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Taylor et Baldwin étaient assis sur la terrasse, buvant des bières à la bouteille. Reese Connolly devait être mis en examen ce jour-là.

La semaine précédente s’était écoulée dans une sorte de brouillard. Reese était arrivé à temps à l’hôpital. Après qu’il eut passé plusieurs heures entre la vie et la mort, les médecins étaient parvenus à réparer les dégâts causés par la balle et avaient déclaré qu’il allait survivre à sa blessure. Taylor en éprouva une immense satisfaction. Ce salaud allait payer pour ses crimes, il allait passer en jugement. La prédiction de Reese s’était accomplie : sa sanglante épopée — que sa tante aurait tant voulu relater en exclusivité — avait fait les gros titres de la presse nationale. Ironie de l’histoire, c’est de façon posthume que Whitney Connolly avait enfin accédé à la célébrité qu’elle recherchait avec tant d’âpreté de son vivant.

Quinn ne voulait pas en démordre : elle insistait sur le fait que Reese avait été égaré par la haine et que son erreur quant à l’identité de sa mère lui avait fait perdre la raison. Elle prétendait donc qu’il ne pouvait être tenu pour responsable de ses actes lorsqu’il avait perpétré les crimes atroces qui avaient tenu le Sud-Est en haleine pendant tout un été. Le procureur avait décidé de ne pas la mettre en examen. Elle avait engagé le meilleur avocat pénaliste de Nashville et remuait ciel et terre pour étayer la défense de son fils aîné et plaider la folie.

Baldwin avait passé un long après-midi à la prison de Riverbend où il était allé rendre une visite à Nathan Chase afin de tenter d’assembler les dernières pièces du puzzle. Nathan avait admis bien volontiers ses crimes passés et manifesté une réelle fierté à l’égard des exploits de son fils, ainsi qu’il nommait la série de meurtres qu’avait commis Reese.

Reese, pour sa part, cherchait à gagner la sympathie du public et faisait tout pour qu’on admette qu’il n’était pas responsable de ses crimes. A l’hôpital, après être passé sur le billard, il avait expliqué en détail aux enquêteurs ce qu’il avait fait. Comment il avait filé Jake Buckley, comment il avait compris que ce dernier cocufiait sans répit Quinn — ce qui l’avait décidé à en faire le bouc émissaire de ses propres crimes.

Reese avait admis qu’il s’était trouvé à court de temps et s’était mis à tuer ses victimes en route plutôt que de les ramener chez elles pour les égorger plus tranquillement. Des traces de sang — celui de Marni Fischer — avaient été découvertes sur une aire d’autoroute à soixante kilomètres de Roanoke. Baldwin avait vu juste à propos de la crise d’asthme qui avait été fatale à Noelle Pazia. Elle était morte asphyxiée dans le coffre de la voiture de Reese et la réaction de rage de celui-ci l’avait conduit à franchir un pas supplémentaire dans l’horreur avec Ivy Clark.

On ne tue jamais pour de bonnes raisons. Mais aux yeux de Reese, c’était exactement ce qu’il avait cru faire. Il cherchait du soutien de la seule façon qu’il connaissait, en essayant d’obtenir l’approbation et l’affection qu’on lui avait refusées pendant si longtemps. Il n’avait jamais admis que c’était Quinn qui l’avait materné et lui avait, de fait, procuré l’amour et les soins dont il croyait avoir manqué.

Son avocat, un ténor du barreau habile et expérimenté, disait à qui voulait l’entendre que Baldwin avait extorqué à son client des aveux par la contrainte, puisque ce dernier se trouvait encore sous l’influence des neuroleptiques que les médecins lui avaient administrés à la suite de son opération. Il s’évertuait à faire classer l’affaire sans suite pour vice de procédure. L’affaire tournait à la farce judiciaire, telle que Nashville n’en avait pas connu depuis longtemps.

*  *  *

Baldwin se prélassait tranquillement au soleil, en cette fin d’après-midi. Les journées commençaient à tiédir et les soirées apportaient un peu de fraîcheur à l’atmosphère. L’automne approchait.

— Taylor, dit-il doucement.

Elle le regarda d’un œil souriant.

— J’ai eu Garrett au téléphone, ce matin, poursuivit Baldwin. Je lui ai annoncé ma démission.

Taylor se tourna vers lui en mettant ses mains en visière sur son front pour se protéger de l’éclat du soleil couchant.

— Tu rigoles ?

Il secoua la tête.

— Non, c’est sérieux. Je veux voler de mes propres ailes, rompre avec le FBI. Je songe à créer ma propre boîte de consultants dans le domaine de la sécurité. Tu pourrais travailler avec moi.

— Je ne suis pas encore prête à quitter la police, Baldwin. Tu le sais bien.

— Alors, tu pourrais m’apporter une aide ponctuelle, dans certains cas. De toute façon, c’est fait. J’envoie ma démission par la poste demain matin. Je veux rester ici, Taylor. Avec toi.

Il se leva pour la rejoindre, posa les mains sur les bras de son amour, courba la tête pour déposer un baiser sur son front.

— J’en ai marre de la vie que je mène. Marre d’assister à tous ces crimes, marre d’attendre que le prochain tueur en série se manifeste. Il me faut autre chose. Je veux être avec toi. Pour toujours. Taylor, je veux que tu sois mon épouse.

Il posa la main gauche de Taylor dans la sienne et elle sentit un objet glisser le long de son annulaire. Elle examina sa main, ébahie par l’éclat du diamant.

Taylor était stupéfaite. Non pas tant par la proposition elle-même que par l’émotion qui la submergeait. Son épouse… Le mot ne lui était pas familier. Elle n’y avait jamais songé, pas sérieusement en tout cas. Elle savait que Baldwin l’aimait, et c’était réciproque. Mais de là à passer le restant de ses jours en sa compagnie…

Ils affrontaient tous les jours de tels dangers. Le mal gangrenait leur vie, les confinait dans l’obscurité. Dans ces conditions, le mariage semblait être une proposition illusoire. Le bonheur était un luxe qu’ils ne pouvaient pas se permettre.

— Baldwin. Je… Je ne sais pas quoi dire…

Le regard qu’il lui adressa suffit à lui briser le cœur.

— Ce n’est pas que je veuille te dire non. C’est juste que je n’y ai jamais pensé. Enfin, jamais sérieusement… Je… Baldwin, je tremble à l’idée de te perdre. J’ai peur de te perdre si on se marie.

— Taylor, tu délires. Je ne te quitterai pas. Et personne d’autre ne viendra jamais gâcher notre bonheur. Je veillerai sur toi. Et sur moi-même…

Elle sentit des larmes perler au coin de ses yeux. Baldwin avait reculé de quelques dizaines de centimètres et la regardait comme si elle allait exploser. La pure vulnérabilité qu’elle lisait dans son regard la tétanisait. Il crut que c’était un signe de refus et fit un pas vers la maison pour la laisser en paix. Taylor lui saisit le bras. Il lui prit la main, la porta à ses lèvres. Les larmes coulaient à présent, ruisselant le long de ses joues. Elle les essuya du revers de la main, sourit et le contempla au travers de la brume qui lui voilait les yeux. Elle l’attira contre sa poitrine, le retint. Elle pressa ses lèvres contre les siennes.

— Non, je t’en prie, ne t’en va pas, fit-elle.

Elle inspira profondément et ajouta :

— Ma réponse est oui.

*  *  *

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