Taylor traversa le parking brûlant du Centre de justice criminelle de Nashville, en songeant à ce qu’elle allait faire de sa journée. Elle mit ses mains en visière, face au soleil, pour contempler ce bâtiment où elle se sentait chez elle. Le CJC était un petit immeuble sans charme qui hébergeait les principaux services de police de Nashville. Lors de la dernière restructuration des services, certains bureaux avaient dû être transférés dans d’autres locaux. Le nouveau patron avait aboli la division en cinq services sectoriels et il n’en restait que trois : Sud, Ouest et Nord. Des inspecteurs qui dépendaient précédemment de services spécialisés, comme celui des homicides ou celui des vols, travaillaient à présent dans des commissariats de quartier. Ceux qui étaient restés à la brigade des homicides avaient obtenu de demeurer au CJC pour enquêter sur les cas les plus difficiles. S’il n’y avait pas de suspect ou pas d’indices, ou si l’enquête s’avérait ardue, l’enquête était confiée à Taylor et à ses subordonnés. Cela signifiait moins de travail de routine pour eux. Les autres inspecteurs avaient été dispersés dans la région et expédiaient les affaires courantes, remplissant des fonctions de base.
Le rythme des crimes de l’Etrangleur du Sud s’emballait et les médias donnaient de la voix, exigeant des progrès dans l’enquête. Les chaînes d’info s’étaient emparées du sujet et entretenaient la panique, informant les téléspectateurs toutes les demi-heures des développements de l’enquête, soulignant les échecs de la police dans les cinq Etats où avaient eu lieu les meurtres. Jessica Porter était à la morgue de Nashville et les parents de Shauna Davidson imploraient les autorités de leur restituer le corps de leur fille. Cet aspect des choses échappait complètement à Taylor. Le FBI coopérait pleinement avec les polices locales mais, dans le fond, il avait fait main basse sur le dossier. Elle laissait Price se débrouiller avec la dimension politique de l’affaire et les problèmes juridiques qu’elle posait. Personne ne pouvait nier que le FBI disposait de meilleurs labos et de tous les moyens nécessaires ; au moins le travail de la police scientifique serait-il ainsi accompli avec plus de promptitude et d’efficacité.
Elle gravit les marches de l’escalier de service, évitant l’énorme cendrier qui trônait sur le palier. Elle ressentit une brève envie d’en griller une, mais se contrôla et glissa sa carte d’accès dans la fente du boîtier. La porte s’ouvrit en grinçant et elle pénétra dans le hall d’entrée aux murs ternes, en foula le linoléum. Suivant la flèche verte, elle se dirigea vers le bureau des homicides.
L’ambiance était calme, ce matin-là. D’abord parce que la plupart des briefings hebdomadaires avaient lieu au même moment, ce qui signifiait que tous les pontes étaient en réunion. Elle se demanda brièvement si quelqu’un avait appris la mésaventure de Betsy, mais décida de ne pas y penser. Ce n’était pas son boulot de s’en préoccuper. Son boulot consistait à étudier le dossier du Violeur de la Pluie.
En atteignant le bureau des homicides, elle ressentit une pointe d’amertume à l’encontre de Baldwin qui lui avait soufflé son meurtre le plus intéressant depuis des semaines — encore une grosse affaire qui était passée dans les mains du FBI. Elle en admettait la nécessité mais ne pouvait s’empêcher d’éprouver de la déception. D’ailleurs, enquêter sur un violeur en série était loin d’être méprisable. Au contraire, le Violeur de la Pluie s’étant montré insaisissable depuis tant d’années, elle était heureuse d’avoir l’occasion de consulter son dossier, d’y dénicher peut-être quelque indice qui aurait échappé aux autres enquêteurs.
Mais elle regretta un instant de ne pas être sur la route en train de traquer l’Etrangleur du Sud.
Elle traversa le bureau des homicides, plein à craquer d’objets divers. Même si plusieurs inspecteurs de la brigade avaient été mutés dans d’autres services, ils avaient laissé derrière eux tout un bric-à-brac. Il restait seize minuscules postes de travail que les ouvriers chargés de la rénovation des locaux avaient commencé à démonter, pour réaménager l’espace disponible. Une fois les travaux achevés, il ne devait subsister qu’une dizaine de postes de travail, ce qui devait procurer aux inspecteurs davantage d’intimité et une meilleure ergonomie. Mais Taylor avait hâte que se termine ce chantier.
Avec la restructuration, Taylor était montée en grade. Elle avait récupéré le bureau du capitaine Price, lequel avait hérité d’un nouveau local au deuxième étage où il avait rejoint le reste de l’encadrement. La table de travail et les fauteuils du capitaine — et, plus important, la porte qui la séparait de ses subordonnés — étaient à présent siens. Elle avait proposé à Fitz de partager ce privilège, d’occuper ce bureau quand elle n’y était pas, mais il avait repoussé l’offre. Il tenait à être au plus près de l’équipe. Même si elle n’était qu’à quelques petits mètres de celle-ci, elle comprenait les raisons du refus de Fitz. La séparation était palpable, et Taylor mettait du temps à s’y habituer. Il lui arrivait encore de sursauter lorsqu’on frappait à la porte, qu’elle ne fermait que rarement — elle aurait préféré partager la promiscuité de ses hommes.
Le local principal de la brigade, habituellement très animé, était silencieux et paisible. Elle savait que deux de ses inspecteurs, Marcus Wade et Lincoln Ross, étaient en train de déposer devant le tribunal ce matin-là. Elle avait renvoyé Fitz chez lui afin qu’il se repose un peu. Les autres membres de l’équipe de nuit avaient regagné leur logis. Elle était seule sur place.
Taylor avait l’habitude des heures de solitude, elle les appréciait, même. Depuis sa rencontre avec Baldwin, cette disposition d’esprit était néanmoins en train de changer. Il passait une bonne partie de son temps à travailler chez elle. Son transfert à Nashville en tant que profileur lui permettait d’écourter ses déplacements et de fixer son propre emploi du temps, de participer à des enquêtes qui l’intéressaient. Si une grosse affaire survenait, comme celle de l’Etrangleur du Sud, c’est à lui qu’on faisait appel. Il demeurait le principal psychologue du FBI, même s’il ne travaillait plus qu’à temps partiel.
Ils ne vivaient pas officiellement ensemble, mais Baldwin avait envahi le petit bureau du domicile de Taylor, et elle était secrètement contente du fouillis qui en résultait. Elle avait l’impression d’appartenir à quelqu’un pour la première fois — et si cela entraînait un peu de désordre, eh bien tant pis. Il semait également la pagaille dans la cuisine, mais elle lui pardonnait volontiers tant qu’il lui faisait de bons petits plats pour le dîner. Nombreuses étaient les nuits où elle rentrait épuisée du travail et peu disposée à accomplir cet effort supplémentaire.
Depuis « l’accident », comme elle se plaisait à nommer sa mésaventure — c’était moins dramatique que de dire : « la fois où je me suis fait égorger » —, elle se sentait plus fatiguée qu’auparavant. Les médecins trouvaient cela normal. Le coup de couteau avait atteint une artère et elle avait perdu une grande quantité de sang. « Vous avez failli y passer, avaient-ils affirmé. Vous devriez vous reposer un bon moment. Le corps met du temps à se rétablir après un tel choc. » Sa voix n’était redevenue normale qu’au bout de trois mois. Elle avait toujours été rauque et, depuis l’accident, elle était carrément éraillée, ce que Baldwin adorait. Il la taquinait en lui affirmant qu’elle ferait une excellente animatrice de radio en nocturne ou une spécialiste du téléphone rose. Elle ignorait ses moqueries et suivait assidûment des séances de rééducation vocale. Au début de sa convalescence, les médecins estimaient qu’elle ne pourrait plus jamais parler, mais elle les avait stupéfaits en coassant trois jours après son opération du larynx. En s’appliquant, elle était redevenue elle-même et se sentait chaque jour un peu plus robuste.
D’avoir frôlé la mort avait cimenté sa relation avec Baldwin d’une manière étonnante. Pendant longtemps, Taylor avait craint qu’il ne reste avec elle que par pitié. A présent, elle savait qu’il n’en était rien.
Souriant à cette pensée, elle emprunta le couloir qui menait au bureau des agressions sexuelles. La pièce n’était pas vide, mais les quelques policiers présents semblaient préoccupés. Elle savait que Brian Post avait dit à tout le monde que Betsy avait eu un accident de voiture et se trouvait à l’hôpital. C’était l’explication la plus plausible à son absence et cela expliquerait ses blessures. Il avait prévenu ses collègues que le lieutenant Taylor Jackson, de la brigade des homicides, allait reprendre le dossier du Violeur de la Pluie, pendant que Betsy était en arrêt de travail. Lorsqu’elle pénétra dans le bureau, elle fut accueillie par quelques gestes amicaux. Rendant leurs saluts aux collègues, elle se dirigea vers le bureau de Betsy, où une bonne âme avait rassemblé les pièces du dossier, attachées avec un élastique et prêtes à être emportées.
Elle s’en empara et fila avant que quelqu’un n’essaie d’engager une conversation à ce sujet. En revenant à son propre bureau, elle put constater que les couloirs se remplissaient d’hommes et de femmes en uniforme ou en civil qui allaient en petits groupes reprendre leur service. La vie revenait dans l’immeuble. Elle soupira. La douce tranquillité des premiers instants de la matinée était passée.
Elle entra dans son bureau, alluma la lumière et referma la porte derrière elle. Elle avait besoin d’un peu d’intimité pour étudier ces documents. Sept femmes agressées, sans compter Betsy. Même si elles n’avaient pas subi de dommages physiques, elles étaient traumatisées à vie. Taylor entendait les aider à se reconstruire.
Elle s’assit à sa table de travail, inspira profondément et ouvrit le rapport de synthèse. Un résumé aseptisé — pas de conclusions, juste les faits. Elle se mit à lire et se perdit bientôt dans la masse des différents rapports.
* * *
Taylor sursauta lorsqu’elle entendit frapper à la porte. Elle plaça une feuille par-dessus le dossier ouvert, au cas où ce serait une personne à qui elle ne faisait pas confiance, avant de crier :
— Entrez !
La porte s’ouvrit, laissant le passage à Lincoln Ross dont les larges épaules et le costume Armani emplissaient l’embrasure de la porte. Lincoln, qui se souciait beaucoup de son élégance vestimentaire, s’habillait avec sobriété et bon goût. C’était surtout l’un des meilleurs spécialistes en informatique de la police. Il pouvait retrouver la plus infime trace d’un passage dans le cyberespace. Il lui adressa un large sourire, creusant les rides qui parsemaient sa peau café au lait.
— Vous travaillez sur quoi, lieutenant ?
— Une nouvelle… Non, en fait une vieille affaire, mais nouvelle pour nous, qu’on vient de nous refiler. Où est Marcus ?
— Il est allé chercher un soda, il arrive. C’est quoi, cette affaire ?
— Attendons qu’il soit là, je n’ai pas envie de me répéter. Ça s’est bien passé, au tribunal ?
— Très bien. On a ruiné sa défense, à ce salaud. Il ne pourra plus jamais pratiquer, sauf en prison.
Lincoln et Marcus avaient enquêté pendant deux mois sur la mort prétendument accidentelle d’une habitante du quartier huppé de Belle Meade. L’instinct leur avait soufflé que c’était un meurtre, alors qu’une mise en scène pouvait faire croire, de manière très convaincante, à un suicide. Ils avaient eu raison. Le mari de la victime avait versé un cocktail mortel à base de cyanure dans l’apéritif de sa moitié avant de lui placer un pistolet dans la main et d’appuyer sur la détente. Lincoln avait découvert la vérité avant les médecins légistes en récupérant un brouillon du prétendu mot d’adieu de la victime qui avait été effacé du disque dur de l’ordinateur du mari.
Lincoln était encore sur un nuage.
— Il a été condamné pour meurtre avec préméditation. Ces pauvres jurés sont restés enfermés là-dedans pendant deux semaines, mais ils n’ont pas traîné, ce matin, pour rendre leur verdict.
Taylor le remercia d’un hochement de tête.
— C’est du bon boulot. Salut, Marcus.
Marcus Wade venait de faire son entrée dans le bureau, fier comme un chat qui vient d’occire un canari.
— Vous avez l’air content de vous, ce matin, dit-elle en souriant.
Marcus était un jeune et beau garçon qui n’était jamais aussi heureux que lorsqu’il arrêtait les malfaiteurs. Il y avait tant de flics qui s’en fichaient, qui se souciaient seulement de clore un dossier. Marcus et Lincoln étaient fiers de leurs capacités, et Taylor était contente d’avoir de tels adjoints, ce qui les motivait d’autant plus.
— Je suis tout simplement le meilleur policier du monde, se vanta-t-il. Après vous, bien sûr, lieutenant.
Il cligna de l’œil et elle lui envoya un baiser. Lincoln toussa en se couvrant la bouche, mais Taylor crut l’entendre dire en même temps : « Quelles conneries… »
— Vous avez raison, vous êtes fantastique. Vous aussi, Linc. Fermez la porte et installez-vous.
Ils la regardèrent d’un air perplexe mais obéirent. Ils s’assirent dans les fauteuils au confort douteux qui faisaient face à la table de travail. Lincoln repoussa la porte d’un coup de pied. A trois dans une si petite pièce fermée, ils auraient pu avoir l’impression d’être dans une cellule plutôt que dans un bureau. Même s’ils étaient à l’abri des oreilles indiscrètes, l’endroit était vraiment minuscule.
— On va travailler sur une nouvelle affaire. Vous avez entendu parler du Violeur de la Pluie ?
Lincoln écarquilla les yeux.
— Le pervers ? Il a tué quelqu’un ?
— Non, il n’a tué personne. Mais il a violé Betsy Garrison la nuit dernière.
Elle leur laissa le temps de digérer la nouvelle. Lincoln ouvrit la bouche puis la referma en secouant fugitivement la tête. Marcus prit la parole le premier.
— Je pense que vous voulez que ça ne s’ébruite pas ?
— Bien vu, jeune homme. Il faut absolument passer le nom de Betsy sous silence. Elle ne veut pas que les collègues de sa brigade sachent qu’elle a été violée. Elle a été sévèrement brutalisée aussi, et Brian répand le bruit qu’elle a eu un accident de voiture. Dieu merci, elle n’est pas traumatisée par le viol. Je suis allée la voir à l’hôpital et elle a l’air de tenir le coup. Mieux que moi, si ça m’était arrivé.
— Est-ce qu’elle a parlé d’indices qui pourraient nous être utiles ?
Marcus s’était déjà mis en mode « enquêteur ».
— Je suis allée avec Fitz faire les constatations d’usage sur les lieux du crime. Mais on n’a rien trouvé d’intéressant. Il y avait une empreinte sur la porte de derrière, et on va la comparer avec d’autres empreintes relevées à la suite de ses précédents viols. Il y a de bonnes et de mauvaises nouvelles, de ce côté-là. La police scientifique dispose de traces d’ADN retrouvées après chacun des viols. Elle n’en a pas fait part publiquement, ni aux services de police, pour éviter les fuites tant que le Bureau d’investigation du Tennessee n’a pas obtenu les résultats d’analyse du CODIS. On a trouvé de l’ADN sur Betsy, et du spermicide qui correspond à la marque de préservatifs dont le violeur se sert. On a la corde aussi, mais c’est une marque courante, la même qu’il utilise depuis le début.
» Voilà ce que j’attends de vous : vous allez vous pencher sur cette agression comme si c’était la première. On n’a pas d’indices, pas de pistes. Je vous demande simplement de trouver son identité. Commencez par lire ça. »
Elle leur tendit à chacun une copie du rapport de synthèse.
Alors que les indices le concernant étaient maigres, le Violeur de la Pluie usait d’un mode opératoire extrêmement original. Il ne violait que pendant les mois qui se terminaient en « é » — janvier, février, mai et juillet. Il ne passait à l’action que lorsqu’il pleuvait, parfois pendant de violents orages. Chacune de ses agressions avait eu lieu le troisième jeudi du mois. Et il n’avait commis que deux viols par an. Il avait frappé deux fois en 2000, 2002 et 2004.
— Et voilà le nom et l’adresse de sa dernière victime. Elle pense avoir une idée de son identité.
— Vous plaisantez ? dirent-ils en chœur.
— Non, c’est sérieux. Betsy l’a interrogée après le viol. Elle m’a dit que cette victime avait de fortes réticences à revivre l’agression et qu’elle avait eu du mal à en tirer des informations valables. Le problème, c’est qu’elle est incapable d’identifier son agresseur précisément. Elle ne connaît pas son nom, ne se rappelle pas l’endroit où elle l’a croisé. Elle a juste une vague impression de familiarité. Allez lui parler et essayez de lui rafraîchir la mémoire.
Marcus était en train de lire le rapport de synthèse.
— Il y a deux ou trois détails qui clochent là-dedans. D’abord, le viol n’a pas été commis un jeudi. Il faut attendre les résultats des analyses ADN. Taylor, vous êtes sûre qu’on n’a pas affaire à un imitateur ?
— Je ne suis sûre de rien. Betsy avait l’air d’être certaine que c’était bien le Violeur de la Pluie. Mais vous avez raison de poser la question. Quand vous aurez ses empreintes, vous saurez ce qu’il en est. Il arrive que les criminels changent d’habitudes. Basez-vous sur les indices, ça vous évitera de vous égarer sur de fausses pistes.
— D’accord, lieutenant. On vous tiendra au courant.
Marcus se leva et s’étira.
— Ouais, ne vous en faites pas, chef. On s’en occupe.
Lincoln adressa un sourire en coin à Taylor et ils sortirent du bureau en parlant de la manière dont ils allaient procéder dans cette enquête.
« Bon, se dit-elle, voilà une chose de faite. » Ce qui était bien avec son nouveau poste, c’est qu’elle donnait des ordres. Elle sourit à cette pensée. En fait, elle avait l’intention de joindre au plus vite ses efforts aux leurs. Mais elle avait quelque chose d’important à faire au préalable.
Elle décrocha le téléphone et composa le numéro de son médecin. La batterie de tests et le contrôle médical permanent, si pénible, étaient derrière elle. Mais certains des médicaments qu’on lui avait prescrits après son accident avaient provoqué des dégâts hépatiques ; et les médecins, les ayant supprimés du traitement postopératoire, avaient insisté pour vérifier par des analyses mensuelles le bon fonctionnement de son foie. Une voix enjouée lui répondit :
— Cabinet du Dr Gregory, je peux vous aider ?
— Shelby, Taylor Jackson à l’appareil. Je voudrais avoir les résultats de mes tests.
La jovialité de son interlocutrice monta d’un cran.
— Ah, Taylor ! Salut ! Le Dr Gregory allait vous appeler. Attendez une seconde, je vais lui demander de vous prendre sur sa ligne.
Taylor fixa une trace d’humidité dans un coin du plafond. Il était temps qu’elle appelle le service de la maintenance pour faire remplacer une tuile manquante. Cette tache brunâtre l’agaçait prodigieusement. Alors qu’elle tripotait un crayon, la voix de baryton du Dr Gregory se fit entendre dans l’écouteur.
— Comment va ma fliquette préférée ?
— Je vais très bien, docteur. Annoncez-moi une bonne nouvelle : dites-moi que je n’aurai plus besoin de vos services.
Le médecin resta silencieux pendant une seconde ou deux, puis se racla la gorge. Le cœur de Taylor chavira. Et merde, elle s’était pliée à tout ce que la faculté lui avait prescrit, et elle se sentait en pleine forme. Enfin, dans la meilleure forme possible après un tel choc.
— Je vous en prie, docteur Gregory, je croyais que tout était réglé.
Elle capta le ton gémissant de sa voix et se redressa sur sa chaise. Elle avait eu l’impression de parler comme une adolescente irascible.
— Ce n’est pas ça, Taylor. Votre foie fonctionne de nouveau très bien. Vous vous sentez bien, sinon ?
— Eh bien, oui. Un peu fatiguée peut-être, mais ce n’est pas nouveau.
Il lâcha un petit rire dans l’émetteur.
— Eh bien, ma chère, vous allez sans doute vous sentir fatiguée pendant un petit moment, encore.
Et pendant qu’il précisait son propos, Taylor sentit le monde vaciller autour d’elle.