Ils assistèrent à la suite de la projection dans un silence horrifié. Trois fois, le même scénario fut réitéré : le vampire arrivait sur le lieu du crime et découpait la chair des morts. C’était chaque fois la même silhouette filiforme et dansante, les mêmes crocs, les mêmes lèvres dégoulinantes de sang. Encore et encore. Si Taylor était capable d’identifier les corps, c’était uniquement parce qu’elle avait été présente sur chacune des scènes de crime. La personne qui tenait la caméra avait pris soin de ne jamais filmer les visages.
Ils scrutèrent attentivement la séquence à répétition, cherchant à repérer un détail qui pourrait trahir l’identité du tueur. Le montage était particulièrement réussi, avec des plans de coupe d’un noir profond insérés au moment précis où le personnage principal aurait pu devenir identifiable. Du meurtrier, on ne montrait quasiment rien, en fait, hormis la bouche grimaçante et la main drapée de noir qui brandissait le couteau sacrificiel.
A plusieurs reprises, Taylor demanda à Daphne de revenir en arrière. A priori, l’acte de lécher la blessure était rigoureusement identique à chaque reprise. Mais elle ignorait ce que cela pouvait vouloir dire. Le tueur avait-il juste lapé le sang de Jerrold King ? Ou celui de toutes les victimes ? Elle mit cette question en réserve dans un coin de sa mémoire.
Le grand changement survint avec l’entrée dans la chambre de Brandon Scott, surpris par le tueur alors qu’il était en train de se changer pour sortir faire un jogging. On voyait son visage effaré se tourner vers la caméra. A plusieurs reprises, il hurla « Non, non, non ! » Puis l’attaque se déchaîna sur lui. Le chat à neuf queues mordit et lacéra sa chair, ses cris de colère et d’indignation se muant peu en peu en supplications stridentes. La séquence s’acheva sur un fondu au noir pendant que les cris ponctuant l’agonie de Brandon Scott s’évanouissaient dans un silence définitif. Le film s’achevait là. L’agression de Brittany Carson ne figurait pas dans le « documentaire ».
Les quatre spectateurs restèrent quelques instants sous le choc des sons et des images. Taylor fut la première à se ressaisir.
— Bon… Il faut immédiatement retirer cette vidéo de la circulation. Lincoln saura comment procéder. Combien de personnes l’ont visionnée, jusqu’à présent ?
Daphne se pencha pour regarder le compteur.
— Il circule à une vitesse virale. Depuis tard hier soir, nous avons déjà cinq cent mille visiteurs.
McKenzie jeta un coup d’œil sur la page à l’écran.
— Il y a moyen de savoir qui l’a posté ?
— C’est ce que j’essayais de découvrir avant votre arrivée. Mais le nom de l’utilisateur est composé d’une suite arbitraire de chiffres et des lettres, sans aucune indication personnelle. C’est la première vidéo qui a été postée sous cette identité. Le site qui l’héberge doit pouvoir nous donner plus d’informations.
— Lieutenant ?
Greenleaf était resté assis, le visage livide.
— Oui ?
— Est-ce que… je veux dire, est-il possible que…
Il rejeta bruyamment l’air qu’il avait inhalé.
— Est-ce que ces images étaient réelles ?
Taylor prit soudain conscience de l’endroit où elle se trouvait : dans la salle de conférences d’un quotidien diffusé dans tout l’Etat du Tennessee, propriété d’un empire des médias d’envergure nationale. Sachant que cet événement hallucinant ferait les gros titres plusieurs jours d’affilée. Un scoop tel que celui-là pouvait être exploité dans la presse pendant plusieurs semaines.
— Je ne peux pas l’affirmer avec certitude, répondit-elle prudemment. Il semble qu’il y ait des éléments de réalité, en tout cas. Mais David, ne publiez pas cette lettre. S’il vous plaît.
The Tennessean avait un solide réseau d’abonnés en ligne et des bulletins d’actualisation étaient envoyés régulièrement sur des ordinateurs, des téléphones et des PDA un peu partout dans Nashville. Un ralliement comme celui-ci renforcerait la circulation de la vidéo de façon exponentielle. Cela dit, une pareille multiplication ferait peut-être exploser le serveur, ce qui leur faciliterait la tâche.
Greenleaf évita son regard mais il hocha la tête. Avec un peu de chance, cela signifiait qu’il garderait la lettre de côté, au moins jusqu’à ce qu’ils parviennent à bloquer la vidéo.
— Merci à vous deux, en tout cas.
Taylor prit congé de Daphne. En serrant la main de Greenleaf, elle vit qu’il était en nage. Ce n’était pas elle qui lui jetterait la pierre — n’importe qui en aurait été malade. Elle-même avait l’estomac en vrac et le cœur au bord des lèvres. Car elle le savait sans l’ombre d’un doute : la vidéo n’était pas une fiction.
Taylor et McKenzie emportèrent les bandes de vidéosurveillance avec eux en repartant pour le CJC. Tim Davis avait mis la lettre sous scellés et leur apporterait une copie du courrier en même temps que ses premiers résultats d’analyse. Avant de démarrer, Taylor appela Lincoln pour l’informer qu’une vidéo des meurtres circulait à toute allure sur internet. Il lui promit de s’en occuper sur-le-champ.
Les jambes encore un peu flageolantes, elle se glissa au volant et se tourna vers McKenzie qui, le visage plutôt placide, enclenchait sa ceinture de sécurité.
— C’est incroyable, non ? C’est bien la première fois que je tombe sur un meurtre avec vidéo d’accompagnement. Tu as déjà vu ça, toi ?
Il hocha la tête.
— Oui, malheureusement. Un type à Orlando qui faisait des snuff movies dans son sous-sol.
— Un film porno qui se termine par un vrai meurtre, c’est ça ?
— Plus vrai que vrai, oui. Il a eu le temps de tuer trois filles avant que le shérif du comté d’Orange ne finisse par mettre la main sur lui. Mais ses films étaient vendus au marché noir, par le biais de sex-clubs fétichistes. Et pas balancés sur les ondes sur des sites tout public. Et je n’avais pas vu non plus la victime sur la scène de crime avant de visionner le film. Quoi qu’il en soit, il y a des précédents. On vit dans un drôle de monde.
McKenzie avait retranscrit les symboles inscrits sur la lettre et les scrutait d’un air concentré.
— Tu vas finir par faire un trou dans le papier, à force de les regarder comme ça. Tu sais ce qu’ils signifient ?
— Pas précisément, non. Ils sont censés être occultes et païens. De ça, au moins, je suis sûr.
— Ils vont avec les pentacles, alors ?
— Sans doute, oui. Même si le pentacle n’a rien de maléfique. C’est ce qui me surprend, en fait. Le pentacle est un symbole de protection. Il représente la continuité de la vie, les cycles des saisons, les liens qui unissent les différentes parties de l’univers. Il n’est pas censé provoquer la peur. Ce symbole est interprété de façon déformée.
Taylor lui jeta un regard en coin.
— Comment sais-tu tout ça, McKenzie ?
Il garda le silence un instant, puis soupira bruyamment.
— Bon, ça va te paraître ridicule, d’accord ?
— D’accord.
— Je faisais plus ou moins partie de cette mouvance quand j’étais en seconde et en première.
— Tu étais goth ?
— Oui, enfin, plus ou moins. Je me suis mis là-dedans pour éviter de me pencher sur ma sexualité. Ça a été un super-dérivatif. Et j’étais avec plein d’autres, tous aussi perturbés que moi à leur façon. J’ai participé à des rituels et des incantations, et je me suis fait toute une éducation au passage.
— Renn McKenzie, tu ne cesseras jamais de me surprendre. Donc, tu seras notre expert à demeure sur la question occulte ?
— Si tu veux. Mais on n’est peut-être pas obligés d’en parler à tout le monde, si ? Ça fait un peu benêt, je trouve.
— On verra si tu te sens toujours aussi benêt, lorsque tu auras élucidé sept affaires de meurtre en trois coups de cuillère à pot. Explique-moi un peu ce qui se passe dans cette vidéo. Tu dis que les pentacles protègent, mais qui ? Pas les victimes, en tout cas. Sont-ils censés protéger le tueur ?
— C’est plus compliqué que ça. Les crocs de vampire sont réels, entre parenthèses. Le « personnage » du film s’est fait effiler les canines. Elles sont rallongées ensuite avec des résines. Certains dentistes acceptent de le faire. Nous pouvons apporter une photo de la bouche de notre tueur aux dentistes cosméticiens du secteur pour voir si l’un d’eux reconnaît son œuvre. Nous avons affaire à quelqu’un qui se prend réellement pour un vampire. La plupart d’entre eux se contentent des jeux de rôles. Le vampire sanguin est très rare. Si tu combines ça avec les symboles, ça donne clairement quelqu’un qui s’essaie à plusieurs pratiques, qui tâtonne dans sa recherche spirituelle.
— Qu’appelles-tu un vampire sanguin ?
— Ceux qui boivent du sang. D’autres se nourrissent simplement d’énergie.
Taylor laissa libre cours à ses sarcasmes.
— Je rêve… Ainsi, il s’agirait d’un meurtre religieux exécuté par un vampire pompeur de sang ?
— Religieux, non. Je n’ai pas l’impression que nous ayons affaire à un croyant désireux de punir le monde de ses péchés. Pour moi, c’est plutôt quelqu’un qui est en pleine quête de quelque chose… Le pouvoir, la vérité, que sais-je ? Les symboles sur la lettre sont très anciens. Quelques-uns sont simples : le pentacle, de nouveau, la lune et le soleil représentent les cycles saisonniers de la terre. Et puis, on a la croix et la foudre. Les triangles inversés et le cercle avec la croix à l’intérieur ont peut-être une autre signification. A moins que ce ne soient des dessins improvisés destinés à imiter les symboles païens. Ils ne signifient peut-être rien du tout pour le tueur. Il a pu les mettre là simplement pour se rendre intéressant. On ne sait jamais.
— Si ces symboles ne sont pas destinés à présager le Mal, pourquoi ce vampire auto-désigné envoie-t-il des lettres avec ces faux signes cabalistiques ? Et pourquoi dit-il « nous » ?
— Il doit s’agir d’un petit groupe, probablement. Ce qu’on appelle un « coven ». Si tu veux bien me déposer à la bibliothèque, je pourrais trouver le sens des symboles plus rapidement.
Elle démarra et enfila l’avenue Broadway.
— Si tu veux. Mais pourquoi ne pas chercher sur internet ?
— Je pourrais, oui. Mais j’ai ma petite idée. As-tu entendu parler des Strega ?
— Jamais, non.
— La Stregheria, c’est la « vieille religion » italienne, fondée sur le culte de la terre, profondément païenne, sans doute une des religions polythéistes les plus anciennes qui soient encore pratiquées de nos jours. La nature est la vie. Et la magick — qui s’épelle « m-a-g-i-c-k » — est basée sur la connaissance des lois naturelles. Les Streghe cherchent à agir sur la terre à travers leurs rituels et leurs incantations. C’est une quête positive. Ces sorciers ne glorifient pas Satan ou les forces du Mal. Il n’y a pas de sacrifices d’animaux aux anges des ténèbres. Plus maintenant. Ou en tout cas, pas publiquement.
Elle lui jeta un regard en coin et vit qu’il plaisantait. Ou qu’il essayait. Mais ils étaient trop secoués l’un et l’autre pour que son humour fonctionne. McKenzie poursuivit, le regard tourné vers la vitre.
— Les symboles sur la lettre me font penser à ceux de la Stregheria. Nous sommes dans le culte de la mythologie, là ; des sociétés polythéistes. La Terre, la Lune, les étoiles sont représentées par des dieux et des déesses.
— Laisse-moi deviner : tu parles aussi le sorcier ?
Il tourna brièvement la tête de son côté, vit qu’elle le chambrait à son tour.
— Très drôle. Tu n’as jamais eu de cours sur la mythologie à la fac ?
— J’ai dû en faire un peu, contrainte et forcée, pour valider ma licence. Mais tout ce dont je me souviens, c’est de Zeus et de son foudre. Et de quelque chose avec la tour de Babel.
— Tu ne sais pas ce que tu as loupé. Les vieux mythes nous parlent de notre condition d’homme. Toutes les religions païennes sont fondées sur la cosmogonie polythéiste. Pour convertir les masses, les chrétiens ont d’ailleurs dû composer avec les cultes déjà en place. C’est pourquoi le catholicisme a intégré tant d’éléments venant du paganisme : l’encens, les cierges, les jours fériés, les saints. Marie peut être corrélée à ce que les païens appellent la « Déesse » ; et le Christ au « Dieu ». On trouve également des correspondances évidentes entre les saints de la chrétienté et le panthéon des divinités des religions anciennes. Ils ont les mêmes représentations, les mêmes fonctions. Certains protègent les récoltes, d’autres les guerriers. C’est assez fascinant, tout ça.
— Ecoute-moi, bambino, je suis née en plein cœur de ce qu’on appelle la Bible Belt — la Ceinture de la Bible. On ne nous a jamais rien enseigné, ici, qui puisse toucher de près ou de loin aux religions païennes. C’est intéressant, c’est vrai, mais quel rapport avec nos meurtres ? Tu crois que nous avons affaire à des sorciers italiens ? Tout à l’heure, c’étaient des vampires sanguins.
Il soupira.
— Je pense que cette histoire va plus loin qu’on ne pourrait le croire. Et j’essaie de garder l’esprit ouvert.
— Tu sais ce que je pense, moi ? C’est que nous avons affaire à des malades, des cinglés qui n’ont pas hésité à assassiner sept gamins de sang-froid. Il y a peut-être un aspect romantique dans ces vieux cultes de la nature, mais ils n’élucideront pas nos meurtres. Et il faut que je me sorte de cette affaire, et vite. Autrement dit, ce sont les bonnes vieilles méthodes policières qu’il faut appliquer. Oublie tes cours de mythologie ou de religions comparées.
— Laisse-moi quand même faire quelques recherches. Le tueur est peut-être dans un état altéré, surtout s’il a absorbé des stupéfiants. Il ne faut pas oublier non plus que quelqu’un a filmé cette vidéo. Avec une caméra sur l’épaule, à en juger par le tremblement de l’image. Nous avons affaire à plus d’une personne, c’est déjà une première certitude.
— Génial. Juste ce qu’il nous fallait.
Elle réfléchit un instant.
— Peut-être que le tueur filmé correspond au type que Lincoln a repéré grâce aux caméras de vidéosurveillance. Seigneur… Nous avons sept morts sur les bras, une huitième victime qui se raccroche péniblement à la vie, une lettre d’un illuminé qui prétend être le meurtrier, et une version filmée de l’événement. Et les sorciers et les vampires se déchaînent soudain à Nashville. Si avec ça, les journaux n’alignent pas les scoops, je me fais nonne sur-le-champ, marmonna-t-elle en tournant.
Elle s’arrêta devant la bibliothèque municipale de Nashville. De l’édifice élancé, tout en pierre, avec ses colonnes romaines, se dégageait quelque chose de visionnaire. Voilà qu’elle se mettait à voir du mystique partout, elle aussi.
Un sans-abri passa près de la voiture, d’une démarche incertaine, et lui jeta un regard mauvais avant de poursuivre son chemin vers le parc, où il rejoignit ses compagnons d’errance. Taylor fut frappée par l’ironie du contraste. Un monde séparait l’imposante bibliothèque incarnant la culture et les lumières, et le peuple des oubliés de la Terre.
— Tu m’accompagnes toujours à Hillsboro ? Je peux passer te récupérer en revenant du CJC, si tu veux ?
— O.K., ça marche. Je t’appelle dans un moment. Je ne pense pas en avoir pour longtemps.
Déjà perdu dans son monde, Renn descendit de voiture. Taylor soupira en le regardant franchir les portes richement ornées. Pour une raison mal définie, le voir s’éloigner ainsi lui fit penser à Memphis. A James « Memphis » Highsmythe, vicomte Dulsie, agent de liaison entre l’unité d’analyse comportementale du terrorisme à Quantico et la Metropolitan Police à New Scotland Yard, pour être exacte.
Baldwin avait vu Memphis à Quantico la semaine dernière alors qu’il prenait possession de son nouveau bureau. Elle n’avait pas précisé à son fiancé que Memphis n’avait pas entièrement disparu de sa vie.
Il était resté exemplairement réservé pendant les quelques dernières semaines. Après leur bref interlude à Florence — un baiser qui avait continué à lui tourner dans la tête plusieurs jours d’affilée —, elle avait reçu quelques e-mails et textos parfaitement honorables, qu’elle aurait pu montrer à Baldwin sans rougir si la question s’était posée. Mais hier, juste avant sa réhabilitation officielle, un bouquet de roses blanches s’était matérialisé sur son bureau. Avec sur la carte : « Tendrement, M. »
Elle était passée par tous les états émotionnels appropriés ainsi que certains autres — beaucoup moins convenables. L’incident n’aurait pas porté à conséquence si Baldwin n’avait pas vu le bouquet et la carte. Il n’avait pas émis une seule remarque, mais elle avait vu un muscle tressauter à l’angle de sa mâchoire crispée. Elle en voulait à Memphis d’avoir perturbé Baldwin, le haïssait pour l’arrogance avec laquelle il s’était permis de lui envoyer ces roses avec une carte qui disait « tendrement ». Mais elle était heureuse, en même temps, et ne comprenait pas ce que cela voulait dire.
Penser à Memphis avait le don de la plonger dans des états insondables. Exaspérée, elle donna un violent coup d’accélérateur et ses pneus crissèrent alors qu’elle s’engageait sur la chaussée. La tête ailleurs, elle ne prêtait qu’une attention distraite à la rue envahie par les touristes qui traversaient massivement pour aller se distraire sur Lower Broad. Elle finit par perdre patience et coupa par Union Street, arrivant à vive allure sur Fifth Avenue, enfermant Memphis dans l’oubli où il aurait dû rester muré. Elle ne pouvait pas continuer ainsi, mais ne savait pas quoi faire pour que cela s’arrête. Elle ne voulait pas de lui. C’était tout ce qui aurait dû compter. Et pourtant, il venait se faufiler dans ses pensées aux moments où elle s’y attendait le moins.
Comme maintenant, par exemple.
Si seulement elle avait pu aborder la question avec Sam ! Mais son amie considérait déjà qu’elle était en infraction par rapport à son propre code moral. Elles avaient assidûment évité le sujet depuis que Sam l’avait étrillée sans merci, l’accusant d’avoir « dragué » Memphis au beau milieu d’une autopsie. Taylor avait le feu aux joues au souvenir de leur dispute. Si elle avait flirté avec cet homme, elle ne l’avait pas fait de façon consciente. Et elle était blessée que Sam l’ait interprété comme une action délibérée de sa part. Mais à présent que Memphis lui avait exprimé en termes clairs ce qu’il ressentait et que baiser il y avait eu, même fugitif, elle ne savait comment mettre ses émotions en mots pour en parler à sa meilleure amie.
Enceinte, Sam se replierait sur sa grossesse, sur sa famille. Ce serait absurde de la déloger de sa bulle pour de petites complications sentimentales sans importance. Taylor se sentit soudain isolée — seule, pour la première fois depuis des années. Il fallait reconnaître qu’elle n’avait pas beaucoup d’amies proches. Et personne avec qui partager ses soucis de cœur, en tout cas.
Repoussant son dilemme d’un haussement d’épaules, elle trancha en se jugeant chanceuse d’attirer deux hommes à la fois. John était le meilleur des deux, celui qu’elle voulait pour toujours. Et elle n’avait aucune intention de mettre leur relation en danger à cause d’un sujet de Sa Majesté temporairement entiché de sa personne.
Penser à d’autres hommes la conduisait invariablement à Fitz et elle prit note mentalement de rappeler l’antenne locale du FBI en Caroline du Nord. Elle trouverait forcément quelqu’un, là-bas, qui accepterait d’écouter sa version de l’histoire, de mettre la pression sur la garde côtière, de lancer des recherches dans les différentes villes portuaires. Quelqu’un qui serait disposé à l’aider à retrouver son vieil ami et ex-second. Sa pression artérielle monta en flèche lorsqu’elle imagina Fitz entre les mains du Prétendant. La colère qui gronda en elle lui fit du bien. Il était infiniment plus important de se préoccuper de Fitz que de se torturer inutilement l’esprit au sujet de Memphis.
Elle passa en voiture devant le siège de Channel Five et se demanda ce qu’ils mijotaient aujourd’hui. Le « Massacre de Green Hills » était le terme qu’ils avaient trouvé, aux infos du matin, alors qu’ils diffusaient des extraits de sa conférence de presse.
Elle ne se rappelait pas s’être jamais sentie aussi pressée d’avancer sur une enquête.