Nashville
14 h 30
Taylor et McKenzie se présentèrent à l’adresse de Fane Atilio. Bob Parks les avait suivis et une autre voiture de patrouille était en route. Taylor ne prévoyait pas de résistances insurmontables de la part d’une fille de quinze ans. Mais le petit ami pouvait se trouver présent… Restait à déterminer sur quels éléments elle s’appuyait pour venir sonner à la porte de cette fille. Les impressions subjectives d’Ariane face à un couple d’ados entrevus dans une rave ? La vidéo ? Son propre instinct, qui lui disait que l’affaire ne s’arrêtait pas à Juri Edvin ?
Jusqu’à présent, tous les ados à qui elle avait parlé correspondaient aux clichés en vigueur. D’un côté, les « bons » jeunes : sportifs, performants, motivés, ils se montraient coopératifs et d’un abord agréable. Ils mentaient sans doute comme des arracheurs de dents pour se couvrir, mais ils avaient au moins le mérite de le faire avec politesse. La « mauvaise graine » était tout aussi conforme à sa réputation. Juri et Susan étaient hostiles, haineux, agressifs, et résistaient bec et ongles.
Theo Howell se distinguait du lot : mature, responsable, il s’était imposé comme meneur pour protéger ses camarades. Il était attendu à midi au CJC, dans leurs bureaux. Les parents de Theo étaient de retour, lui avait appris McKenzie, et ils accompagneraient leur fils pour l’occasion. Taylor se demanda ce que Theo avait à cacher. Même en tenant compte du facteur d’autopréservation, il s’était montré extrêmement affable. Etait-il aussi franc et ouvert qu’il en donnait l’impression ? Ou dissimulait-il un aspect plus sombre ? Le spectre silencieux de la vérité attendant de se montrer au grand jour ?
Elle repoussa cette interrogation pour le moment. La maison des Atilio paraissait déserte. La brique fauve de la construction d’un étage jurait avec les volets bleu pastel. Taylor descendit de voiture et examina la façade. Arrivaient-ils au but ? Cette fille détenait-elle la clé qui leur manquait ?
Elle gravit les cinq marches du perron, sonna puis fit un pas de côté. A son signal, Parks et McKenzie vinrent l’encadrer.
Un bruit de pas légers se fit entendre. Elle effleura son Glock et défit la patte de sécurité du holster, pour le cas où elle aurait à dégainer rapidement. La porte s’ouvrit tout grand. Une voix sensuelle vint leur caresser les oreilles.
— Mais pourquoi tu ne t’es pas servi de ta clé, idiot ?
Une adolescente surgit sur le seuil, ébouriffée, à demi vêtue d’un bustier et d’un jupon froissés. Longs cheveux noirs. Yeux verts. C’était elle.
— Mais vous êtes qui, vous ? s’écria la fille avec une telle expression d’horreur que Taylor faillit éclater de rire.
Elle se mordit la lèvre pour se contenir.
— Fane Atilio ?
La fille se redressa de toute sa taille, ses yeux à la hauteur des siens.
— Qu’est-ce que ça peut vous faire ? Que voulez-vous ?
— Lieutenant Jackson, de la brigade des homicides. Je…
Elle ne put terminer sa phrase. Le visage déformé par la panique, la fille tenta de lui claquer la porte au nez. Taylor eut tout juste le temps d’avancer la pointe de sa botte. Bon réflexe, mais il y aurait un prix à payer. Le bleu sur son coup de pied lui durerait bien un mois.
— Aïe ! cria-t-elle en poussant le battant d’un coup d’épaule… Halte, Fane ! Viens ici. Immédiatement !
L’adolescente, naturellement, détala de plus belle. Fane se rua dans l’escalier, ses longues jambes de faon se mouvant avec grâce. Taylor la suivit et entendit une porte claquer juste au moment où elle arrivait sur le palier. Elle tourna la poignée, qui résista.
— Sors de ta chambre, Fane ! hurla-t-elle.
Aucun son ne lui parvint de l’intérieur. Parks et McKenzie la rejoignirent après avoir vérifié qu’il n’y avait personne au rez-de-chaussée. Taylor éleva de nouveau la voix.
— Fane, tu as trois secondes pour m’ouvrir avant que je ne force la porte. Trois, deux, un…
Rien. Reculant d’un pas, Taylor fracassa le battant d’un coup de pied. La porte rebondit contre le mur et faillit se refermer de nouveau. Taylor la poussa avec la main et entra, son Glock braqué droit devant elle.
Fane avait glissé une jambe hors de la fenêtre et tenait une branche d’arbre, calculant sa chute. Taylor rengaina son arme, traversa la pièce en deux enjambées et attrapa la fille par le poignet.
— Arrête ça. Redescends tout de suite.
Elle tira l’adolescente, la portant presque pour l’écarter de la fenêtre. Fane s’effondra sur le sol, le visage détourné, et émit un long gémissement de désespoir. Taylor la poussa de la pointe du pied
— Habille-toi. Nous allons parler.
Fane souleva la tête et la toisa de toute la hauteur de son regard vert fardé de noir.
— Je n’ai rien à vous dire.
— Ah, vraiment ? C’est là que tu te trompes, petite fille. Je crois que tu en as plus à nous raconter que tu ne peux toi-même l’imaginer.