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Quantico, 2 novembre

Baldwin fit un énorme effort pour empêcher sa voix de trembler.

— Les agents Geroux et Sparrow sont morts sur le coup. Butler est décédé à l’hôpital pendant l’intervention chirurgicale. Et Gretchen, donc, a survécu.

— Vous vous êtes mis en congé prolongé après la fusillade, c’est ça ?

— En effet, oui. Je me sentais… responsable. Responsable de leur décès. Si j’avais pensé au passage souterrain plus tôt, leurs vies auraient sans doute été épargnées.

— Et les éléments de preuves incriminant Harold Arlen ?

Baldwin fit un nouvel effort méritoire. Pour ne pas grimacer, cette fois. Ils touchaient au point névralgique. Ce qu’il dirait maintenant pouvait faire basculer son avenir et celui de son équipe. Et compromettre sa vie commune avec Taylor. Il déglutit péniblement.

— Je crois que les preuves biologiques trouvées dans l’armoire d’Arlen ont été introduites par Charlotte Douglas.

Des murmures s’élevèrent parmi les membres de la commission. Reever lui pinça la jambe sous la table.

— Les notes qu’elle a laissées sont très claires, pourtant. Elle était avec vous la nuit qui a précédé la fusillade. Vous avez fait l’amour. Et vous lui avez confié que vous aviez trouvé la solution pour coffrer Arlen. Que vous aviez subtilisé une petite fiole de sang au laboratoire de police scientifique, que vous l’avez versée sur une chaussette que vous avez discrètement déposée chez Arlen. Niez-vous ces allégations ?

— Absolument, oui. Je les récuse. Ce qui ne m’empêche pas de me sentir en tort. Mes actions ont été la cause de la mort de trois agents et je ne me le pardonnerai jamais. Comme je vous l’expliquais tout à l’heure, Charlotte Douglas m’avait parlé de ses intentions. J’aurais dû la dénoncer sur-le-champ et je ne l’ai pas fait.

Il prit une inspiration profonde.

— Messieurs, je n’avais pas imaginé un instant qu’elle braverait mes ordres et mettrait son projet à exécution.

— C’est votre parole contre la sienne, docteur Baldwin. Si vous aviez donné l’alerte sur le statut douteux de la preuve, la petite fille suivante aurait peut-être eu la vie sauve. Quant à votre profileuse que vous chargez de tous les maux, elle n’est plus là pour se défendre.

Cette fois, ils arrivaient au cœur du drame. La vérité, c’est qu’ils n’y avaient tous vu que du feu, à l’époque. L’affaire avait été plus complexe, plus tortueuse encore qu’ils ne l’avaient tous pensé. Il respira profondément.

— Je n’avais aucun moyen de savoir, messieurs, que Kilmeade était le complice et partenaire d’Arlen. Lorsque j’ai appris que Kilmeade avait autorisé Arlen à se lier d’amitié avec sa propre fille, j’ai pensé que la relation entre les deux hommes était malsaine. Mais de là à imaginer que deux assassins pédophiles aient collaboré… A l’époque, l’idée paraissait absurde. En apparence, Kilmeade se contentait d’enlever les fillettes pour les procurer à son ami. Mais Kilmeade a enchaîné sur un nouveau meurtre après la mort d’Arlen. A l’évidence, c’était lui, l’élément dominant du duo, ce que personne n’avait saisi. Le passage secret entre leurs deux maisons était la clé de l’énigme. Ils introduisaient et évacuaient les petites victimes par ce biais, avec un accès direct au parc de Great Falls. Si nous l’avions compris plus tôt… Si inadmissible que ça puisse paraître, messieurs, aucun d’entre nous n’a compris de quoi il retournait. Nous étions nombreux à enquêter sur l’affaire. Malheureusement, j’ai été distrait par le problème avec Charlotte. Ajoutez à ça la mort violente de trois de mes équipiers, et vous comprendrez que je n’avais pas la tête très claire. Ce n’est pas une excuse, mais c’est la vérité.

— Si vous aviez pensé un tant soit peu clairement, en effet, vous auriez informé vos supérieurs des intentions de Charlotte Douglas. Et elle aurait été poursuivie en justice. Et vous avec, pour l’avoir autorisée à violer l’honneur et le règlement du Bureau. Je ne sais pas ce qui est pire, docteur Baldwin : vos mensonges pour couvrir les manœuvres de Charlotte Douglas ou vos mensonges pour couvrir vos fesses.

Reever s’éclaircit la voix.

— Cette attaque était-elle bien nécessaire ? Le Dr Baldwin a été direct, sincère, et ne vous a rien caché. Il a répondu avec un souci d’exactitude et de vérité à toutes vos questions. Et si je puis me permettre : il n’est pas loin de minuit. Je suggère que nous ajournions la séance.

— Pas encore, non. Nous sommes tous d’accord ici pour penser que les actions du Dr Baldwin constituent une faute grave. Et les répercussions seront sérieuses. Il nous faut maintenant discuter entre nous pour décider de la sanction. Vous pouvez attendre dans le couloir pendant les délibérations.

*  *  *

Reever et lui venaient de passer une heure assis côte à côte dans un silence relativement amical lorsque son portable sonna. Surpris, Baldwin tressaillit. C’était Garrett. Ce qui ne lui parut pas être un bon signe. Il répondit au regard interrogateur de Reever par un haussement d’épaules, et prit la communication.

— Ils sont encore en délibération ? demanda Garrett.

— Toujours, oui. Tu sais quelque chose ?

— Pas encore.

— Cela fait une heure que ça dure. Franchement, je me demande ce qu’ils veulent de plus. Je leur ai dit tout ce qu’ils voulaient savoir.

— Toute la vérité ?

— Toute celle qu’ils avaient besoin de connaître.

— Alors, ça devrait être O.K. Tu as déjà payé le prix fort. Rien de ce qu’ils peuvent t’infliger ne sera pire que l’enfer que tu t’es fait traverser.

Garrett n’avait pas tort. Il n’avait pas su reprendre sa vie en main, après les révélations de Charlotte et la fusillade qui avait décimé son équipe. Au lieu de faire face, il avait demandé un congé sans solde, s’était réfugié dans le Tennessee et avait passé les six mois suivants dans un état semi-comateux sur son canapé. L’alcool avait été son ami, durant cette période, une échappée quotidienne hors de l’enfer de la culpabilité. Il avait fallu que Garrett l’épaule, le rassure pendant des mois, puis que Taylor entre dans sa vie pour qu’il sorte péniblement de sa dépression.

La porte de la salle d’audience s’ouvrit. Reever se leva et lui prit le bras.

— Garrett, ils ont fini de délibérer.

— O.K. Accroche-toi.

Il rangea son téléphone, redressa les épaules et se prépara à entendre sa sentence.