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Baldwin venait d’arriver à l’aéroport ; il avait fait enregistrer ses bagages et attendait dans le hall d’avoir bu sa tasse de café avant de prendre un avion pour Nashville lorsque son téléphone portable se mit à sonner. Il regarda le numéro de son correspondant s’afficher sur l’écran et sourit. Taylor avait essayé de le joindre la nuit dernière, ou plutôt le matin vers 3 h 30. Elle n’avait pas laissé de message. Il devait dormir profondément quand elle avait appelé. Il détestait rater les appels de Taylor et se demandait pourquoi elle avait essayé de le contacter au beau milieu de la nuit. Parfois, ils passaient une journée entière à ne communiquer que par messageries interposées.

— Salut, mon cœur. Tout va bien ?

— Je vais bien. Quand est-ce que tu rentres à la maison ?

La voix de Taylor était un peu chevrotante, mais elle lui parut pourtant normale.

— Je suis à l’aéroport en ce moment même. Mon vol décolle dans une demi-heure.

— Bien. Je, euh…

Baldwin entendit un signal sonore dans l’écouteur, jeta un coup d’œil sur le numéro qui s’affichait sur l’écran et interrompit Taylor.

— Attends une seconde, Grimes m’appelle sur mon autre ligne.

Il appuya sur la touche flash.

— Alors, Grimes ?

— Baldwin, tu n’es pas déjà dans l’avion, j’espère ?

— Oh, non… Ne me dis pas que…

— Eh oui ! Et les médias sont déjà en train de diffuser la nouvelle.

— Attends une seconde, tu veux bien ? Il faut que je raccroche sur l’autre ligne.

Il revint à Taylor et lui dit :

— Il faut que j’y aille. Je te rappelle dès que possible.

Il raccrocha avant d’entendre la réponse et revint à Grimes.

— Elle est où ?

— Son corps a été retrouvé près de la nationale 81, juste à la sortie de Roanoke, en Virginie. Le mec qui l’a trouvé a appelé sa petite amie pour lui dire de prévenir la chaîne Fox locale avant d’appeler la police. Encore un qui voulait son quart d’heure de célébrité. Et avant que tu ne me le demandes, non il ne correspond pas au profil du tueur. Mais il faut qu’on se pointe là-bas dare-dare. J’ai trouvé deux places dans un charter, sur l’aéroport privé. Prends un taxi et rapplique en vitesse, entendu ?

La tension dans la voix de Grimes était palpable. Baldwin se mit à marcher vers la sortie d’un pas décidé, bombardant Grimes de questions tout en se frayant un passage dans la foule.

— Rien d’autre ?

— En dehors du fait que la nouvelle est passée aux infos avant qu’on soit sur les lieux ? Elle a été étranglée. Ça, c’est certain. Mais le collègue de la police locale à qui j’ai parlé n’avait pas l’air très amical. Ça va être différent d’avec les flics de Noble. Voilà tout ce que je peux te dire, pour l’instant.

Baldwin atteignit le trottoir et monta dans un taxi à l’arrêt. Il informa le chauffeur de sa destination sans interrompre sa conversation avec Grimes.

— Bon, je suis dans un taxi. Je devrais être là dans cinq minutes. On se parlera dans l’avion.

Il raccrocha, puis appuya sur la touche du numéro mémorisé de Taylor. Elle décrocha avant même la fin de la première sonnerie.

— Merci de m’avoir raccroché au nez.

Elle avait l’air fâchée et Baldwin ne put réprimer une grimace. Il n’avait pas voulu être grossier et il lui demanda de l’excuser.

— Je sais bien que tu n’es pas un goujat, le rassura Taylor. Qu’est-ce qu’il voulait, Grimes ?

— Le corps de Marni Fischer a été retrouvé à Roanoke. Je m’apprête à prendre un avion pour me rendre sur place. En fait, ma chérie, je ne crois pas pouvoir rentrer ce soir. Je suis vraiment désolé.

Et en effet, il était sincèrement affligé, il détestait passer trop de temps loin d’elle.

— Euh, c’est pas grave. Appelle-moi dès que tu en auras l’occasion. Moi aussi, je suis désolée, mon chéri. Je sais que tu aurais préféré une autre issue pour cette Marni.

— En fait, je m’y attendais. Le temps écoulé depuis sa disparition correspond au délai séparant les meurtres précédents de la découverte des cadavres. Tu voulais me demander quelque chose, tout à l’heure ?

— Oh ! rien d’important ! Ça peut attendre. D’ailleurs, il faut que je me sauve. J’ai rendez-vous avec Sam. Rappelle-moi un peu plus tard, d’accord ?

— Je n’y manquerai pas, ma chérie. Je t’aime, dit-il d’un ton absent.

Une fois certain que Taylor allait bien et n’avait pas besoin de lui, son esprit revint immédiatement à l’affaire de l’Etrangleur du Sud. Il raccrocha et glissa le téléphone dans son étui.

Roanoke, en Virginie… Le tueur avait débuté en Alabama, s’était rendu en Louisiane, dans le Mississippi, dans le Tennessee, puis en Géorgie et, à présent, il venait de se signaler en Virginie. Il ouvrit son téléphone et appela brièvement Quantico. Son patron, Garrett Woods, répondit à la première sonnerie.

— Baldwin, vous êtes en route pour la Virginie ?

— Oui, je suis sur le point d’arriver à l’aéroport privé d’Atlanta. Grimes a trouvé un avion qui s’apprête à décoller. Vous pouvez me rendre un service ? J’aimerais que vous rentriez les lieux d’enlèvement des victimes et de découverte de leurs corps dans la base de données géographiques du FBI. On verra ce qu’il en sort. Je veux savoir si ce type se déplace en fonction de ses caprices ou s’il suit un schéma géographique. Essayez de demander aux informaticiens de déterminer un lieu central d’où le tueur pourrait opérer, en partant du principe qu’il ne réside dans aucun des lieux listés.

— Pas de problème. Quoi d’autre ?

— Je vous rappellerai de Virginie. J’attends d’être sur le terrain pour tirer de nouvelles conclusions.

— Bon, d’accord, mais ne tardez pas à me joindre pour me dire ce que vous en pensez.

— Ne vous en faites pas, Garrett. Merci.

Il raccrocha au moment où le taxi se garait devant le terminal privé. Il bondit hors du véhicule en jonglant avec son téléphone et sa serviette. Le téléphone se remit à sonner : un numéro inconnu, commençant par l’indicatif de la Géorgie, s’afficha sur l’écran de l’appareil. Il se réinstalla tant bien que mal dans le taxi et répondit au bout de la troisième sonnerie.

— John Baldwin à l’appareil.

— Monsieur Baldwin, c’est le shérif Pascoe. J’ai reçu le rapport du labo au sujet de la feuille de papier retrouvée dans la voiture de Marni Fischer. Pas d’empreintes identifiables, juste une ou deux taches… qui pourraient provenir de la victime, mais je ne peux pas vous l’assurer. Il n’y a pas de quoi tirer des conclusions.

— Eh bien, ç’aurait été étonnant. Il n’a pas fait beaucoup d’erreurs jusqu’à présent, et il n’y a aucune raison pour qu’il s’y mette maintenant. Ce garçon est méticuleux et précis, ça, c’est sûr. Merci, shérif. J’apprécie beaucoup votre diligence dans cette affaire.

— Vous me tenez au courant, hein ?

— Absolument. Vous avez mon numéro. N’hésitez pas à me contacter si nécessaire. Là, je dois filer. Je suis à l’aéroport. A plus tard.

Il referma son téléphone, gratifia le chauffeur d’un énorme pourboire et franchit la porte vitrée. Grimes était debout au milieu du vaste hall et parut soulagé de voir arriver Baldwin.

— L’avion va décoller dès qu’on sera à bord. Tu es en forme ?

— Allons-y, répondit Baldwin.