avaler sa salive. Elle suivit son exemple pour dénouer sa gorge serrée et faire redescendre la bile.
Elle sentit un calme désincarné tomber sur elle. Une sorte d’anesthésie incrédule qui l’emplissait toujours à l’annonce imminente d’une catastrophe.
— Qu’y a-t-il eu d’autre, Baldwin ? Qu’est-ce que tu hésites tant à me dire ? Il y avait quelque chose dans ce camping-car, n’est-ce pas ?
— Mon amour, c’est… Ils ont trouvé un œil, Taylor. Ils ont trouvé ce qu’ils pensent être l’œil de Fitz.