Taylor était dans son bureau, attendant le retour de Lincoln et Marcus, partis interroger l’avant-dernière victime présumée du Violeur de la Pluie. Elle venait de rater un appel de Baldwin, ce qui la rendait maussade. Elle aurait voulu lui parler, mais il était dans les cadavres jusqu’au cou.
Tandis qu’elle parcourait des rapports qui nécessitaient d’être complétés, Fitz fit irruption dans la pièce, suivi de Marcus et de Lincoln. Il arriva le premier sur le pas de la porte.
— Tout va bien ? demanda-t-il d’un ton bourru.
Taylor lui adressa un regard étonné.
— Tout va bien. Pourquoi ?
— Tu as l’air un peu malade, c’est tout. Tu ne couves pas quelque chose, au moins ?
Taylor balaya ses inquiétudes du revers de la main.
— Je me suis couchée tard. Sinon, je vais très bien.
— Tu es prête à entendre ce que les petits jeunes ont à te dire sur le Violeur de la Pluie ?
Elle hocha la tête.
— Ouais, allons-y. Allons dans la salle de réunion. On étouffe ici.
Elle les conduisit jusqu’à la salle en question, puis ferma la porte derrière elle à double tour, afin d’éviter qu’ils soient interrompus par des importuns.
— Bon, dites-moi tout. Marcus et Lincoln, à vous de commencer.
Lincoln se cala dans son fauteuil, posa une chemise sur ses cuisses et l’ouvrit en grand.
— Nous avons recueilli les déclarations de la dernière victime du Violeur de la Pluie, Lucy Johnson. Il s’agit de la septième victime, celle qui avait confié à Betsy Garrison qu’elle croyait avoir reconnu son agresseur, vous vous souvenez ? Bon, après y avoir réfléchi pendant quelques jours, elle n’en était pas assez sûre pour le dénoncer. Marcus lui a fait du charme, en quelque sorte, et l’a convaincue que c’était ce qu’il fallait faire. C’est là qu’il y a un problème. Elle pense que c’est un type qui fait ses exercices de musculation dans la même salle de sport qu’elle. Elle le croise souvent en ville, aussi. Et à la station-service quand elle va faire le plein. Et aussi au supermarché quand elle va faire ses courses. Bref, c’est un habitant du quartier. Et c’est ça qui est un peu étrange.
— Tu crois qu’elle est sincère ?
Lincoln secoua la tête.
— Nous savons que le violeur opère dans un périmètre géographique bien précis. Il n’en est sorti que pour aller agresser Betsy, dans l’est de Nashville. Tous les autres viols ont eu lieu dans l’ouest ou le sud de la ville : Bellevue, Forrest Hills, Franklin et Brentwood.
— Où habite cette Lucy Johnson ? l’interrompit Taylor.
— Dans la partie sud du comté de Davidson, à proximité de la nationale 100, à la limite du comté de Williamson.
— Et quelle salle de sport fréquente-t-elle ?
— Celle de la YMCA à Maryland Farms.
Lincoln sortit d’autres notes de son dossier.
— Au moins trois des précédentes victimes vont faire de la gym dans cette salle de sport. Il y a donc un rapport. C’est pour ça que Betsy a cru tenir le bon bout quand Mlle Johnson lui a déclaré qu’elle pensait que c’était un type qui venait y faire de la musculation.
— Tout cela est bel et bon, mais l’a-t-elle identifié ?
Marcus esquissa un sourire.
— C’est ça le problème. Elle fait du tapis de jogging et du vélo fixe. Apparemment le type, lui, fait des haltères. Elle n’a pas vu son visage pendant le viol, elle ne reconnaît que ses bras.
Taylor feuilleta son propre dossier, parcourant les déclarations des victimes.
— Des haltères ? Je croyais qu’il était censé être de frêle constitution.
— Mince, pas très grand, mais musclé et robuste. C’est ce que Lucy Johnson en dit, en tout cas.
Fitz était resté silencieux tout au long de cet échange.
— Est-ce qu’elle pourrait le reconnaître parmi d’autres types au cours d’une séance d’identification de suspect ? demanda-t-il.
C’était du Fitz tout craché, pragmatique et soucieux d’efficacité.
— Elle ne se souvient pas du visage. Mais des bras, du corps, de sa manière de marcher. Elle a ajouté que ça faisait longtemps qu’elle ne l’avait pas vu à la salle de sport. Donc, à moins de faire une recherche sur tous les usagers de cette salle et d’organiser ensuite une séance d’identification où ils montreraient tous leurs bras, c’est une impasse.
Taylor se mordilla la lèvre.
— Je croyais vous avoir entendus dire qu’elle le croisait dans son quartier, en train de faire ses courses par exemple.
Marcus consulta Lincoln du coin de l’œil et ils se regardèrent en silence.
— Allez, les gars, crachez le morceau. Il y a quelque chose d’autre, je le sens. C’est quoi ?
Lincoln hocha la tête sèchement vers Marcus.
— Quand elle le voit en ville, il n’est pas habillé en survêtement. Elle pense qu’il conduit une voiture banalisée. Et que c’est l’un des nôtres…
Taylor posa le dossier sur la table et haussa les sourcils.
— Une voiture banalisée, comme les véhicules de service de nos inspecteurs ? Ou juste la voiture d’un policier en civil ?
— Elle ne sait pas. Elle ne semble pas savoir grand-chose, mais elle est certaine de l’avoir vu monter dans une Caprice blanche. Elle a reconnu la manière dont un flic marchait au supermarché. Elle pense qu’il fait de la musculation dans la même salle de sport qu’elle. Et qu’il s’est introduit chez elle un jour et l’a violée. C’est un peu mince.
— Est-ce qu’elle connaît le nom de ce flic ?
— Non, mais elle nous a donné une description de l’individu pas vraiment précise. Une dégaine de militaire, apparemment. Je ne sais pas, Taylor, je ne pense pas qu’on puisse arrêter quelqu’un en se basant sur sa manière de marcher. Et cette Lucy Johnson ne m’a pas paru vraiment claire, si tu vois ce que je veux dire. Il se pourrait bien qu’elle ait eu des hallucinations. Un viol, ça peut être très traumatisant.
— Merci pour le renseignement, Marcus, lui répondit Taylor en souriant. Mais il ne faut négliger aucune piste. Il faudrait en parler à Betsy pour voir ce qu’elle en pense. Vous pouvez vous en occuper ? Je crois qu’elle sort de l’hôpital aujourd’hui. Vous pourriez aller chez elle pour lui demander son avis. Et puis, les gars, je suis sûre que je n’ai pas besoin de vous rappeler d’être discrets. Nous ne voulons pas que la presse vienne camper sur son perron, compris ?
— C’est compris, lieutenant, pas de problème.
Marcus se cala dans son fauteuil et ajouta :
— Je me demande pourquoi il ne frappe que quand il pleut…
Taylor attendit en vain que quelqu’un réponde à cette question avant d’expliquer :
— Parce que la pluie le purifie de ses péchés et qu’elle lave les traces de ses forfaits.
Les trois hommes la regardèrent en hochant lentement la tête. Bon, c’était une explication logique, après tout.
Tandis que Marcus et Lincoln prenaient congé pour aller s’entretenir avec Betsy Garrison, Taylor fit signe à Fitz de rester.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il en tripotant un crayon entre ses doigts boudinés.
— Julia Page est venue me voir. On dirait qu’elle s’inquiète au sujet de notre ami Terence Norton et de son aptitude à se tirer des mailles de la justice avec tant de facilité.
— Ouais, j’ai entendu parler de ce témoin récalcitrant qui s’est fait descendre par un dealer d’Atlanta. Ce mec était recherché là-bas. Et maintenant il est en taule ici pendant que les gens d’Atlanta réclament son extradition à cor et à cri. Ils tiennent absolument à le récupérer. Ils pensent que c’est le second couteau de l’un des plus gros trafiquants du coin. Ils veulent jouer à « faisons un marché » avec lui, et le plus vite possible. Tu sais que ces truands ont pour manie de mourir prématurément dès qu’ils sont susceptibles de témoigner contre leurs patrons.
— Ouais. Page a l’air de croire que ça va plus loin que ça. Elle pense qu’il a été envoyé pour réduire au silence le témoin, au cas où celui-ci changerait d’avis. Elle pense que c’est Terence qui a monté le coup.
— Avec une petite merde comme Terence, tout est possible. Ça se pourrait bien qu’il ait commandité l’exécution. Je ne croyais pas qu’il avait atteint ce niveau, mais enfin…
— Tu veux bien te pencher là-dessus ? Essaie d’apprendre jusqu’où Terence est capable d’aller. Page aimerait bien le coincer pour subornation, intimidation… Peu importe, du moment qu’elle le fait tomber.
Fitz se leva et s’étira, pointant sa vaste bedaine vers le plafond.
— D’accord, je vais lui causer, et voir ce qu’il en est avec un ou deux de mes indics. Je vais tâcher de savoir ce qui se dit dans la rue. Mais il faut que je te prévienne : Terence commence à s’isoler sérieusement du reste du monde. Ce qu’il prépare, c’est peut-être pire que ce qu’on imagine.
— Je te demande de rompre cet isolement, Fitz. Les trafiquants et les gangs sont assez puissants comme ça par ici, on n’a pas besoin de nouveaux caïds dans le secteur. Branche-toi avec la brigade des mœurs, ou avec d’autres collègues. Mais reste discret.
Elle mâcha son crayon un instant et reprit :
— Page pense que la source de la corruption pourrait être plus profonde. Au sein du tribunal lui-même.
Fitz éclata de rire.
— Je ne m’en fais pas pour ça. Terence n’en est pas encore là. En plus, Hamilton était remonté contre Page parce que le jury l’a acquitté l’autre jour. J’ai entendu dire qu’il cherchait à avoir sa peau.
— Ouais, c’est ce que j’ai pensé aussi. Mais vois avec Page ce qu’on peut faire pour les témoins et les jurés. Recueille des renseignements, travaille tes sources, essaie d’en tirer quelque chose.
— T’inquiète pas, ma belle. Je préfère m’occuper d’un criminel que je comprends. Les dealers, les maquereaux, la racaille habituelle de Nashville, ça me connaît. Mais, par contre, je déteste ces affaires merdiques de tueurs en série.
* * *
Taylor rassemblait ses affaires tout en mettant un peu d’ordre dans son bureau lorsque le téléphone sonna.
— Lieutenant Jackson à l’appareil.
— Taylor, c’est Mitchell. J’ai besoin que vous me rendiez un service.
— Etant donné que vous êtes mon patron, vos désirs sont des ordres.
Les répliques de Taylor ne manquaient pas d’amuser Mitchell, et, cette fois encore, il rit de bon cœur.
— Je sais bien que vous êtes ma subordonnée, mais j’ai l’impression que vous l’oubliez souvent. On m’a dit que vous étiez sur les lieux de l’accident où Whitney Connolly a perdu la vie ?
— En effet. Je buvais un café avec Sam à deux pas de là, alors je l’ai accompagnée. Pourquoi, il y a quelque chose qui ne va pas ?
— Non, rien de spécial. Mais je voudrais que vous alliez rendre une visite à Quinn Buckley. Il s’agit de la sœur de Whitney Connolly.
— Je sais qui c’est, patron. Je suis allée à l’école avec elles pendant deux ans. Elles ont changé d’école après leur « accident ». En outre, je crois que tout le monde, à Nashville, sait qui sont Quinn et Whitney.
— Ouais, eh bien, ça fait longtemps et ces filles ont subi une épreuve terrible. Et maintenant, voilà que Whitney est morte, et c’est un grand choc pour Quinn, d’après ce qu’on m’a dit. Ce n’est pas seulement une sœur qu’elle a perdue, mais une jumelle identique… Apparemment, Quinn a du mal à surmonter son chagrin, ce qui n’est pas surprenant. J’ai entendu dire que les jumeaux ont entre eux des rapports spéciaux, qui n’existent pas entre les autres frères et sœurs… Bon, je m’éloigne du sujet. Elle a dit aux policiers qui sont venus lui apprendre l’accident que Whitney avait essayé de la joindre — « frénétiquement », c’est le mot qu’elle a employé. Je crois que vous devriez aller là-bas pour voir ce que « frénétiquement » veut dire à Belle Meade.
— Ce sera avec plaisir. Ça fait longtemps que je n’ai pas visité les beaux quartiers. Et leur affaire, ça en est où ? Est-ce que le type a obtenu une liberté conditionnelle ?
— Non. Il est toujours en taule et il y restera pendant un bon bout de temps. Je ne crois donc pas que la requête de Quinn ait un rapport avec cette vieille affaire. Il ne s’agit que du présent. Mais si vous pouviez y aller pour voir ce qu’il en est plus précisément, je vous en serais reconnaissant.
— Pas de problème.
— Vous en êtes où avec les viols ?
— Lincoln et Marcus ont interrogé la victime qui croit reconnaître son agresseur. Mais elle n’est pas très nette. Je ne suis pas sûre que ce soit une source fiable. Sinon, les gars m’ont dit quelque chose d’intéressant. Elle prétend que c’est un policier qui l’a violée.
Il y eut un silence dans l’écouteur.
— Vous pensez que c’est le cas ? finit par dire Mitchell. C’est peut-être de là qu’est venue la fuite après le viol de Betsy. Si c’est l’un des nôtres, il aura pu facilement le faire savoir aux médias.
— Bien raisonné, capitaine, mais je crois qu’il est encore un peu tôt pour échafauder de telles hypothèses. Je suis toujours convaincue que la fuite est venue d’ailleurs que de cet immeuble. Lincoln et Marcus s’en occupent. Je viens de les envoyer rendre visite à Betsy. On fera toute la lumière là-dessus, je vous le promets.
Après avoir raccroché, Taylor termina de rassembler ses affaires. Elle emprunta la sortie de secours et s’arrêta un instant sur le palier où les mégots s’entassaient dans un seau orangé rempli de sable. Elle inspira profondément et poursuivit son chemin, mais s’arrêta vingt pas plus loin et fouilla dans sa poche pour en extirper un paquet de Camel Light. En alluma une avec un briquet jetable. Puis se justifia pour la millionième fois : « Dès que cette affaire est terminée, j’arrête de fumer pour de bon ».
Elle s’installa dans son 4x4, baissa la vitre et mit la voiture en prise. En soufflant la fumée à l’extérieur, elle se dirigea vers Broadway avant de tourner à droite vers West End.
Elle n’avait pas pensé à l’affaire Connolly depuis longtemps. Cette sombre histoire s’était déroulée quand elle n’avait que treize ans et, à l’époque, ses parents l’avaient préservée autant que possible, évitant d’évoquer la mésaventure des jumelles pour que Taylor ne prenne pas peur. Mais, comme tous les enfants de la ville, elle avait été abreuvée de rumeurs — et si le gros de l’histoire était bien connu, personne n’en savait le détail.
Un après-midi, les jumelles avaient disparu en revenant de l’école. Elles fréquentaient Harpeth Hall, le collège très huppé de Belle Meade. L’école était proche de leur maison et elles y allaient généralement à pied ou à vélo, sanglées dans leurs uniformes. Le quartier était si sûr que nul ne s’en inquiétait. Leurs parents avaient fini par appeler la police ce soir-là, étant sans nouvelles de leurs filles. Dans un temps où les alertes-enlèvement et l’information vingt-quatre heures sur vingt-quatre n’existaient pas, la nouvelle ne s’était pas trop ébruitée. Taylor ne se souvenait pas d’en avoir entendu parler à la télévision ou dans les journaux — ses seules informations sur cette affaire venaient du bouche à oreille. Les filles avaient été enlevées, mais on les avait retrouvées quelques jours plus tard. Elles avaient réussi à échapper à leur ravisseur, un homme étrange du nom de Nathan Chase. D’après les rapports officiels, elles étaient en bonne santé quand elles étaient revenues à la maison. Le moulin à rumeurs avait cependant tourné à plein régime.
L’apparition des sœurs Connolly au lycée catholique du père Ryan, l’établissement de fin d’études secondaires que fréquentaient alors Sam et Taylor, n’avait pas produit beaucoup de remous ; les jeunes filles bien élevées et leurs riches parents avaient fait en sorte que les jumelles soient accueillies à bras ouverts et ne soient jamais tracassées à propos de leur mésaventure. Pas ouvertement, du moins. En réalité, les potins circulaient discrètement et l’on chuchotait les détails de leur histoire dans les vestiaires des clubs de sport ou de majorettes. Les commentaires abondaient derrière les murs du country club de Belle Meade, même si l’on changeait de sujet dès que survenait un proche de la famille Connolly.
Mais les jumelles furent acceptées de bon cœur et invitées à toutes les réceptions de la bonne société. Elles sortaient avec des garçons brillants issus des meilleures familles, obtenaient d’excellentes notes à l’école et s’intégraient parfaitement à ce petit monde de privilégiés. Telles étaient du moins les apparences. Leur mésaventure, au lieu de les affecter, semblait les avoir aidées à se construire.
* * *
Le ciel estival s’obscurcissait avec la venue d’un orage. Taylor ouvrit le toit pour profiter de la fraîcheur qui précédait la pluie. En passant par l’autoroute 40, elle constata que la circulation était languissante. En remontant les rues tranquilles de West End, elle arriva au croisement de Harding Road et de White Bridge Road. Son rendez-vous au Starbucks avec Sam, le matin même, lui semblait dater de plusieurs jours. Elle était parvenue à oublier toutes les émotions qu’elle avait éprouvées au cours des deux derniers jours. Mais, en passant devant le Starbucks, elle se remémora la succession de nouvelles contradictoires qui l’avaient mise dans tous ses états. Elle avait senti le vent du boulet.
Elle se dit qu’il lui faudrait parler avec Baldwin de la fausse alerte — apprendre à son homme comment elle l’avait échappé belle, en s’efforçant d’en plaisanter. Elle tenait trop à cette relation pour risquer de la gâcher par des maladresses. Mais à présent, tout allait pour le mieux. Elle était heureuse. Elle l’aimait, il l’aimait aussi. Point barre. Elle ne courait pas après ce que bien d’autres femmes recherchaient désespérément. Un mec bien, un amant merveilleux, une relation pas trop étouffante : cela lui suffisait amplement. Il n’y avait pas de place dans sa vie pour deux gosses et un chien à dorloter. Elle n’avait jamais été mariée, ne s’était jamais fiancée. Avant Baldwin, elle s’était contentée de prendre son plaisir au gré des circonstances, évitant toute liaison compliquée. Des aventures discrètes et sans lendemain. Le sexe, pas l’amour. Etrangement, elle n’avait jamais souffert de sa solitude.
Elle ralentit en arrivant à l’entrée de Belle Meade. Les traces de l’accident avaient été nettoyées et la rue était de nouveau ouverte à la circulation, mais il subsistait des débris de verre sur la chaussée et sur la pelouse du terre-plein central. Les automobilistes franchissaient le carrefour en fonçant sans s’en soucier, oublieux des quatre êtres humains qui avaient perdu la vie à cet endroit même. Un frisson lui parcourut l’échine et elle remonta la vitre, attribuant cette réaction à la fraîcheur croissante de la brise. Elle tourna à gauche et entreprit de remonter le boulevard paisible et élégant.
Elle n’eut pas même un regard pour la rue adjacente, où elle avait pourtant grandi.
Elle aperçut enfin l’allée qui menait à la demeure de Quinn Buckley. Elle l’emprunta et parvint à un portail en fer forgé noir. Elle s’arrêta devant un Interphone fixé à hauteur de poitrine à sa gauche. Elle ouvrit sa vitre et tendit le cou vers le boîtier.
— Taylor Jackson, pour Mme Buckley, s’il vous plaît, s’annonça-t-elle.
Il n’y eut pas de réponse, mais, au bout de quelques instants, les grilles massives pivotèrent pour lui laisser le passage. Après avoir franchi le portail qui donnait sur un sentier étroit, Taylor s’enfonça dans une véritable forêt, à la fois attirante et menaçante. L’allée serpentait à travers les arbres feuillus sur une bonne centaine de mètres. A la sortie d’un virage, elle aperçut enfin le domaine des Buckley. Même pour Belle Meade, l’endroit était impressionnant. La maison à colonnade se dressait sur deux niveaux, bâtie en briques blanchies dans le style colonial des plantations du Sud. D’épais piliers délimitaient un espace ombragé qui avait été aménagé en une terrasse élégante. Quatre cheminées en pierre s’élançaient vers le ciel. Deux ailes jouxtaient à l’est et à l’ouest le bâtiment central, et Taylor aperçut dans une dépendance un garage assez grand pour abriter cinq voitures, séparé de l’aile est par une véranda couverte de lierre. L’aile ouest s’enfonçait dans le bois voisin, l’architecte ayant habilement tiré le meilleur de la beauté naturelle du site. Les fenêtres étaient tendues de noir en signe de deuil et l’air sembla plus lourd, plus moite tandis que Taylor s’approchait de la bâtisse, donnant l’impression que c’était la maison elle-même qui pleurait la mort d’un proche.
Elle se gara devant une fontaine de style Renaissance, non sans remarquer le soin nécessaire à l’entretien du jardin qui entourait la maison. Cet endroit puait le fric. Taylor appuya sur le bouton d’une sonnette au bas du perron et attendit. Elle entendit marcher à l’intérieur. Au moment où elle commençait à s’impatienter, la porte à double battant finit par s’ouvrir et Quinn Buckley apparut.
Cela faisait très longtemps que Taylor n’avait pas vu Quinn. Si elle avait passé plus de temps à lire les magazines chics de Nashville, elle l’aurait reconnue instantanément. Mais elle ne vit que le visage de la sœur de Quinn. Whitney Connolly était là, devant elle, et Taylor dut secouer légèrement la tête pour chasser cette illusion. En gravissant les marches du perron vers la porte d’entrée, elle put mieux distinguer les traits de Quinn. Elle nota les infimes différences qui permettaient de distinguer les deux jumelles. Quinn était moins bien faite que Whitney, sa bouche, quoique charnue, n’était pas aussi pulpeuse. Taylor se demanda brièvement dans quelle mesure Whitney avait eu recours à la chirurgie esthétique au fil des ans.
Quinn Buckley avait le même regard que sa sœur, sans le moindre doute. Mais tandis que Whitney Connolly se montrait sur les écrans de télévision comme une femme élégante et soucieuse de son apparence, Quinn Buckley respirait la distinction et la richesse. Avec son jean et ses santiags, Taylor se sentit mal fagotée face à cette femme vêtue en Prada. Elle remarqua la coupe de cheveux parfaite de Quinn et, instinctivement, passa la main dans sa propre queue-de-cheval, mais se reprit aussitôt, se redressa, toisant la riche patricienne de son mètre quatre-vingts, et gravit les marches d’un pas décidé.
Quinn tendit à Taylor une petite main manucurée au moment où cette dernière parvenait à la porte.
— Lieutenant Jackson ? demanda Quinn.
Même sa voix différait de celle de Whitney. Elle était plus douce, un peu plus aiguë, et son accent du Sud était plus prononcé. Comment deux femmes pouvaient-elles se ressembler autant et pourtant être si différentes ?
Taylor serra la main de Quinn et hocha la tête.
— C’est bien moi. Comment allez-vous, madame Buckley ? Ça fait des années que nous ne nous sommes pas vues. Je suis vraiment désolée que nous nous retrouvions dans de telles circonstances. J’étais une admiratrice de votre sœur.
Le visage de Quinn se ferma un instant, puis elle afficha un sourire gracieux.
— Bien sûr. Donnez-vous la peine d’entrer.
Elle se tourna et conduisit Taylor dans un vaste vestibule d’où partait un escalier double. Taylor sentit son cœur se serrer légèrement. Cet agencement était similaire à celui de la maison de ses parents, et elle se souvint des glissades qu’elle faisait, enfant, sur la rampe d’escalier. Quinn s’aperçut de son trouble et lui adressa un regard interrogateur.
— Ça me rappelle… Oh ! ça n’a pas d’importance !
Taylor avait déjà senti ce genre de regard se poser sur elle, et l’attitude de Quinn lui fit éprouver une sorte de gêne. Comme si elle n’avait jamais mis les pieds dans une maison de riches. Alors qu’elle venait elle aussi de ce monde. Elle faillit éclater de rire en réaction au regard hautain dont la gratifiait Quinn. Parmi ses parents et leurs proches, Taylor provoquait toujours la même réaction. Ses géniteurs avaient de l’argent, et pourtant elle avait choisi de faire carrière dans la police plutôt que de mener la vie de nantie qu’à l’évidence Quinn Buckley s’était construite. La plupart de ces privilégiés ne comprenaient tout simplement pas que l’argent ne comptait pas pour elle.
— Oui, je vois. Suivez-moi, je vous prie. J’ai pensé qu’on pourrait bavarder dans le bureau.
Quinn tourna à gauche et entra dans une pièce immense, magnifiquement arrangée. L’odeur puissante du cuir vint chatouiller les narines de Taylor, et elle perçut également le parfum fugace de la citronnelle. En pénétrant plus avant dans la pièce, elle eut un instant le souffle coupé au spectacle qu’offrait l’endroit. Un bureau… tu parles ! C’était l’une des plus belles bibliothèques qu’elle ait jamais vues. Les murs étaient tapissés de livres de bas en haut, le mobilier était chaleureux — elle aurait pu s’enfermer dans un tel endroit pendant des années. On n’y trouvait pas la froideur superficielle qui avait frappé Taylor au rez-de-chaussée. Cette bibliothèque était un havre de paix et de confort, un refuge. Un endroit où tout oublier pour se laisser aller, se retrouver, loin de la folie du monde. Elle regarda Quinn et vit que les lèvres de cette dernière frétillaient de plaisir.
— Vous devez aimer lire ? demanda Quinn.
Elle traversa la pièce, s’arrêta devant les étagères en châtaignier et choisit un livre un hasard.
— Moi aussi, reprit-elle. Whitney était une grande lectrice, dans le temps, mais elle a arrêté à l’adolescence. Quant à moi, je ne connais pas de meilleure façon de passer un après-midi qu’en me plongeant dans un bon livre.
— Je suis un peu comme ça aussi. Mais je ne dispose pas d’un endroit aussi magnifique pour lire. Cette pièce est vraiment merveilleuse.
Quinn lui adressa pour la première fois un sourire sincère.
— C’est mon jardin secret. Je demande aux autres membres de la famille de me laisser en paix quand je suis ici. C’est ici que j’échappe aux tourments du monde extérieur.
Elle dit cela d’un ton si las que Taylor en éprouva de la compassion. Quinn venait de perdre sa sœur et Taylor s’extasiait comme une gamine dans une confiserie. Elle reprit le contrôle de ses émotions et se composa un visage mêlant, comme il se devait, deuil et préoccupation professionnelle pour se tourner vers Quinn. Elle se demanda brièvement pourquoi Quinn faisait ainsi pénétrer la police dans son sanctuaire — cela ne lui ressemblait pas. Quinn n’était pas exactement une adepte des familiarités.
— Je suis vraiment désolée pour Whitney. Mon supérieur m’a dit qu’elle avait essayé de vous joindre.
Quinn s’accroupit sur un fauteuil, pelotonnée comme un chat.
— « Essayer », c’est peu dire. Elle a dû appeler vingt ou vingt-cinq fois en moins de vingt-quatre heures. Sur mon téléphone portable, sur mon téléphone fixe… Elle a même laissé des messages au country club.
Ah, songea Taylor, le country club de Belle Meade… Le terrain de jeux favori des riches indigènes de cette enclave de luxe.
— Excusez ma question, mais où étiez-vous ?
Quinn lui adressa un regard indéchiffrable, puis se leva et se mit à arpenter la pièce, effleurant au passage les meubles et les livres comme pour se rassurer en se disant qu’ils étaient encore en sa possession.
— J’étais juste… en vadrouille. Je faisais des courses. Rien de spécial. J’exerce de nombreuses responsabilités et j’ai tendance à circuler dans cette ville. J’oublie souvent de recharger mon téléphone portable. Parfois, j’oublie même de relever les messages sur mon répondeur. Et comme Jake était en ville, je n’allais certainement pas répondre au téléphone. Mon mari passe pas mal de temps hors de la ville et j’essaie de lui accorder le plus de temps possible quand il est ici. Nous avons donc dîné agréablement et nous nous sommes couchés tôt. Ce matin, je suis allée me promener sans emporter mon téléphone portable. Le temps que je revienne et que je constate que tous les appels que j’avais reçus venaient de Whitney, il était trop tard. L’accident avait déjà eu lieu.
La voix de Quinn se brisa légèrement et elle se tourna vers la porte vitrée. Taylor lui accorda un instant pour reprendre sa contenance avant de lui poser la question suivante :
— Madame Buckley, étiez-vous très proche de votre sœur ? Vous vous appeliez tous les jours, une fois par semaine… ?
Quinn avait retrouvé son air digne.
— Non, lieutenant, nous n’étions pas si proches que ça. C’est étrange, pour de vrais jumeaux, mais nous menions des vies séparées depuis l’adolescence.
Ses yeux se mirent à luire — une larme ou l’émotion du souvenir — et Taylor se dit qu’il faudrait se renseigner sur les raisons de cette séparation.
— Je suis navrée, lieutenant, de me montrer aussi impolie. Vous voulez boire quelque chose ? Un café, un thé ? Je crois que j’ai du Coca Light, si vous aimez ça.
— Oui, ce serait parfait. Merci.
Quinn se tourna vers sa table de travail et y ramassa une clochette en cristal. Taylor dut réprimer un rire tant cela lui parut incroyablement prétentieux. Quinn agita la clochette et un instant plus tard une jeune femme brune fit irruption dans la pièce.
— Si, signora Buckley ?
Quinn la gratifia d’un sourire chaleureux qui démentait la nature hiérarchique de leur relation.
— Gabriella, possiamo avere due Coca Light, per favore ? Grazie.
Gabriella s’éclipsa et Quinn se tourna vers Taylor.
— Elle est merveilleuse. Une Italienne. Sa famille est de Florence. Elle voulait venir travailler aux Etats-Unis pour améliorer son anglais et suivre des cours à la fac. Nous avions besoin d’une jeune fille au pair pour s’occuper des jumeaux et remplir quelques tâches dans la maison. Ils l’adorent. Ils parlent italien mieux que moi, maintenant. Ce n’est pas difficile, d’ailleurs.
Cette explication était venue un peu trop vite. Taylor eut l’impression que Quinn lui cachait quelque chose. Intéressant.
Et ces jumeaux ? Taylor savait que Quinn avait des enfants, mais elle n’avait pas pensé à lui demander combien elle en avait, si c’étaient des filles ou des garçons. Elle oubliait souvent les amabilités d’usage. Quinn répondit bien volontiers à cette question muette.
— Les jumeaux, Jillian et Jake Junior, sont à l’école en ce moment. Ils ont presque quatre ans et sont vraiment malins. J’ai été bénie, de ce côté-là.
— A l’école ? Aussi jeunes ?
— Eh bien, il n’est jamais trop tôt pour bien faire. Ils vont à l’école maternelle trois fois par semaine. Vous avez des enfants, lieutenant ?
La question prit Taylor par surprise. Comment était-elle censée répondre ?
« Voyons voir, il y a deux jours, on m’a dit que j’étais enceinte, hier j’ai appris que c’était faux. Je n’en ai pas parlé à mon amant, et il faut que j’aie une longue conversation à ce sujet quand il aura fini de traquer un tueur en série d’une région du Sud à l’autre. » Elle faillit éclater de rire avant de se reprendre et de répondre aussi sincèrement qu’elle le put.
— Non, pas encore, mais ma meilleure amie va avoir des jumeaux. Elle vient de l’apprendre. Vous vous souvenez de Sam Owens ? Elle s’appelle Sam Loughley, maintenant. Elle était dans la même classe que moi.
« Bien joué, Taylor, se dit-elle, bien botté en touche. »
— Oui, je me rappelle Samantha. Elle est médecin légiste à présent. Ça doit être un métier intéressant. Eh bien, c’est merveilleux. Les enfants apportent tant de joie dans une maison. Jake et moi, on était si heureux quand on a appris… Oh ! lieutenant, je ne devrais pas vous faire perdre votre temps avec ces bavardages ! Cela ne me rendra pas ma sœur.
Gabriella interrompit la conversation, apportant les boissons sur un plateau d’argent, avec des verres en cristal remplis de glace pilée.
— Grazie con tanto, Gabriella. Lascili prego sulla tabelle.
La fille posa le plateau sur une table surmontée d’une plaque de marbre avant de quitter la pièce.
Quinn prit la canette de soda, ignorant les verres. Taylor haussa un sourcil et en fit autant. Le geste semblait un peu décontracté pour une dame aussi soucieuse des apparences. Peut-être Quinn Buckley n’était-elle pas aussi coincée qu’elle paraissait l’être.
Elles s’installèrent dans une paire de fauteuils devant l’âtre, de façon à se retrouver face à face. Taylor sortit son calepin.
— Bien. Madame Buckley, pouvez-vous me dire ce qui rendait Whitney aussi nerveuse ?
— Ce sera plus facile pour moi de vous en laisser juger par vous-même.
Elle tendit le bras et appuya sur un bouton. Taylor se rendit compte que le répondeur se trouvait sur le bureau juste derrière elles.
Ah, ah… Voilà pourquoi l’entretien avait lieu dans le sanctuaire de Quinn.
— Vous avez parlé de votre répondeur, tout à l’heure. Vous en avez un autre ?
— Oh ! on a un petit système de messagerie pour toute la famille ! Ce répondeur-là est branché sur ma ligne privée.
Elle n’ajouta aucune autre explication.
La machine ronronna pendant un moment avant de se mettre en mode lecture. Une voix emplit la pièce.
— Quinn ? Quinn, tu es là ? Décroche ton téléphone, merde ! Il faut que je te parle. Je suis en route vers chez toi. Il s’agit d’une urgence. Si tu entends ce message, attends-moi à la maison. Et puis, Quinn, fais bien attention, pour l’amour de Dieu.
La voix était déformée par l’hystérie et Taylor sentit un frisson lui parcourir l’échine.
— Tous les messages étaient-ils comme celui-là, madame Buckley ?
— Oui, la plupart. Mais elle n’a jamais dit ce qui était assez important pour la faire foncer comme une folle vers chez moi et oublier toute prudence au volant. Ce serait plus facile si elle m’avait dit quel était le problème. Et à quoi je suis censée faire attention. Car, enfin, ce n’était pas son genre de se mettre dans tous ses états comme ça.
Elle tripota le galon doré du coussin moelleux sur lequel elle était assise.
— Je voudrais que vous vous penchiez sur cela, lieutenant. Peut-être en étudiant les sujets qu’elle préparait. Elle est peut-être tombée sur quelque chose qui peut me concerner ou l’un des membres de ma famille.
Elle se racla la gorge et ajouta :
— Peut-être Whitney est-elle tombée sur quelque chose de… d’embarrassant. A part ça, je ne vois vraiment pas quoi ajouter.
Taylor demeura silencieuse pendant un moment avant de se lancer :
— Madame Buckley…
— Appelez-moi Quinn. Nous sommes du même âge, après tout. « Madame Buckley », ça me fait toujours penser à la mère de Jake.
Taylor hocha la tête et obtempéra.
— Quinn, vous m’avez dit que votre mari voyageait pas mal. Puis-je vous demander quel est son métier ?
— Ça alors, on peut dire que vous ne vous tenez pas beaucoup au courant, lieutenant.
— Appelez-moi Taylor, je vous en prie. Pas au courant ?
— Eh bien, votre père, Win… C’est un ami de Jake.
Ah, Win Jackson. C’était un sujet qu’elle n’avait guère envie d’aborder.
— Mon père et moi, nous ne nous voyons presque jamais. Alors, dites-moi quel est le métier de Jake.
— Il est vice-président de Health Partners. Votre père siège au conseil d’administration de cette société.
— Oh ! dit Taylor d’une voix faible.
Comme si cela voulait dire quelque chose pour elle. Quinn avait dû surprendre son regard perplexe car elle poursuivit son explication.
— Health Partners contrôle le plus important réseau de petits hôpitaux du pays. Jake doit visiter les différents sites en permanence pour s’assurer que ces établissements sont bien gérés. Health Partners a des intérêts dans de nombreux hôpitaux du Sud-Est et dans certains autres, situés dans le Nord-Est. Cette société est en pleine croissance et le travail de Jake consiste à s’assurer que le choix de ses implantations est judicieux.
Quinn avait l’air de s’ennuyer, comme si elle lisait un rapport d’activités annuel. Son regard s’était éteint et Taylor en déduisit que Quinn ne s’intéressait guère au travail de son mari, en dépit des nombreux avantages qu’un tel poste pouvait offrir. Ce couple-là ne manquait certes pas d’argent.
— D’accord, je vois le tableau. Je vais vous dire ce qu’on va faire. Je suis sûre que vous aimeriez jeter un coup d’œil sur les affaires de votre sœur. Je vais vous accompagner chez elle pour voir ce qu’on peut y trouver. Ça vous va ?
— Très bien. Quand est-ce que cela vous arrangerait d’y aller ?
Taylor remarqua que, tant que Quinn avait évoqué les affaires son mari, toute chaleur humaine avait disparu de sa voix. Et à présent qu’elle parlait de nouveau de sa sœur, elle semblait plus animée.
— Quand vous voulez. Vous aimeriez qu’on y aille maintenant ?
— Je préférerais demain matin. J’ai quelques affaires à régler et je n’ai pas réussi à joindre mon frère cadet, Reese. Il est au Guatemala, en mission avec d’autres médecins de Vanderbilt. Il est le plus jeune interne à avoir été envoyé dans une de ces interventions humanitaires. Ils passent quinze jours à pratiquer des interventions chirurgicales : fentes palatales, articulations… Toutes les opérations que ces pauvres gens n’ont pas les moyens de se payer. La mission de Reese consiste à recevoir les patients en consultation préalable et postopératoire. Quoi qu’il en soit, il ne sera pas rentré avant la semaine prochaine. Je vais essayer de le joindre, mais il m’a prévenue qu’il serait difficile de le contacter. Il doit être débordé de travail.
Taylor lui tendit une carte de visite et dit :
— Quand vous voudrez, demain matin. Appelez-moi et je vous retrouverai sur place.
Ensuite, elles conclurent l’entretien par quelques amabilités et Taylor se hâta de prendre congé. Il y avait quelque chose d’éminemment triste chez Quinn Buckley — et ce n’était pas entièrement dû au fait que sa sœur jumelle venait de mourir.
De retour dans sa voiture, Taylor décida d’aller faire un saut chez Betsy Garrison. Elle composa le numéro de sa collègue et ce fut Brian Post qui répondit.
— Salut, Post. Je peux me pointer ? Je voudrais voir si Betsy va bien. Peut-être lui parler un peu de l’affaire.
— Tu sais quoi, Taylor ? Ce serait peut-être mieux de reporter ça à demain. Elle vient à peine d’émerger, après tous les médicaments qu’elle a ingurgités. C’est seulement maintenant qu’elle se rend bien compte de ce qui lui est arrivé et elle est furax. Le fait que les médias parlent de son histoire n’arrange pas les choses. Je ne tiens pas à ce qu’elle en parle avec d’autres gens pour l’instant, tu vois ce que je veux dire ?
— Bien sûr. Pas de problème. Dis-lui de m’appeler quand elle se sentira prête à en parler. Entre-temps, tu veux que je te fasse un compte rendu ?
— J’en ai déjà parlé avec Lincoln et Marcus. On dirait qu’il va falloir se mettre à chercher dans nos propres rangs, hein ?
— Eh bien, il y a toutes sortes de services de police dans cette partie de l’Etat. Ce n’est peut-être pas un flic de Nashville.
— Ce serait génial, dit-il d’un ton sarcastique. Voilà ce qu’on va faire : j’appelle tes adjoints demain matin et je vois ça avec eux.
— Bonne idée. Embrasse Betsy de ma part. J’ai l’impression qu’elle a de la chance de t’avoir à ses côtés.
— Merci, Taylor. A plus tard.