Whitney Connolly était chez elle, assise devant son ordinateur, envoyant des courriels à des connaissances dans tout le pays. C’était un rituel matinal auquel elle ne dérogeait pas. Tous les jours, elle sortait de son lit solitaire, courait chez Starbucks pour acheter un café au lait à emporter, saluant les habitués et les inconnus d’un sourire modeste, revenait chez elle et allumait son ordinateur.
Elle communiquait ainsi avec toutes sortes de gens et les courriels étaient triés par ordre de priorité. Les amis venaient d’abord, car cette catégorie était la moins nombreuse à correspondre avec elle. Et comme leurs courriels étaient les plus sympathiques, elle était de bonne humeur au moment de passer à la liste suivante, celle des fans. Il y en avait de toutes les couleurs, de toutes les tailles et de toutes les formes. Des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux. Des gentils et des pas gentils. Ces messages étaient difficiles à éviter : la chaîne pour laquelle elle travaillait affichait les adresses électroniques de ses journalistes pendant qu’ils étaient à l’antenne, et on trouvait également ces adresses sur le site internet de la chaîne en face de leurs photos, afin qu’ils soient accessibles au grand public.
Whitney trouvait que c’était important de leur répondre. Remercier ceux qui avaient apprécié son reportage de la veille… Se montrer courtoise auprès de ceux qui l’avaient trouvé nulle. Son statut de journaliste la plus en vue de Nashville avait des avantages, évidemment. Mais, inévitablement, elle s’attirait l’hostilité de certains téléspectateurs, et elle se sentait obligée de tenir compte de leurs critiques et de tenter d’améliorer son image, au nom des bonnes relations de la presse avec le public.
Ce matin-là, en tout cas, tout allait bien. Elle avait reçu une quarantaine de courriels de ses fans, et seuls cinq d’entre eux se montraient critiques à l’égard de sa prestation de la veille. Elle lut les commentaires attentivement, répondant aux reproches les plus délirants d’un sobre : « Je suis navrée d’apprendre que le reportage ne vous a pas plu. Je ferai mon possible pour que cela n’arrive plus. » Elle se confondait en remerciements auprès de ceux qui envoyaient des commentaires élogieux, et répondait avec application aux questions de ceux qui pensaient connaître mieux qu’elle le monde dans lequel ils vivaient. Cela étant fait, elle buvait une longue gorgée de son café tiédissant et passait à la catégorie suivante. La plus importante. Celle qui comptait vraiment. Les informateurs.
Whitney entretenait un vaste réseau de correspondants qui étaient autant de sources d’information. Cela faisait des années qu’elle cultivait ces relations et en enrichissait la liste, y ajoutant régulièrement de nouveaux contacts, fiables ou moins fiables. Car elle nourrissait des ambitions, de grandes ambitions. Et elle savait qu’elle était à deux doigts de percer au niveau national, qu’une affaire retentissante la propulserait vers les sommets de sa profession. Etre journaliste vedette à Nashville, c’était déjà un bon job. Sa chaîne dominait le marché local, dépassant toutes les autres filiales locales des grands réseaux nationaux. Elle effectuait les reportages les plus importants pendant la semaine et officiait le week-end comme présentatrice du journal du soir. Mais, au fond d’elle-même, elle sentait qu’elle valait mieux. Cela faisait longtemps qu’elle était dans le métier et, à trente-quatre ans, il était temps pour elle d’entrer au service des grands médias. Elle visait un poste à New York. Pas à Atlanta, où tout le monde se ressemblait et où les journalistes n’étaient pas autorisés à exprimer leur opinion. Non. New York, voilà l’endroit où il fallait être — et il lui suffisait d’un scoop pour y arriver.
Elle présentait bien, incontestablement. Grande et pourvue de longues jambes, elle était fière de son nez parfait qui n’avait pas eu besoin d’être modifié par la chirurgie, de ses lèvres charnues, qui n’avaient été que très peu refaites, et d’une paire de seins sans défaut — qui lui avait coûté une fortune. Des sourcils finement dessinés, deux tons plus foncés que ses cheveux, mettaient en valeur des yeux bleus dont on lui avait toujours envié la beauté. Oui, elle présentait bien, pas de doute. Et elle était intelligente. Sans parler de sa ténacité et de son énergie. Elle avait juste besoin d’un reportage choc qui fasse sensation.
En faisant défiler la liste des courriels reçus, à la recherche de l’adresse qui ferait d’elle une star du journalisme, elle s’accorda un bref répit en allumant le téléviseur, choisissant la chaîne d’info pour laquelle elle tenait tant à travailler.
La bande rouge annonçant une nouvelle de dernière minute défilait en clignotant dans le bas de l’écran, et Whitney sentit son cœur battre plus vite. Elle était une journaliste dans l’âme, après tout. Que s’était-il passé ? Un attentat à la bombe ? La mise en examen d’une personnalité ? Un politicien pris en flagrant délit avec une fille morte ou un garçon vivant ? Les mauvaises nouvelles sont toujours bonnes pour les journalistes, quel que soit le préjudice subi par la société. Tandis que le visage inquiet du présentateur emplissait l’écran, elle sentit une douce chaleur se répandre dans son corps. Elle se cala dans son fauteuil en cuir souple et sourit. Il avait encore frappé.