Nashville
12 h 30
La salle de conférences était aménagée exactement comme Taylor l’aimait : avec des paperboards couverts d’informations et des photos des victimes accrochées au-dessus, ce qui permettait de rajouter et de compléter les informations sur la victimologie. Un tableau séparé était réservé à l’auteur du crime et ce qu’on savait de lui. Taylor se dirigea vers celui-là, déroula les deux dessins exécutés par Ariane et les punaisa dessus.
— Qui est-ce ? demanda Marcus.
— C’est Ariane qui a représenté les deux jeunes qu’elle suspecte d’être à l’origine des crimes. Elle les a vus la nuit d’Halloween. Les voici avec et sans maquillage. Elle n’a pas reconnu Thorn, mais elle a tout de suite repéré Susan Norwood en photo, en revanche. Je veux qu’on nous ramène Susan ici. Elle est mêlée aux crimes et au trafic de drogue.
Marcus se leva.
— Je m’en occupe tout de suite.
Lincoln s’était mis à pianoter avec frénésie sur son clavier. Elle l’entendit émettre un sifflement prolongé. Puis il se leva et se planta devant le dessin d’Ariane. Il retourna à son ordinateur, actionna quelques touches.
— Viens voir là, Taylor. J’ai quelque chose d’intéressant.
Elle se pencha par-dessus son épaule puissante pour regarder l’écran. Il avait ouvert un site de partage de vidéos.
— Ne me dis pas qu’il s’agit encore de ce foutu film.
— Non. Mais c’est un téléchargement qui provient de la même source.
Il cliqua sur « play » et un vacarme atroce s’éleva de l’ordinateur : les dissonances caractéristiques de la musique industrielle en contrepoint d’une sorte de fond mélodique. Des cris retentirent ; des voix rauques articulaient des mots inaudibles. Un sous-titre s’afficha : « Tutoriel de maquillage gothique ». Pendant quelques secondes, le noir se fit à l’écran, puis le visage d’une très jeune fille monopolisa le champ. Elle était jolie, avec des pommettes hautes et des yeux d’un vert éblouissant. Taylor sut aussitôt qu’il s’agissait de lentilles colorées. Baldwin avait des yeux naturellement vert clair, avec autant d’éclat mais bien plus beaux. La vitesse de défilement des images augmenta. On voyait la fille se passer un fond de teint nacré, appliquer du blush, se dessiner les sourcils au crayon avant de s’attaquer aux yeux.
Les cercles noirs s’élargissaient, tracés d’une main rompue à la pratique. Elle avait dessiné un premier cercle sur le contour de l’œil, puis elle l’épaississait petit à petit, ajoutant ensuite plusieurs couches de mascara jusqu’à ce que le vert émeraude se détache sur le visage, à la pâleur surréelle au point de faire oublier le reste. La fille passa ensuite à la bouche, dont elle dessina d’abord le contour avant d’en maquiller l’intérieur. Un fin trait blanc apparut au-dessus de la courbure en arc des lèvres. Elle termina en revenant aux yeux qu’elle orna d’élégantes volutes noires, parfaitement symétriques, qui descendaient sur les joues.
« Terminé ! » proclama le dernier sous-titre. Puis il y eut de nouveau un gros plan de la fille, avec un rapide avant-après. Lorsqu’elle sourit, ses dents étincelèrent, blanches sur le fond noir des lèvres, avec deux longs crocs à la place des bicuspides. Taylor songea aux bouches béantes dans la chambre à coucher de Barent. La vidéo prit fin et le tapage métallique de la musique de fond cessa.
— Alors ? Qu’est-ce que tu en penses ? demanda Lincoln.
Taylor lui sourit et alla détacher les dessins d’Ariane.
— C’est la même, n’est-ce pas ?
— Ça en a tout l’air, en tout cas.
— S’il te plaît, dis-moi qu’il y a un prénom attaché à cette vidéo.
— Ta prière est exaucée, lieutenant. Le générique indique : « interprété par la grande prêtresse Fane dans son propre rôle ».
— Fane, Fane… Où ai-je déjà entendu ce prénom ? marmonna McKenzie.
Taylor courut prendre la chemise cartonnée avec la liste d’élèves du lycée Hillsboro. Elle la brandit en triomphe.
— Là ! Elle fait partie du groupe des goths, je crois !
Taylor ouvrit le dossier, parcourut la liste des noms.
— Ah, voilà ! Fane Atilio. Elle est en première. Traîne avec les goths, en effet. Excellente élève. Très douée en anglais et en histoire.
— On lui connaît un petit ami ?
— Ce n’est pas mentionné dans sa fiche. Il n’y a pas grand-chose comme info, en fait. C’est le genre d’élève qui se fait peu remarquer en classe. Elle n’a jamais eu d’heures de colle, pas l’ombre d’un problème de discipline.
— On a son adresse ? demanda McKenzie.
— Oui, elle figure dans son dossier. Ça vous dit de faire un petit tour en voiture, les gars ? Je prévois des renforts, au cas où. Avec un peu de chance, on la trouvera chez elle.
— La chance, je sens qu’on l’a avec nous, lieutenant. C’est parti !