18

Taylor se cala dans son fauteuil, les mains fouillant dans sa longue chevelure blonde. Un rayon de soleil se faufilait dans les interstices du store auquel elle tournait le dos. Les paroles du médecin rebondissaient dans son esprit comme une boule de flipper incontrôlable. Enceinte. Enceinte. Enceinte.

Elle se rejouait la conversation avec le Dr Gregory, comme si elle pouvait en modifier le dialogue ou changer le sens des mots.

— C’est impossible. Je n’ai pas de retard. Je n’ai jamais eu de retard, d’ailleurs. Et je prends la pilule. Croyez-moi, je ne suis pas du genre à oublier de la prendre. Vous devez forcément vous tromper.

— Taylor, ça arrive. Les tests qu’on a pratiqués sont très pointus. Avec cette méthode, on peut détecter les hormones de la grossesse presque immédiatement. Il faut que vous vous détendiez. Je vais vous prescrire une vitamine prénatale, et je veux que vous preniez un milligramme d’acide folique tous les jours. Pas d’alcool, bien sûr. Et je n’ai pas besoin de vous dire qu’il ne faut surtout pas fumer.

Taylor crut qu’elle allait vomir. « C’est psychosomatique », se dit-elle. Elle ne pouvait quand même pas avoir des nausées matinales simplement parce que son médecin venait de lui annoncer qu’elle était enceinte !

— Mais je vous le répète, docteur, c’est impossible… Je n’ai jamais…

— C’est tout à fait possible, et c’est ce qui est arrivé, avait-il dit doucement. Maintenant, je veux que vous preniez rendez-vous avec votre gynéco, et ce sera à elle de vous fournir davantage de précisions.

Sa voix s’était faite plus douce encore lorsqu’il avait ajouté :

— C’est une bénédiction, Taylor. Avec les blessures corporelles que vous avez subies, vous devriez sauter de joie… Avoir récupéré aussi vite, être en état d’enfanter. Tout va bien se passer, je vous le promets. Bon, je dois vous quitter maintenant… Mais on se rappelle bientôt, hein ?

Il avait raccroché juste après qu’elle avait murmuré un « d’accord… ». Elle était restée un moment les yeux rivés sur le téléphone avant de le projeter au loin comme si c’était un serpent prêt à la mordre. Merde ! Ce n’était pas qu’elle ne désirait pas avoir un enfant. Mais elle n’en voulait pas tout de suite, pas si vite. Du moins pas avant de savoir si Baldwin était branché sur ce genre de choses. Ils avaient été trop occupés à faire ce qu’il faut pour en avoir et n’avaient jamais parlé des conséquences. Les conséquences… Merde, voilà qu’elle réagissait comme une adolescente qui avait fauté. Qu’est-ce qu’elle allait faire, à présent ?

Elle ramassa son téléphone portable et composa le numéro de Baldwin. Mais dès qu’elle eut appuyé sur la touche « envoi », elle coupa le contact et reposa l’appareil sur la table de travail.

Les larmes commençaient à monter et elle se sentit encore plus misérable. En tant que trentenaire, elle aurait dû être ravie à la simple pensée d’avoir un enfant. Presque toutes les femmes qu’elle connaissait en avaient déjà fait au moins un. Et celles à qui cela n’arrivait pas faisaient tout leur possible pour y parvenir — les flacons de Clomid dans l’armoire de toilette, les prières ferventes pour que le bâtonnet tourne au rose et pour que les règles ne surviennent pas. Puis le moment de grâce quand cela advenait. Les injections quotidiennes d’Ovidrel, la femme courbée devant le miroir pour vérifier que son homme s’y prenait correctement… Les prières de nouveau, pour que la maturation du follicule ovarien produise l’œuf magique. Le thermomètre basal, les kits d’ovulation, les maris qui éjaculent dans de petits récipients en plastique, avec une lassitude et une gêne presque aussi fortes que le désir de leurs femmes de donner la vie. La fécondation in vitro, les ponctions sur le compte en banque — tout cela au nom de cette quête acharnée de la naissance, d’un prolongement d’elles-mêmes. La plupart de ces femmes avaient passé des années à éviter les grossesses ; et soudain, quand elles se retrouvaient dans l’incapacité d’accomplir ce qui faisait d’elles des femmes, elles ne pouvaient l’admettre et remuaient ciel et terre pour être enceintes.

Le sentiment de culpabilité de Taylor ne cessait de s’accroître. Elle, elle ne cherchait pas à être enceinte. Elle ne voulait pas être enceinte. Car enfin Baldwin et elle en étaient encore à se découvrir mutuellement. Comment une union aussi fragile survivrait-elle à la venue d’un nourrisson ? Elle n’avait jamais abordé le sujet. Leurs vies ne semblaient pas leur offrir la disponibilité nécessaire pour ce genre de projet. Pas encore.

On frappa à la porte et elle se redressa. Elle essuya hâtivement ses larmes, se racla la gorge, se recoiffa et dit :

— Entrez.

La porte s’ouvrit et la substitut Julia Page pénétra dans la pièce. Après avoir jeté un coup d’œil par-dessus son épaule, elle referma derrière elle et s’appuya contre la porte. Elle considéra Taylor d’un œil attentif.

— Mauvaises nouvelles ?

— Non, non. Pas du tout… J’étais juste en train…

Taylor haussa les épaules tandis que sa voix s’estompait. Pas besoin de se justifier. Julia ne s’intéresserait pas à ses petits malheurs.

Julia Page était l’une des substituts du procureur chargés du comté de Davidson. Maligne comme un singe et pas plus haute que trois pommes, elle ressemblait plus à un loulou de Poméranie ébouriffé qu’à la magistrate impitoyable qu’elle était. Les boucles châtaines qui encadraient son minois lui donnaient un air d’innocence et de pureté — une apparence angélique qui avait bluffé plus d’un criminel endurci. Quand les malfrats entraient dans le box des accusés, et qu’ils voyaient ses grands yeux bleus et ses lèvres gracieuses, ils pensaient n’avoir rien à craindre d’une créature aussi délicieuse et juvénile. Comme ils se trompaient !

— Tant mieux, parce que je dois te parler.

Page resta debout, les yeux fixés sur Taylor, vissée sur son fauteuil.

— Je crois qu’on a un problème, reprit-elle.

Taylor grogna. Si Julia Page prenait la peine de venir la voir pour lui exposer un « problème », cela devait être grave. Une migraine naquit derrière son œil droit. Elle fouilla dans un tiroir et en extirpa un flacon d’Excedrin, ôta le bouchon et versa trois comprimés dans sa main. Elle les porta à sa bouche et fit glisser le tout avec une gorgée de Coca Light tiède. Une pensée lui vint brutalement à l’esprit tandis qu’elle avalait l’antalgique — la caféine… Elle ne devrait sans doute pas prendre ce médicament, ni le soda. Elle repoussa cette pensée importune.

— Quel est le problème, Page ?

Page inspira profondément et cracha sa réponse :

— Terence Norton.

— Qu’est-ce que cette petite merde a encore fait ?

— Il vient de sortir libre du tribunal présidé par le juge Hamilton.

La nouvelle étonna Taylor.

— Comment ça, libre ? On l’a arrêté en flagrant délit de meurtre, il est cuit.

— Il était cuit. Le jury l’a acquitté, en quarante-cinq foutues minutes. Quarante-cinq foutues minutes, Taylor ! Toutes les preuves, tous les témoignages, rien n’y a fait. On a perdu ce procès, et c’est un vrai gâchis. Tu as entendu parler de ce meurtre à l’arme à feu qui a eu lieu dans les grands ensembles, il y a quelques jours ?

Taylor hocha la tête.

— C’est la brigade des homicides du secteur Est qui a été chargée de l’enquête. Ils ont arrêté le tireur avant la fin de la nuit.

— Eh bien, la victime devait témoigner contre Terence au procès. Il y a quelques semaines, l’homme a changé d’avis et modifié son témoignage. Il a décidé qu’il n’avait pas vu ce qu’il avait cru voir. Et a refusé de témoigner. On l’a rayé de la liste des témoins, on en avait d’autres. Pourtant, on dirait bien que c’est une exécution, juste au cas où il change d’avis de nouveau. Le meurtrier est venu d’Atlanta. Il prétend qu’il est venu à Nashville pour voir un ami qui habite dans l’appartement voisin de celui du témoin. Il dit que lui et son « ami » se sont disputés au sujet du prix d’un paquet d’héroïne, que le témoin traînait dans le coin et qu’il a été abattu par erreur. Comme par hasard… Ça arrange un peu trop les affaires de Terence, si tu veux mon avis.

— Je suis d’accord avec toi. C’est vraiment cousu de fil blanc. Alors, comme ça, Terence fait venir de la drogue d’Atlanta, maintenant ?

Page grogna.

— En ce moment, Terence se la joue caïd. Il a réussi à se tailler une vraie réputation. Tu sais qu’il se déplace en ville avec quatre gardes du corps, quand il n’est pas en taule ? Ça sent le trafic d’héroïne à plein nez. On n’a rien pour le coincer là-dessus, malheureusement.

— Alors le procès s’est terminé en eau de boudin ?

— Ouais. Ses concitoyens ont trouvé que les faits n’étaient pas établis, je cite l’un des jurés. Il est sur les marches du palais de justice, en train d’en parler aux journalistes de Channel Four. Et de toutes les télés qui veulent bien lui prêter l’oreille.

— Tu ne peux pas leur opposer une injonction de garder le silence ?

— Non. Le procès est terminé et ils sont libres de dire ce qu’ils veulent. Terence est sorti de là comme Michael Jackson, sous les acclamations de ses fans. On a un gros problème, là, Taylor. Un foutu gros problème.

Soudain vidée de son énergie, Page s’affala dans le fauteuil face à la table de travail, la tête courbée.

— On le tenait. Je n’arrive toujours pas à croire qu’ils l’ont acquitté, ce salaud. C’est la troisième fois en quelques mois. Je te le dis, on est dans la merde.

Page parlait plus bas à présent, et Taylor percevait toute la frustration qui imprégnait sa voix.

Terence Norton était un petit voyou surgi de nulle part, un gosse des cités qui avait déjà un casier judiciaire long comme le bras — agressions, cambriolages, meurtres, drogues. Il s’était fait un nom dans les milieux criminels de la ville et son prestige s’était accru à chaque nouvelle arrestation. Acquittement après acquittement, il avait pris de l’envergure et acquis une sorte d’importance au sein de la communauté noire. Il était en train de devenir une légende, ce qui en faisait une menace majeure pour Nashville. S’il était devenu assez sûr de ses arrières pour y importer de la drogue en provenance des grands centres urbains du pays, il représentait un danger jusqu’alors insoupçonné.

Taylor comprenait pourquoi Page était venue la voir. Il se trouvait que Fitz avait établi une sorte de relation privilégiée avec Terence, après que le meilleur ami de ce dernier eut été abattu par un autre voyou des cités. Fitz avait essayé de convaincre Terence d’admettre que le voyou, connu sous le nom de Petit-Mec Graft, avait tué l’ami de Terence. Tandis que l’enquête suivait son cours, Terence avait été arrêté pour avoir abattu un SDF. Quand il avait été amené dans les locaux de la police, Terence avait tout de suite demandé à parler à Fitz. Il lui avait offert de dénoncer Petit-Mec en échange d’une certaine indulgence dans son affaire de meurtre. Son témoignage avait valu à Petit-Mec une cellule dans le quartier des condamnés à mort.

Fitz avait fait mine de passer un accord avec cette petite crapule, sachant parfaitement que les policiers qui étaient intervenus après le meurtre du SDF avaient retrouvé une arme qui correspondait à la description de celle que Terence portait ce jour-là. Un relevé d’empreintes avait prouvé que Terence avait manipulé cette arme. Et les expertises balistiques avaient démontré que les balles qui avaient causé la mort du SDF avaient été tirées par cette arme. Et pourtant le jury avait trouvé judicieux de le laisser s’en tirer. Page avait raison. Le problème était de taille.

Taylor dévisagea la magistrate.

— Ton avis sur ce qui se passe ?

Page la regarda droit dans les yeux.

— A toi de choisir. Jurés soudoyés… Témoins intimidés… Juge corrompu…

Taylor éclata de rire.

— C’est ça ! Et puis quoi, encore ? Terence Norton a soudoyé le juge Hamilton ! Mais enfin, Page, cet homme est une icône dans cette ville. Il a fait enfermer plus de criminels que toi ou moi n’en avons jamais vu. Il est impossible que le juge Hamilton soit un ripou.

— Ah bon. Tu ne crois pas ça possible ?

Page la fixait d’un œil dur et Taylor sentit son estomac se nouer. Le père de Taylor avait lui-même été condamné pour être intervenu frauduleusement dans l’élection d’un juge fédéral, et il avait même passé un peu de temps en prison à cause de cela. Taylor n’était pas certaine que Page n’était pas en train d’insinuer que les juges pouvaient s’acheter avec de l’argent. Mais Terence Norton n’était pas assez riche pour s’offrir un juge. Pas encore.

— Non, je ne le crois pas.

Taylor lui renvoya un regard gris acier.

— Subornation de témoins ou de jurés, d’accord, c’est possible. Mais pas le juge Hamilton. Et je te conseille de ne pas insister dans cette voie. On a vu des carrières de substituts brisées pour moins que ça.

Page prit la mouche et se leva, véhémente.

— Mais qu’est-ce que tu racontes, Taylor ? Tu vas faire un rapport sur les doutes que j’ai sur la façon dont le criminel le plus réputé de la ville se débrouille pour être acquitté chaque fois qu’on l’arrête, malgré une avalanche de preuves ?

— Rassieds-toi. Tu sais bien que je ne vais pas le faire. Merde, Page, je croyais que tu me connaissais mieux que ça, depuis le temps.

Page était toujours remontée, prête à la bagarre.

— Je suis venue te voir parce que j’ai confiance en toi, Taylor. S’il y a quelqu’un dans cette ville qui peut m’aider, c’est bien toi. Tu n’es pas une trouillarde, hein ?

Taylor détourna son regard de celui de Page. Elle remua la nuque pour évacuer la tension. Pas trouillarde. Page avait raison, sur ce point. Taylor avait tué, et plus d’une fois. Elle avait dû se tirer, par la force au besoin, de situations désespérées. Et elle pouvait exhiber ses blessures de guerre pour le prouver. Elle n’était pas violente, non. Jamais de disputes hystériques ni de vaisselle brisée, pas de bagarre avec ses amants. Et pourtant, dans un recoin de son esprit, il y avait cette tendance à l’affrontement. Quelle femme au service de la loi pouvait se targuer de ne pas receler en elle un soupçon de brutalité ? Elle se massa la nuque du bout des doigts et dit doucement :

— Julia, assieds-toi. Causons un peu.

La combativité avait déserté le substitut et elle se rassit, ayant soudain l’air d’une étudiante en droit qui cherchait à se faire pardonner quelque transgression. Elle tripota une boucle de cheveux au-dessus de son oreille et Taylor se rendit compte de sa jeunesse. Il était facile d’oublier combien elles étaient jeunes, toutes les deux. Le spectacle de la mort et du malheur au quotidien, la vie au contact du crime les avaient fait vieillir prématurément.

— Je crois qu’on ferait bien de se pencher sur les jurés et les témoins, plutôt que de soupçonner le juge Hamilton. Terence a beaucoup plus de facilité à intimider les voyous de son espèce ou les membres de la communauté noire qui sont en contact avec lui qu’un président de tribunal.

Page voulut dire quelque chose mais Taylor leva la main et ajouta :

— Ce qui ne veut pas dire que je ne vais pas me renseigner sur Hamilton. Je crois simplement qu’il est beaucoup plus vraisemblable que Terence exerce des pressions sur des gens auxquels il a facilement accès, c’est tout.

Apaisée, Page hocha la tête.

— Bon, voilà ce que je vais faire, poursuivit Taylor. Pete Fitzgerald, mon adjoint, tu lui fais confiance, non ?

— Bien sûr. C’est Fitz qui m’a aidée à monter mon dossier contre Terence. On m’a dit qu’il avait établi une sorte de relation de confiance, ou plutôt de méfiance, avec Terence. Ce n’est pas Fitz qui m’inquiète.

— Bon, alors je vais lui demander de t’assister dans tes recherches. Je vais faire en sorte qu’il fasse avancer ton enquête. Je te l’envoie cet après-midi. A vous, les gens du bureau du procureur, de déterminer une approche. Et puis c’est tout, Page. Je ne veux plus t’entendre parler de Hamilton. Je m’occuperai de cet aspect des choses moi-même. Tu ne vas pas te faire virer maintenant, alors qu’on a tant besoin de toi, hein ?

Taylor se leva, indiquant par là que la conversation était terminée. Page se leva également, tourna les yeux vers Taylor et haussa les sourcils.

— Je suis dans une situation délicate, Taylor. Ne me laisse pas tomber.

Elle ouvrit la porte en grand et sortit. Un courant d’air frais s’engouffra dans le bureau. Tandis que Taylor observait le substitut s’éloigner, elle se délecta de cette brise, s’y baignant comme pour se purifier. Un bébé dans le ventre et un système judiciaire corrompu, que demander de plus ?

Il ne lui restait plus qu’une chose à faire. Elle téléphona à son amie Sam pour lui demander de dîner avec elle. Taylor avait besoin de se confier à une amie, le plus vite possible.

*  *  *

Taylor sortit du bureau du CJC, perdue dans ses pensées, absorbée par ses soucis. Si elle avait pris le temps de regarder de l’autre côté de la porte vitrée avant de se glisser dans la pénombre du crépuscule, sa vie aurait peut-être été plus facile. Au lieu de cela, elle fit l’objet d’une véritable agression.

— Lieutenant Jackson ! cria une voix stridente.

Les oreilles de Taylor se dressèrent. Une équipe de la chaîne locale de CBS, Channel Five, avait élu domicile dans le parking du CJC, dans le but de lui tendre une embuscade. Avec succès.

— Lieutenant, nous aimerions connaître votre avis sur l’affaire du Violeur de la Pluie. Est-il exact que le suspect a violé et passé à tabac l’inspecteur Betsy Garrison de la brigade des agressions sexuelles ?

Taylor fut prise complètement au dépourvu. Elle s’immobilisa, faisant marcher ses méninges à toute allure. Putain de merde ! Comment savaient-ils ? Elle reprit contenance, se redressa.

— C’est exact, lieutenant ?

Taylor dévisagea sa jeune interlocutrice, cherchant à la situer.

— Nous n’avons pas été présentées.

— Edith Conrad, du service de l’information de Channel Five. Je débute aujourd’hui, annonça-t-elle fièrement. Alors, c’est vrai ou pas ? L’inspecteur Garrison serait la dernière victime du célèbre violeur en série qu’on appelle le Violeur de la Pluie ? Ce même violeur en série qui terrorise les femmes de Nashville serait allé jusqu’à agresser un membre des forces de l’ordre ?

— Arrête ton baratin, Edith. Je ne ferai aucun commentaire concernant l’enquête sur le Violeur de la Pluie. C’est une enquête menée par la brigade des agressions sexuelles de Nashville. Nous ne commentons jamais les enquêtes en cours. Mais comme c’est ton premier reportage, je te pardonne cette bévue.

Elle passa rapidement devant les caméras en détournant la tête.

— Lieutenant, cria la fille, je vais diffuser la nouvelle au journal du soir. Je voulais juste être sûre que tout était exact dans mon récit.

Taylor l’ignora et continua de marcher vers sa voiture.

— Lieutenant, nous avons également appris qu’il y avait des analyses ADN en cours en rapport avec cette enquête. Vous êtes sûre que vous ne voulez pas commenter cette information ?

Taylor se tourna brusquement vers la journaliste.

— Qui vous a dit ça ?

Edith sourit d’un air de sainte-nitouche.

— Une source sûre. Voulez-vous confirmer ou démentir cette information ? Nous savons toutes les deux qu’elle est parfaitement exacte.

Taylor l’examina brièvement. La fille était petite, blonde et imbue d’elle-même. Taylor fit la seule chose qu’elle savait faire.

— Pas de commentaire.

Elle traversa la rue en hâte en entendant la voix triomphante de la fille derrière elle.

— Tu as filmé ça ? demandait-elle au cameraman. J’espère que tu n’as pas loupé ça.

— Merde, fit Taylor.

Elle atteignit son 4x4, monta dedans et démarra avant d’ouvrir son téléphone portable. Elle composa promptement le numéro de Mitchell Price. Celui-ci répondit dès la première sonnerie.

— Price, c’est Taylor. On a un problème. Channel Five est au courant, pour le viol de Garrison.

La bordée de jurons qu’elle entendit dans l’écouteur aurait fait la fierté d’un vieux loup de mer. Lorsque Price eut fini par se calmer, Taylor lui relata dans le détail l’incident avec la journaliste.

— Qu’attendez-vous de moi ? demanda-t-elle.

— Rien. Ne faites rien, répondit-il. Je vais essayer d’arranger ça, voir ce qu’on peut faire pour éviter le grand déballage. Merde, Taylor, vous étiez censée ne pas ébruiter la nouvelle !

— Mais enfin, capitaine, je n’y suis pour rien ! Seuls Marcus et Lincoln étaient au courant. La fuite vient d’ailleurs. Peut-être de l’hôpital, ou du labo. Il aurait été difficile de garder le secret longtemps.

— Les médias n’ont pas le droit de donner le nom des victimes de viol, sans leur autorisation. Que ce soit sur les ondes ou sur le papier. Il y a donc une chance pour que le nom de Betsy ne soit pas prononcé. S’ils le font, on ne les loupera pas.

— C’était le premier reportage de cette petite. Je ne peux donc pas faire de pronostic sur son sens des responsabilités. Mais vous devriez trouver un moyen d’étouffer cette histoire.

— On ne pourra pas l’étouffer entièrement, mais je vais m’assurer qu’ils ne publient pas son nom. Et merde !

— Désolée, capitaine. En tout cas, je peux vous assurer que ça ne vient pas de moi ou de mes hommes. Bonne chance.

— Pas un mot là-dessus, lieutenant. Vous m’avez bien compris ? Faites en sorte qu’on n’entende que des « pas de commentaire » à la sortie de nos bureaux.

— Entendu. On se voit demain.

Elle raccrocha, désemparée. Décidément, rien ne tournait rond, ce jour-là.