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Quinn Buckley était avachie sur le canapé de la bibliothèque. Elle n’avait pas bougé depuis le départ des policiers. Elle était restée allongée, privée de toute énergie. Elle était complètement engourdie. Sa sœur était morte. Son mari était parti. Et son fils était recherché pour meurtre.

Pendant tant d’années, Whitney et ses parents s’étaient disputés à ce sujet. Whitney était disposée à endosser la responsabilité de la naissance de Reese, à assumer que c’était son fils. Elle n’avait pas peur du scandale. Elle n’avait peur de rien. Mais les parents avaient eu le dernier mot.

Le bruit s’était répandu dans la bonne société de Nashville : Eliza Connolly avait eu la chance de tomber tardivement enceinte. Un miracle, une bénédiction des dieux — et cette famille ne le méritait-elle pas, après toutes les épreuves qu’elle avait subies ? Car enfin, Peter Connolly avait trouvé le meilleur moyen de réconforter une femme rongée par le chagrin, et avec quel résultat ! Un fils, bien à eux et bien portant. Bien sûr Eliza avait accouché prématurément, avec presque deux mois d’avance, mais personne n’avait ergoté sur ce détail. Cela aurait été indécent, n’est-ce pas ?

Lors de sa venue au monde, Reese Connolly avait fait l’objet de nombre d’interrogations et d’insinuations, mais il n’en sut jamais rien. L’enfant était intelligent, précoce, et d’une telle beauté avec ses boucles sombres et sa bouche de chérubin. Ces yeux splendides auxquels rien n’échappait. Décidément, Reese excellait en tout.

Quinn remua un peu sur son canapé. Sa vie avait été gâchée par son inaptitude à agir courageusement lorsque les circonstances avaient exigé de l’audace et de la détermination. Elle aurait dû chasser Jake de sa vie à l’instant où il s’était mis à l’accabler de reproches, lorsqu’elle avait essayé de lui dire la vérité. Puis quand il l’avait trompée la première fois. Ou après la dixième fois. Ou la douzième… Elle ne tenait plus le compte de ses infidélités. Elle aurait dû s’opposer à ses parents, à l’exemple de Whitney. Elle aurait dû insister pour que Reese apprenne la vérité sur sa naissance lorsqu’il avait été en âge de comprendre. Mais non, elle n’avait jamais trouvé la force que sa sœur possédait en abondance. C’est cela qui les avait séparées. Quinn, son double, sa compagne d’infortune, qui se rangeait en silence du côté des adultes et refusait d’admettre la vérité.

Oui, elle avait choyé Reese pendant que Whitney l’évitait. Elle avait essayé, en prenant de l’âge, de compenser tout ce qu’elle avait négligé de faire pour lui dans le passé. C’est la raison pour laquelle elle l’avait pris sous son aile lorsque ses parents avaient trouvé la mort. Elle avait enfin pu se comporter en mère avec lui, même si elle avait continué de lui cacher les véritables circonstances de sa naissance. Elle avait fait en sorte qu’il ne manque de rien, qu’il aille dans une bonne école. Elle avait financé ses études supérieures, de la prépa à la fac de médecine. Reese avait touché sa part d’héritage mais elle ne voulait pas qu’il se tracasse pour les détails matériels. Et puis, un jour, il n’avait plus eu besoin d’être materné. Il était devenu un homme.

Un homme recherché pour meurtre. Mon Dieu, pourquoi avait-il mal tourné ainsi ? Elle se mit à rire amèrement. N’avait-elle pas commis toutes les erreurs possibles et imaginables avec lui ?

Le téléphone sonna. Elle essaya de l’ignorer, mais l’insistance stridente de la sonnerie finit par la décider à se lever. Elle se traîna lamentablement jusqu’à l’appareil et le ramassa. Quand elle décrocha, le bruit cessa mais personne ne lui rendit son salut.

Elle s’aperçut qu’il faisait nuit dehors. Elle était restée allongée sur le canapé pendant des heures. Une pensée lui traversa l’esprit. Les jumeaux. Etaient-ils avec Jake ? C’était certainement le cas, car elle ne les avait pas entendus de tout l’après-midi. Elle ne se souvenait pas de lui avoir permis de les emmener quand il était parti, un peu plus tôt dans la journée. Elle se dit qu’il valait mieux l’appeler sur son téléphone portable, pour lui demander fermement de les ramener à la maison.

Elle composa son numéro. Elle eut la surprise de l’entendre décrocher à la première sonnerie. Elle s’efforça de rester courtoise.

— Jake, j’aimerais bien que tu ramènes les enfants à la maison avant la nuit. Je ne sais pas où tu es, mais ils ont besoin de dormir dans leurs propres lits… Quoi ? Ils ne sont pas avec toi ? Tu les as déposés quelque part ? Oh ! mon Dieu ! Jake, où sont-ils ?

Elle se mit à courir dans toute la maison en geignant et en les appelant. Aucun signe, ni de l’un ni de l’autre.

Le téléphone sonna de nouveau. Elle se précipita dessus en espérant que c’était Jake qui la rappelait pour lui dire qu’il l’avait fait marcher, juste pour se venger d’avoir été mis à la porte. Mais ce n’était pas lui.

La voix qu’elle entendit dans l’écouteur était si douce, si basse qu’elle pouvait à peine distinguer les paroles de son correspondant.

— Retrouve-moi dans la clairière. Viens voir mourir tes enfants.