Baldwin échappa aux embouteillages de début de soirée pour sortir de la ville et emprunta l’autoroute 65 en direction de Franklin. Il prit ensuite la nationale 96 vers le centre de Franklin, passa devant des rangées de maisons coquettes et une place centrale pittoresque. Il franchit le carrefour giratoire et se retrouva face au siège de Health Partners.
Il se gara et pénétra dans le bâtiment. La climatisation trop fraîche lui donna la chair de poule. Il se présenta à l’hôtesse qui officiait à l’accueil, assise derrière un bureau de verre, sous lequel on apercevait ses jambes juvéniles et souples. Il était attendu. Elle le gratifia d’un sourire charmant qu’il lui rendit. Elle se leva et lui indiqua une porte sur la gauche. En contournant le bureau pour l’y accompagner, elle le frôla de manière provocante. Il sourit — cette fille ne devait pas avoir plus de dix-huit ans. Cela lui faisait plaisir de constater qu’il pouvait encore être séduisant aux yeux des jeunes générations. Mais pas séduit, bien sûr. Avec une femme comme Taylor à la maison, il n’était séduit par personne d’autre qu’elle.
— Je peux faire quelque chose pour vous ? demanda-t-elle.
Il secoua la tête.
— Dommage, dit-elle.
La fille tapa une combinaison de chiffres sur un digicode et la porte se déverrouilla en émettant un cliquetis. Il franchit la porte derrière l’hôtesse, la suivit dans un hall austère qui donnait sur une salle d’attente spacieuse et confortable. Un homme noir de haute taille, aux cheveux crépus, sortit d’un bureau et vint droit sur Baldwin. Il se présenta en lui tendant la main.
— Louis Sherwood. Vous êtes l’agent Baldwin ? Enchanté. Ce sera tout, Darlene, merci.
La fille adressa un regard agacé à son patron et rebroussa chemin.
Sherwood conduisit Baldwin dans un vaste bureau, orné de boiseries en acajou sombre. Exactement le genre de bureau où l’on s’attend à trouver un directeur général. Décoré avec goût et à grands frais, et pourtant sans ostentation — comme pour minimiser la prospérité de l’entreprise. Dans l’ensemble, c’était très réussi.
Sherwood désigna une paire de fauteuils rembourrés en cuir marron, dont les bords étaient garnis de gros clous en laiton. Y avait-il un seul bureau cossu n’abritant pas ce type de fauteuils ? Baldwin s’assit face à Sherwood.
— Vous voulez boire quelque chose, agent Baldwin ? Un thé, un café ?
— Non merci, ça ira.
— Alors, en quoi puis-je vous être utile ?
— Comme je vous l’ai dit au téléphone, j’aimerais vous poser quelques questions sur les déplacements de vos employés.
Sherwood se pencha, empoigna un petit râteau et se mit à ratisser un jardin zen de poche.
— Lequel, en particulier ?
Baldwin dressa l’oreille.
— Il y a un de vos employés dont vous pensez qu’il pourrait m’intéresser plus particulièrement ?
— Non, non. Je me demandais simplement si vous aviez déjà fait un tri. Notre organigramme comporte plus d’un employé amené à se déplacer souvent, comme vous pouvez l’imaginer.
Râteau, râteau, râteau. Baldwin avait l’impression que l’homme tuait le temps.
— Et si on se limitait à ceux qui sont allés récemment dans les villes où certaines de vos employées ont été enlevées ?
— Et quelles sont ces villes, au juste ?
Baldwin fixa un long moment Sherwood, bien droit dans les yeux, avant d’articuler bien distinctement :
— J’aimerais bien que vous arrêtiez cette comédie et que vous me disiez ce que j’ai besoin d’apprendre.
Sherwood se cala dans son fauteuil, jaugeant la situation. Baldwin continua de le fixer.
Au bout d’un moment, Sherwood arbora un large sourire.
— Je ne faisais que vous tester, jeune homme. Je voulais m’assurer que vous étiez bien du FBI. On ne sait jamais, de nos jours. Vous voulez des informations sur nos itinérants ? La plupart sont des femmes. Notre équipe de marketing ne comporte qu’un seul homme.
— Jake Buckley ?
Sherwood ouvrit de grands yeux.
— Oui, tout à fait. Jake est l’un des types les plus remarquables qu’il m’ait été donné de rencontrer. Vous pouvez me croire.
— Super. Est-ce que Jake Buckley s’occupe de vos intérêts en Alabama, en Louisiane, dans le Mississippi, en Géorgie, en Virginie et en Caroline du Nord ? Et est-ce qu’il s’est rendu dans ces Etats récemment ? Je sais déjà qu’il se trouvait à Nashville à certains moments lors de la période qui nous intéresse. C’est tout ce que j’ai besoin de savoir.
Baldwin se cala dans son fauteuil et attendit.
Sherwood pinça les lèvres et dit :
— En fait, je ne crois pas que ce soit sage de le salir comme ça, si vous voyez ce que je veux dire. Il a beaucoup d’amis très haut placés… Mais, bon, ce n’est pas le sujet.
— Monsieur Sherwood, vous n’avez pas l’air de bien me comprendre. Votre position est délicate. Plusieurs victimes de l’Etrangleur du Sud travaillaient pour votre société. Les médias n’ont pas encore fait le rapprochement. Mais vous pouvez être certain qu’ils finiront par le faire.
Sherwood plissa les yeux et Baldwin vit que l’homme était en proie à la panique. Il ramassa un stylo et se mit à le tripoter, évitant le regard de Baldwin dès qu’il se mit à parler. Ce dernier se prépara à entendre quelques mensonges.
— Bon, agent Baldwin, soyez compréhensif. Nous sommes une petite entreprise, nous essayons de rendre le monde plus habitable pour les pauvres, et tous ceux qui ne peuvent se payer ce que nous leur offrons. Vous comprenez cela, jeune homme ? Je vous assure que je suis vraiment triste de savoir que trois de nos employées ont trouvé une mort violente. Mais est-ce que Jake Buckley est impliqué dans ces meurtres ? Il n’y a pas l’ombre d’une chance pour que ce soit le cas, et je pèse mes mots.
Il se pencha vers Baldwin, comme s’il s’apprêtait à lui confier un grand secret. Baldwin demeura immobile.
— Buckley sait à peine comment s’y prendre avec une femme en vie. Je n’arrive pas à imaginer ce qu’il pourrait bien faire avec une morte.
Sherwood se redressa en s’esclaffant.
— Non, ce vieux Jake n’aurait jamais pu commettre un truc aussi horrible. Il est bien trop dévoué à sa bonne femme. Il ne peut pas se permettre de foutre son ménage en l’air. C’est elle qui a l’argent, pas lui. Je suis bien placé pour le savoir, moi qui ne le paie pas assez…
— Au fait, combien vous le payez, monsieur Sherwood ?
Baldwin était dégoûté par le personnage. Au téléphone, il avait pourtant paru disposé à aider les enquêteurs. A présent, il était clair qu’il jouait au con.
— Ah, là, jeune homme, c’est hors sujet. Bon, pas plus de deux cent mille dollars bon an, mal an. Combien on vous paie, au FBI, de nos jours ? Je parie que je pourrais vous faire une offre qui vous épaterait. Qu’est-ce que vous en dites ? Venez travailler pour moi, comme chargé de la sécurité. Vous ne le regretteriez pas.
Cet entretien ne donnait rien. L’homme n’était, à l’évidence, pas disposé à lui dire quoi que ce soit d’utile. Baldwin faillit penser que Sherwood était rusé et qu’il avait accepté de le rencontrer pour se faire une idée de ce que le FBI savait sur l’affaire et sur sa société, mais il rejeta cette idée. Non, ce type était tout simplement un abruti pourvu d’un peu de pouvoir.
— C’est très gentil, monsieur Sherwood, mais je suis content des fonctions que j’occupe actuellement. Je vous conseille de coopérer avec moi. Je peux obtenir un mandat de recherche dans vos archives en un rien de temps.
Il se leva et marcha d’un pas résolu vers la porte.
Sherwood ne fit qu’en rire.
— C’est ça, revenez avec un mandat, et on pourra poursuivre cette conversation.
— Vous pouvez compter sur moi.
Baldwin ouvrit la porte en grand avant de revenir à l’entrée verrouillée qui donnait sur le hall d’accueil et qu’il franchit précipitamment, pour se retrouver nez à nez avec Darlene. La fille lui sourit d’un air engageant.
En découvrant la colère qui imprégnait le visage de Baldwin, elle arrêta de sourire mièvrement et lui adressa un sourire compatissant. Il se rendit compte qu’elle était plus âgée qu’il ne l’avait d’abord cru — plutôt dans les vingt-cinq ans.
— Sherwood a encore été lourd ? demanda-t-elle en soupirant.
Baldwin hocha la tête.
— Je ne sais pas comment vous faites pour le supporter.
— Justement, je n’y arrive pas. Tenez, j’ai quelque chose pour vous.
Elle lui tendit un dossier qu’il ouvrit. Il lut le mot « Itinéraire » en caractères gras en haut de la première page. « Jake Buckley » était inscrit juste au-dessous. Baldwin parcourut ledit itinéraire rapidement et s’aperçut que les déplacements récents de Jake l’avaient amené à visiter les Etats où les victimes avaient été enlevées, le confirmant ainsi dans ses soupçons. Plus besoin de perdre du temps à demander un mandat.
Baldwin leva la tête et aperçut une larme perler au coin de l’un des yeux de Darlene. Mais sa voix était ferme.
— Coincez-le, s’il est coupable. Faites-le pour moi.
Baldwin hocha la tête, ne sachant que dire. Il eut subitement l’impression que Jake Buckley était un homme à femmes et non un grand timide ou un impuissant, comme l’avait laissé entendre Sherwood.
Il prit la main de la jeune femme, la pressa doucement et lui promit sincèrement que c’était bien ce qu’il comptait faire.
Baldwin rentra à la maison. La température s’était rafraîchie après l’orage. Il s’était douché et avait décongelé une barquette de soupe aux légumes et au bœuf qu’avait confectionnée Taylor. Il s’installa et attendit son retour. Il attendait également des nouvelles de Grimes. Son collègue aurait dû l’appeler depuis longtemps pour lui faire savoir si la disparition d’une jeune femme avait été signalée dans la région d’Asheville. Il avait parlé aux policiers qui avaient découvert un corps à Louisville, et il commençait à penser que ce crime avait peut-être été perpétré par un autre tueur. Même si la fille qu’ils avaient retrouvée était bien brune et qu’elle avait, à première vue, un peu moins de vingt ans, les causes du décès n’étaient pas apparentes et elle n’avait pas été amputée de ses mains. Les policiers de Louisville fouillaient dans leurs bases de données pour savoir si la disparition d’une fille correspondant à la description de l’inconnue avait été signalée dans leur secteur. Mais ils n’avaient encore rien trouvé. Si Buckley était l’assassin qu’il recherchait, il semblait faire une pause.
Baldwin se rendit dans la cuisine, sortit une canette de Guinness du réfrigérateur, l’ouvrit et se versa un verre avant de revenir dans le salon. Il fallait qu’il appelle Grimes, pour voir où il en était.
Il composa le numéro de son collègue et une voix qu’il ne reconnut pas lui répondit :
— Je suis l’agent spécial du FBI John Baldwin. Et vous, qui êtes-vous ?
— Je suis celui qui essuie le sang sur ce putain de téléphone pour pouvoir répondre. Vous connaissez un certain Jerry Grimes ?
— Oui. Je travaille sur une enquête avec lui. Je peux lui parler ?
— Hum, je suis navré, monsieur, mais ça ne va pas être possible. Je suis l’inspecteur Moss, Mike Moss, de la police d’Asheville. On dirait que votre ami Grimes a eu un petit accident avec son arme de service. Il s’est tiré une balle dans la tête. Je suis vraiment désolé, mais il est mort.
Baldwin resta silencieux pendant un moment. Accident. Sang. Arme. Tête. Aucun de ces mots ne faisait sens, et il secoua la tête en essayant de décoder.
— Attendez, vous m’avez bien dit que Grimes s’est tiré une balle dans la tête, et non pas qu’il a été abattu par quelqu’un d’autre ?
Baldwin s’était redressé sur le canapé. Cela sentait la catastrophe. La grosse catastrophe.
— Oui, monsieur, il s’est suicidé. Nous nous trouvons dans le bar de l’hôtel où M. Grimes résidait. Il y a beaucoup de désordre. Apparemment, il était au bar depuis deux heures et buvait comme un trou, et il a perdu les pédales. Il s’est mis à hurler et à faire des grands gestes. Le coup est parti à quelques millimètres de sa tempe droite. Je suis prêt à parier que notre médecin légiste trouvera un moyen de classer ça en accident, mais je peux vous le dire : il s’est suicidé. Bon, vous venez ici pour récupérer le corps, ou quoi ?
— Holà ! Calmez-vous, mon vieux. Je dois d’abord vous poser une question, ensuite je déciderai si je dois venir ou pas. Est-ce que Grimes avait une serviette ou des dossiers avec lui ?
Il entendit l’homme se renseigner avant de reprendre la communication.
— Ouais, il y a un dossier sur le comptoir, à l’endroit où il était assis. Une chemise en papier kraft avec ce qui ressemble à des photos de scène de crime. Et il y a une autre photo, aussi, juste à côté, un beau brin de fille… Oh…
Il se tut pendant un moment et reprit :
— La fille, sur cette photo, est sans le moindre doute la même que celle qui figure sur les autres. Il y a également un sachet en plastique et on dirait qu’il y a un texte sur une feuille de papier, ainsi qu’une punaise.
— Vous pouvez lire ce texte ?
Baldwin l’entendit lire les premiers vers de La Puce. « Merde, Grimes ! »
— Est-ce qu’il y a un nom avec la photo ?
— On dirait une photo de carte d’étudiant… avec un cachet officiel. Oh ! merde, c’est une étudiante du coin ! Elle va à l’université de Caroline du Nord, à Asheville. Il y a aussi un nom écrit à la main au verso de la photo : Noelle Pazia, 2004. Merde alors, on dirait que j’ai un autre cadavre sur les bras. Vous savez où il a largué son corps ?
Baldwin s’aperçut que le policier pensait que Grimes avait commis le meurtre avant de se suicider.
— Non, non, Grimes n’a pas tué cette fille. Je pense qu’il s’agit de l’identité d’une fille dont on a retrouvé le corps à Louisville, dans le Kentucky. Ce que vous avez sous les yeux, ce sont les photos que la police de Louisville devait envoyer à Grimes. Nous partons de l’hypothèse que le meurtre a été commis par l’Etrangleur du Sud. Ce qui veut dire qu’il faut que je demande à notre antenne de Louisville de s’en occuper séance tenante. Il faut que vous m’envoyiez une copie de ces photos immédiatement. A ce numéro : 615 555 9897. Et Grimes, où l’emmène-t-on ?
— Le décès a été constaté sur place. Il a été transporté à l’institut médico-légal. Vous savez s’il a de la famille qu’il faudrait prévenir ?
— Je vais appeler mon patron. Il s’appelle Garrett Woods. Il va vous téléphoner pour mettre au point les arrangements nécessaires. Grimes était un type bien. Occupez-vous correctement de lui, d’accord ?
— Ne vous inquiétez pas pour ça, monsieur.
Après avoir raccroché, Baldwin s’affala sur le canapé. Qu’est-ce qui avait bien pu se passer ? Il savait que Grimes était stressé, ces derniers temps, et qu’il prenait cette enquête un peu trop à cœur. Baldwin s’en voulut. S’il était resté à ses côtés, il aurait peut-être pu l’empêcher de se suicider. Il entendit la sonnerie du téléphone, puis le télécopieur se mettre en marche. Il se rendit dans le bureau et regarda la photo de Noelle Pazia sortir du télécopieur. Il plongea son regard dans celui de la jeune femme et crut comprendre ce que Grimes avait ressenti, ce qui l’avait poussé à cet acte fatal. Baldwin était passé par là, lui aussi. Mais cette fille… Elle avait l’air si innocente, pleine d’espoir et de vie, ses yeux étaient emplis d’une telle bonté… Et ce n’était qu’une mauvaise télécopie qu’il examinait, et non la personne telle qu’elle avait été de son vivant.
Elle n’avait pas été étranglée. Ses mains n’avaient pas été sectionnées. Si l’Etrangleur du Sud avait fait ça, peut-être s’était-il apitoyé. En tout cas, il ne s’était pas acharné sur elle, ainsi qu’il l’avait fait avec les autres victimes. Baldwin ne comprenait pas tout, mais il se rendait compte que l’innocence de Noelle avait peut-être fait débander le tueur. C’était peut-être pour ça. Il l’avait déjà enlevée mais quand il l’avait regardée de près, il s’était aperçu qu’il ne pourrait pas y arriver. Enfin, le saurait-on un jour ? Ces tueurs en série n’en faisaient qu’à leur tête. Etablir leur profil tenait du jeu de hasard : on ne pouvait jamais savoir de quoi ils étaient capables.
« Bon, se dit-il, retrouvons notre sang-froid. » Il avait besoin de se concentrer, il y avait encore beaucoup à faire. Il entreprit de dresser une liste, tout en composant le numéro de l’antenne du FBI à Louisville. Une femme lui répondit et il demanda à s’entretenir avec le responsable local.
— C’est moi, l’agent spécial en chef Eleanor Walker. En quoi puis-je vous être utile ?
Baldwin se présenta.
— J’ai l’identité de votre brune. Elle s’appelle Noelle Pazia et étudiait à l’université de Caroline du Nord à Asheville. Elle a été enlevée et personne ne s’est aperçu de sa disparition sur le moment. Le meurtre est attribué à l’Etrangleur du Sud, même si les informations que je viens de recevoir ne semblent pas correspondre à son mode opératoire habituel. Vous me confirmez ces informations ?
— Oui, c’est ce que nous avons aussi. Le fait que c’est une fille d’Asheville nous incite à penser que c’est un coup de l’Etrangleur du Sud, mais l’absence de violence est troublante. La cause du décès, d’après le médecin légiste local, serait l’asphyxie. Un niveau très élevé d’histamine dans son organisme, une hémorragie pétéchiale. Il appelle ça une crise d’asthme asphyxiante. Elle a été victime d’une crise d’asthme fatale. Nous allons poursuivre nos recherches dans ce domaine, le dossier est transmis au labo du FBI à Quantico.
Une crise d’asthme. Intéressant. Peut-être était-elle morte avant qu’il n’ait pu la tuer. Cela pouvait expliquer pourquoi elle n’avait pas subi de sévices corporels.
— Je vous remercie, agent Walker. A l’heure qu’il est, je n’en sais pas plus que vous. Je suis sur une piste, ici à Nashville, et je viens d’apprendre que nous venons de perdre un collègue. Je suis complètement débordé.
— Ne me dites pas qu’il s’agit de Jerry Grimes.
— Vous le connaissiez ?
— Oui. La rumeur courait déjà, cet après-midi. Je lui avais parlé un peu plus tôt dans la journée et je lui avais envoyé les photos de la découverte de notre inconnue, dont vous m’apprenez qu’elle se nommait Noelle Pazia. Il avait l’air ivre. Il a eu un accident ?
Baldwin n’était pas disposé à divulguer les causes exactes de la mort de Grimes.
— On pourrait dire ça. On est encore un peu dans le brouillard, à cet égard.
— Merde, en tout cas, c’est bien triste. Ça fait toujours de la peine de perdre un type bien.
Baldwin se sentit accablé. La mort de Grimes allait le hanter.
— Vous avez raison, c’était vraiment un type bien.
— En attendant, j’aimerais que vous me fournissiez davantage d’informations, agent Baldwin. Car voilà que nous avons, nous aussi, une disparition sur les bras. Et celle-là, elle a bien été signalée. Ivy Tanner Clark… Son père n’est autre que Tanner Clark, le magnat de l’élevage de chevaux. Et il fait tant de raffut que je m’étonne que vous n’en ayez pas encore entendu parler à Nashville.
Baldwin se laissa tomber sur le canapé. « Merde ! »
— Bon, écoutez, il faut que vous fassiez la chose suivante. Nous venons de nous apercevoir que le tueur laisse des poèmes sur les lieux où il enlève ses victimes. Il faut que vous cherchiez dans la voiture d’Ivy Clark et dans ses effets personnels. Voyez s’il n’a pas laissé un message écrit.
— Je ne me rappelle pas avoir vu cette information dans nos fichiers.
Elle avait l’air agacée et Baldwin décida de prendre les devants.
— Nous n’avons pas caché cette information. Cela fait seulement deux jours que nous sommes au courant, pour les poèmes. Rendez-moi service et essayez de trouver ce poème, d’accord ? Rappelez-moi dès que vous serez fixée.
Il lui donna rapidement son numéro de téléphone portable et raccrocha.
Il se passa la main dans les cheveux et composa avec appréhension le numéro de son patron. Garrett n’allait pas être très content de cet appel.
Il répondit à la première sonnerie.
— Je suis déjà au courant, cria-t-il. Vous n’aviez rien vu venir ?
— Eh bien, peut-être… Mais je ne pouvais pas imaginer qu’il en arriverait là.
La voix de Garrett s’adoucit.
— Il va falloir que vous surmontiez ça. J’aurais dû exiger plus tôt que Grimes soit déchargé de cette enquête.
— Plus tôt ? Qu’est-ce que vous entendez par « plus tôt » ?
— J’ai appelé Grimes il y a deux heures. Je lui ai dit de laisser tomber et de venir illico à Washington… pour assister à une audience de la commission de discipline.
— De discipline ?
Baldwin resta songeur un instant puis ajouta :
— Vous plaisantez ?
— Non. J’ai procédé à quelques vérifications. Il se trouve que Grimes bavardait, à notre insu, avec un journaliste new-yorkais… qui n’est autre que son propre fils. Eh oui, c’était Grimes, la source des fuites. Nous avons parlé avec le fiston et il a nié être informé par son papa. Il a refusé de révéler ses sources. Mais un simple contrôle sommaire des appels de Grimes a contredit ses dénégations. Ils n’ont pas arrêté de se téléphoner, depuis le début de l’enquête…
— Je vois que vous ne chômez pas.
— Ouais… Et tout ça, pour quoi ? Pour se retrouver avec un agent mort ! Grimes allait devoir démissionner du FBI, de toute façon. C’est donc davantage ma faute que la vôtre s’il s’est suicidé, Baldwin. Mais il n’y avait pas que ça. Sa vie était en train de se briser. La mort de Grimes nous évite d’aborder certains problèmes. Vous n’avez pas besoin d’en savoir plus pour l’instant. Continuez d’avancer dans votre enquête. Sans penser au passé.
Baldwin lui soumit l’hypothèse Jake Buckley. Garrett convint qu’il était urgent qu’ils aient une conversation avec ce monsieur, et le plus vite possible. Alors que Baldwin s’apprêtait à raccrocher, Garrett ajouta in extremis :
— Ne lâchez pas l’affaire, Baldwin. Vous êtes près du dénouement.