Minuit
Ariane soupira en jetant un coup d’œil au véhicule de police stationné devant chez elle. Au moins avait-elle eu l’autorisation de rentrer à la maison. Elle avait bien cru un instant que le lieutenant Jackson la placerait en garde à vue pour la nuit. Mais elle avait simplement été reconduite à son domicile, avec instruction de n’en bouger que si on lui en donnait l’ordre. Aucun problème en ce qui la concernait. Elle avait largement de quoi s’occuper sur place.
Elle éteignit les lumières électriques et prit un long bain purifiant à la bougie. Tout en se frottant avec des herbes aromatiques, elle ouvrit son esprit, entra dans un état d’acceptation profonde. Une fois ces préparatifs accomplis, elle passa dans sa salle de pratique, fit un feu, alluma des bougies dans les couleurs adéquates, ouvrit son Livre des Ombres et s’agenouilla devant l’autel.
— Sois-moi fidèle comme je te suis fidèle. Honore ce que j’ai créé comme je t’honore. Déesse, entends mes prières. Qu’à nul mal ne soit fait. Ainsi soit-il.
Elle se tut un moment, se laissa pénétrer par le sens des mots. Sa divinité, Diana, la déesse de la lune, se manifesta de façon insistante. Elle entendit son message, et la puissante vibration énergétique la secoua si violemment qu’elle poussa un petit cri.
Bien des années plus tôt, dans sa pratique, elle avait compris qu’elle était élue lorsque Diana s’était révélée à elle au cours d’un sortilège de divination. Dès l’instant où son chemin lui était apparu, elle avait gagné en puissance et s’était élevée à la dignité de Grande Prêtresse de son coven.
Mais la pratique solitaire lui convenait mieux que les rituels en groupe. Elle aimait enseigner et continuait de tenir son blog, avec des milliers de lecteurs quotidiens. Mais elle avait pris ses distances avec les questions de pouvoir et ne faisait plus partie des gouvernants de leur communauté. Ce qui s’était passé ces deux derniers jours, en revanche, était grave. Très grave. Alors que les autres pratiquants se contentaient de prier et d’échanger des informations plus ou moins fiables, elle se sentait appelée à agir. Quitte à coopérer avec la police.
Si étonnant que cela puisse paraître, elle était fascinée par Taylor Jackson. Cette femme n’imaginait même pas à quel point elle était dominante. Dommage qu’elle ne puisse pas passer plus de temps avec elle pour essayer de vaincre son scepticisme. C’était sans grand espoir, cela dit. Le lieutenant Jackson était quelqu’un de profondément empirique. D’une solidité à toute épreuve, avec un sens très fort de la justice. Même confrontée à des preuves de l’existence de l’autre monde, elle trouverait une explication rationnelle.
Ariane alluma une nouvelle bougie, fixa la flamme et laissa monter une image mentale de Taylor Jackson. Les yeux étaient le trait dominant. Elle avait le regard d’Athéna, gris comme un après-midi d’orage, avec des nuages roulant dans un ciel de tourmente. L’œil droit était plus sombre que le gauche et la différence s’était accusée lorsqu’elle s’était mise en colère. Son nez était légèrement décalé, sa bouche assez grande et mobile. Derrière la frange de cils noirs épais, se cachaient des pouvoirs dont Taylor ignorait être dotée. Elle était juste mais ne portait pas de jugements, sceptique mais ouverte. Des qualités rares dans la population, et quasiment inimaginables chez un flic.
Ariane sourit lorsque son chat, attiré par la montée du niveau d’énergie, entra dans la pièce pour venir se frotter à ses jambes. Elle prit l’animal dans ses bras, le cajola un moment, museau contre museau, puis souffla sa bougie. Elle avait invité son subconscient à s’exprimer durant la nuit et se laisserait guider par ce que ses rêves lui dicteraient. Elle avait distinctement senti la peur, cet après-midi, et elle redoutait les conséquences.
Mais malgré tout, elle devait essayer.
Il le fallait.