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Quinn Buckley commençait à s’inquiéter sérieusement. Jake aurait dû rentrer depuis la veille et il n’était toujours pas là. Le FBI cherchait à le joindre et un avis de recherche avait été lancé dans tout le pays. Or, il ne donnait aucun signe de vie. Elle était assise dans la solitude de sa cuisine vide, sirotant une tasse de thé tiède, en proie à la plus profonde affliction. Elle n’était pas parvenue à contacter son frère depuis plusieurs jours, et elle avait été incapable d’organiser les funérailles de sa sœur. Les enfants étaient partis jouer chez des copains. Elle ne se souvenait pas leur en avoir donné l’autorisation, mais elle avait trouvé un mot laconique de la main de Gabriella lui annonçant que les jumeaux avaient été invités à jouer par des petits camarades du voisinage. Elle se sentait complètement perdue dans sa grande demeure silencieuse et morne.

Elle savait que Jake Buckley était incapable d’avoir tué ces pauvres filles. On pouvait reprocher beaucoup de choses à Jake — c’était indubitablement un fieffé poltron, un mari adultère, un époux lamentable… Oui, il était tout cela. Mais pas un assassin. Non. Et lorsqu’elle avait reçu l’appel de ce John Baldwin, du FBI, elle avait volontiers accepté de le recevoir pour s’entretenir avec lui de « certains aspects » de la vie de Jake Buckley sur lesquels il avait besoin de davantage de précisions. Peut-être la solitude lui pesait-elle, tout simplement… Oui, voilà, elle avait besoin d’un peu de compagnie, de se confier à quelqu’un qui l’écoute et la comprenne.

Elle se rendit dans son bureau, le seul endroit de la maison où elle se sentait vraiment chez elle. La lecture d’un bon livre pouvait lui redonner un peu d’entrain. Aussitôt dans la pièce, elle eut un choc. Au beau milieu de son antre se tenait Reese, son petit frère. Elle sursauta et laissa échapper un petit cri de surprise. Il se contenta de la dévisager et elle lut dans ses yeux une insondable tristesse.

— Mon Dieu, Reese, tu m’as fait une peur bleue ! Comment es-tu entré dans la maison ? Je n’ai même pas entendu la sonnette. Mais ça fait du bien de te voir. Depuis quand es-tu revenu à Nashville ?

Elle se précipita pour l’embrasser. Reese était très grand. Comme Jake, il mesurait près d’un mètre quatre-vingt-quinze. Ses cheveux bouclés étaient bruns, ses yeux bleus comme l’océan. Son menton s’ornait d’une fossette qui rendait son sourire d’autant plus malicieux. Son nez aquilin était finement ciselé et sa large mâchoire attestait de sa force de caractère. Quinn ne put s’empêcher de le contempler, admirative. Il était vraiment beau garçon. Et si jeune, encore. Elle se sentit fière de lui.

— Mon chou, ça fait plusieurs jours que j’essaie désespérément de te contacter.

— Désolé, Quinn. Je t’avais dit qu’il serait difficile de me joindre pendant mon voyage. C’était super. Vraiment super. J’ai appris beaucoup de choses. Je suis rentré tard hier soir. Je n’ai eu ton message que ce matin. Mais pourquoi cherchais-tu à me joindre ?

Quinn ne savait pas comment aborder le sujet. Elle n’ignorait pas que Whitney et Reese n’étaient pas très proches l’un de l’autre. Mais ils appartenaient à la même famille, après tout, et cela comptait, quelque part. Elle lui prit la main et le conduisit vers le siège le plus proche, un énorme fauteuil à bascule en cuir garni de clous décoratifs. Elle l’invita à s’asseoir et s’installa sur une ottomane en velours en face de lui. Elle prit ses deux mains dans les siennes et regarda droit dans ses yeux splendides.

— Mon chou, Whitney a eu un accident. Elle est morte. C’est arrivé… Eh bien, elle était en route pour ici… Je ne savais pas si quelqu’un d’autre avait réussi à joindre un des médecins avec qui tu étais parti. Je voulais te l’annoncer moi-même.

Reese ne réagit pas, et Quinn se sentit désemparée. Il ne pouvait quand même pas la détester à ce point ! Reese lui jeta un regard perplexe.

Quinn lui serra les mains.

— Je sais, mon chou, je sais. C’est affreux. Et ce n’est pas tout. La police a saisi l’ordinateur de Whitney. Il semble qu’elle était impliquée d’une manière ou d’une autre avec ce monstre qui tue des filles dans tout le Sud-Est. Je ne sais pas si tu as entendu parler de ce monstre… Toute la presse en parle. Tu es au courant ? Reese ? Reese ?

Reese fixait le vide sans ciller, le visage pâle comme un linge. Une larme unique perla au coin de son œil droit et coula le long de sa joue blême. Il secoua la tête, incrédule. Quinn se remit à jacasser, rompant le silence gêné.

— C’est vraiment incroyable. Whitney, en relation avec un tueur en série ? Je ne vois pas comment ça pourrait être possible et la police ne me tient pas vraiment informée. Je pense qu’elle avait l’intention de faire un reportage sur cette affaire. Et je sais qu’elle essayait de me joindre en urgence, la veille de sa mort…

Sa voix se brisa et elle dut rassembler ses esprits avant de répéter :

— La veille de sa mort… Oh ! Reese, qu’est-ce qu’on va faire ?

Reese finit par la regarder dans les yeux, tout en retirant doucement ses mains de l’emprise de Quinn.

— Alors, elle ne savait pas ?

— Elle ne savait pas quoi, mon chou ?

Reese se leva et marcha vers la bibliothèque. Il tendit un long doigt fin et caressa nerveusement le dos d’un livre rare, délicatement ouvragé.

— Tout ce travail…, murmura-t-il.

Quinn l’entendit chuchoter, sans comprendre ce qu’il disait au juste.

— Qu’est-ce que tu dis ? Je n’ai pas entendu, mon chou. Tu es sûr que tu vas bien ?

Il se tourna vers elle, arborant un pâle sourire, l’œil luisant.

— Tout mon travail. Elle n’en savait rien.

Il se mit à rire, et Quinn ne sut trop que faire. Certes, le chagrin pouvait prendre bien des formes et, même si elle savait que Reese n’avait pas beaucoup d’affection pour sa sœur, elle trouva que ce rire était une réaction étrange et déplacée à la nouvelle du décès de Whitney.

— Ecoute, Reese Connolly, je ne sais pas ce qui te prend. Je viens de t’annoncer que ta sœur est morte et tu éclates de rire. C’est quoi, ton problème ?

Il riait de plus belle à présent, il riait aux larmes.

Il fit un pas vers Quinn, l’embrassa rudement sans un mot et quitta la pièce sans cesser de rire. Quinn entendit ce rire s’estomper et la porte d’entrée claquer. Le vrombissement d’un moteur s’ensuivit, puis le bruit d’une voiture qui fonçait dans l’allée.

Elle s’affala dans le fauteuil dans lequel elle était assise avant l’étrange réaction de Reese à l’annonce de la mort de sa sœur. Qu’est-ce que cela pouvait bien signifier ? Quinn secoua la tête. Cela la dépassait complètement. Elle était certaine qu’il ne pouvait pas savoir la vérité, mais peut-être se trompait-elle. Il était possible, après tout, que Reese ait caché son jeu depuis le début.

La sonnette de la porte d’entrée retentit. Elle inspira profondément, se leva et alla ouvrir. Elle trouva sur son perron Taylor Jackson, accompagnée d’un homme qu’elle présuma être l’agent du FBI qui lui avait téléphoné. Taylor arborait un œil au beurre noir et un sourire pincé. L’agent du FBI avait l’air inquiet.

— Entrez, entrez, je vous en prie.

Elle leur fit signe de la suivre dans le vestibule et les regarda attentivement pendant qu’ils franchissaient la porte. Il se passait quelque chose. Mais quoi donc, encore ? La police avait saisi l’ordinateur de sa sœur et recherchait son mari. Son petit frère avait éclaté de rire en apprenant la mort de Whitney. Sa vie se désintégrait lentement et elle n’y voyait aucun remède.

Taylor et Baldwin s’installèrent dans la bibliothèque, observant Quinn qui voletait autour d’eux comme une plume au vent. Elle finit par s’asseoir en face d’eux puis avala une grande bouffée d’air.

— Je vous en prie, dites-moi tout. Pour quelle raison mon mari est-il recherché par le FBI ?

Baldwin se pencha vers elle, les mains sur les genoux.

— Madame Buckley, nous avons toutes les raisons de croire que votre mari est impliqué dans plusieurs crimes sur lesquels nous enquêtons depuis quelques semaines.

Quinn releva la tête et éclata de rire.

— Laissez-moi deviner : vous pensez que Jake est l’Etrangleur du Sud. Monsieur Baldwin, je puis vous assurer que mon mari n’est pas plus un assassin que je ne le suis. C’est quelque chose qui n’est tout simplement pas possible. Il est incapable de tuer. Il est capable de coucher avec toutes les femmes qui passent à sa portée, ça, c’est incontestable. Mais tuer ? Impossible.

Baldwin ne se découragea pas.

— Madame Buckley, vous n’avez pas l’air de comprendre. Votre mari est passé par tous les endroits où les victimes ont été enlevées, au moment même de leur disparition. Il a également fait étape dans toutes les localités où leurs corps ont été retrouvés après avoir été transportés d’un Etat à l’autre. Cela constitue un indice sérieux susceptible de l’incriminer… Il vous a donné de ses nouvelles, aujourd’hui ?

— Non, aucune. Mais ça ne veut rien dire. Jake est souvent absent plusieurs jours d’affilée sans se manifester. La plupart du temps, je n’ai aucune idée de l’endroit où il peut se trouver…

Sa voix s’estompa. Elle fixa la fenêtre un long moment avant de reprendre :

— Vous parlez sérieusement, hein ? C’est pour ça que vous avez emporté l’ordinateur de Whitney. Vous pensez que c’est Jake qui lui a envoyé ces messages, ces poèmes… Mais pourquoi aurait-il fait une chose pareille ? Jake n’envoie jamais de poème à personne…

Elle s’interrompit, avant d’ajouter d’une voix brisée :

— Du moins, pas depuis longtemps…

Elle ouvrit de grands yeux et s’exclama :

— Ce fils de pute ! Il couchait avec Whitney, c’est ça ? Il lui envoyait des poèmes d’amour, comme à moi, dans le temps… Ce serait un comble. Mais ça serait logique. Mon mari, cet homme parfait, aurait eu une aventure avec ma sœur, si parfaite elle aussi… C’est à mourir de rire, vous ne trouvez pas ?

Baldwin rangea cette information dans un coin de son cerveau avant de tenter de revenir au sujet de leur entretien.

— Madame Buckley, je sais combien ce doit être dur pour vous. Vous venez de perdre votre sœur… Quant à votre mari, eh bien, nous ne savons pas où il se trouve, ni ce qu’il a fait au cours des dernières semaines. J’aimerais que vous me donniez l’autorisation d’emporter quelques effets appartenant à M. Buckley. Nous aimerions procéder à certaines analyses, afin de vérifier…

Quinn s’anima brusquement, crachant des flammes.

— Vous avez perdu la raison ? Vous croyez vraiment que je vais vous remettre quoi que ce soit qui puisse incriminer mon mari ? Revenez avec un mandat de perquisition, monsieur Baldwin. Je ne vais pas vous aider à piéger mon mari, alors qu’il est innocent.

Taylor intervint.

— Quinn, vous savez aussi bien que moi que ce que vous avez de mieux à faire, c’est de nous laisser emporter quelques objets. Ça pourrait permettre de l’innocenter. Et ça serait plus facile pour tout le monde si vous coopériez avec nous, dès maintenant. Réfléchissez bien, Quinn. Sept jeunes femmes ont été assassinées. Une huitième a disparu. Votre mari est dans la nature, Dieu sait où. Votre sœur est morte alors qu’elle essayait de vous prévenir que vous étiez en danger. Tout semble s’articuler. Aidez-nous. Aidez-nous à aider votre mari.

Quinn secoua la tête en laissant échapper un sanglot.

— Non. Pas question. Maintenant, j’aimerais beaucoup que vous sortiez d’ici.

Elle se leva, les bras croisés, les yeux luisants et gonflés par des larmes de colère qui ne demandaient qu’à couler.

Baldwin et Taylor se levèrent aussi. En se dirigeant vers la porte qui donnait dans le vestibule, ils entendirent une sorte de miaulement. Quinn le perçut aussi et elle se précipita dans l’entrée dallée de marbre. Gabriella, la jeune fille au pair italienne, se tenait près de la porte, la tête entre les mains, effondrée et gémissante. Quinn se radoucit un instant.

— Gabriella, ne vous en faites pas. Tout ira bien. Sarà tutto il di destra, cara. Non si preocupi.

Gabriella releva la tête et dévisagea Quinn.

— Non, ça ne va pas du tout. Vous ne pouvez pas comprendre. Il est impossible que le signor Buckley ait commis ces actes horribles. J’en suis certaine.

Elle se mit à pleurer à chaudes larmes, laissant échapper un torrent de mots italiens :

— Sti facendo l’amore con il signor Buckley per parecchi mesi. Siamo nell’amore. Non significo danno a voi. E il mio amante. E il vostro difetto, signora Buckley. Non è di destra voi non lo ama come.

Gabriella se redressa et Taylor comprit aussitôt la situation : une femme amoureuse. Pas comme Quinn Buckley, qui était résignée mais fière. Cette jeune femme était follement amoureuse de son employeur et elle trouvait bon de le faire savoir à sa femme.

Taylor regarda Quinn. Elle semblait avoir rapetissé de dix centimètres et ses bras croisés étaient encore plus crispés autour de son buste svelte.

— Quinn, qu’est-ce qu’elle vient de dire ? demanda Taylor d’une voix légèrement inquiète.

De femme à femme. Peut-être en apprendrait-on ainsi davantage.

Quinn fixa la jeune fille au pair d’un œil assassin. Elle inspira profondément et finit par réagir, sans quitter Gabriella des yeux.

— Elle a dit qu’elle a eu une liaison avec Jake. Qu’ils sont amoureux l’un de l’autre. Que c’est ma faute, parce que je n’aime pas assez Jake. C’est ça, hein, Gabriella ? Je n’aime pas assez mon mari, alors vous vous croyez autorisée à l’aimer à ma place ? Sortez de chez moi. Voi poco squaldrina ! Voi sorca !

Gabriella ouvrit de grands yeux, et Taylor se rendit compte que Quinn avait dû lui adresser une terrible insulte en italien. La fille poussa un petit cri, rejeta ses longs cheveux en arrière et sortit en courant du vestibule.

Quinn s’effondra dans un fauteuil ancien qui paraissait trop frêle pour supporter son poids. Elle avait l’air si menue, si fragile que Taylor ne put s’empêcher de tendre la main pour effleurer son épaule d’un geste qu’elle voulait réconfortant. Quinn se raidit. Taylor ôta sa main.

— Je suis désolée, Quinn. Je sais que c’est dur pour vous, tout ça. Vous êtes sûre que vous n’avez rien d’autre à nous dire ?

Elle prononça ces paroles d’une voix douce et consolante, comme si Quinn avait été un chat apeuré, tapi sous un canapé, qu’elle tentait de faire sortir de sa cachette. Quinn demeura immobile un moment avant de lâcher un profond soupir. Elle avait perdu toute combativité.

— Retournons dans la bibliothèque. Je vais essayer de vous aider.

Le trio revint dans la bibliothèque. Taylor et Baldwin se rassirent dans leurs fauteuils respectifs et regardèrent Quinn qui arpentait la pièce à grands pas. Ils ne l’interrompirent pas lorsqu’elle se décida à parler.

— Ça fait pas mal de temps que notre couple bat de l’aile. Deux ans, en fait. Nous nous sommes disputés de manière vraiment affreuse il y a deux mois, un dimanche soir. Jake se préparait à partir pour un voyage d’affaires… Vous savez qu’il est toujours sur la route, à cause de son travail. Je voulais qu’il reste à la maison. Qu’il préfère rester avec moi plutôt que de partir en vadrouille pour le compte de sa société. C’est là qu’il m’a avoué qu’il me trompait. Il avait couché avec une stagiaire dans une boîte de marketing qui travaille en partenariat avec Health Partners. Cette liaison n’a pas duré. Deux jours, seulement… Je ne savais pas comment réagir. Quelle femme peut admettre sereinement que son mari ne l’aime plus ? J’ai fait la seule chose qu’il me restait à faire : j’ai constitué un dossier de demande de séparation de corps. J’ai montré ces documents à Jake lundi dernier, dans la soirée. C’est pour ça que je n’ai pas répondu aux appels de Whitney. J’étais en train de dire à mon mari qu’il pouvait me dire adieu ainsi qu’à ses enfants, sa maison et mon argent. Il est parti d’ici furieux et je ne l’ai pas revu depuis.

Baldwin tapota le bras de son fauteuil.

— Il avait une liaison avec une stagiaire ? Vous pouvez nous dire si c’était ici, à Nashville, ou bien dans une autre ville ?

— J’ose croire que Jake a assez de bon sens pour se livrer à ses frasques loin d’ici…

Elle s’interrompit un instant et reprit :

— Mais, bien sûr, je me trompe. Gabriella et Whitney… Sous mon nez… Mon Dieu, que je suis bête !

— Mais non, vous n’êtes pas bête. Ces choses-là arrivent tous les jours, la rassura Baldwin. Je suis désolé d’avoir à insister, mais cette aventure avec cette stagiaire… vous savez où… ?

— Je pense que c’était à La Nouvelle-Orléans, pendant le carnaval ou quelque chose dans ce genre…

— Il a mentionné le nom de son amante ?

— Oh ! c’était un prénom à consonance française, qui commence par un J…

— Jeanette Lernier ? demanda Baldwin.

Quinn fit un geste désabusé de la main.

— Ça se peut bien. Je n’ai pas trop insisté pour avoir des détails croustillants…

Elle se tut, réfléchit un instant et ajouta :

— Attendez, là… Vous connaissiez son nom… C’est que vous saviez déjà qu’il avait eu une liaison avec elle. Comment se fait-il… ? Non je ne veux pas le savoir.

Taylor et Baldwin échangèrent un regard. Quinn avait besoin de savoir. Baldwin inspira profondément et lâcha :

— Jeanette Lernier a été la deuxième victime de l’Etrangleur du Sud.

Quinn baissa la main et ouvrit de grands yeux. Elle commençait à comprendre.

— Mon Dieu, marmonna-t-elle.

Le temps filait. Taylor se racla la gorge avant de dire :

— Jake n’a pas appelé ici, cette semaine ? Aucune nouvelle de lui ?

— Non, lieutenant, aucun signe de vie.

Elle éclata d’un rire nerveux et ajouta :

— Peut-être que je m’y suis mal prise avec lui. J’aurais dû tout lui raconter au moment où on s’est rencontrés. J’aurais dû lui dire la vérité…

— Quelle vérité, madame Buckley ? demanda Baldwin à voix basse.

Elle le dévisagea un instant d’un œil froid avant de détourner le regard.

— La vérité sur ce qui nous est arrivé, à Whitney et à moi, quand on était enfants. La vérité sur le simulacre qu’a été notre vie. Vous devez vous en souvenir, dit-elle à Taylor d’un ton accusateur. Vous devez connaître toute l’histoire, puisque vous êtes dans la police…

A cet instant, le téléphone de Taylor se mit à sonner, les faisant sursauter tous les trois. Elle fut tentée de le laisser sonner mais savait qu’il lui fallait répondre.

— Je suis désolée, mais il faut que je réponde. Non, je ne connais pas toute l’histoire, Quinn. Les rapports de police et les minutes du procès ne disent pas tout. J’aimerais connaître votre version. Auparavant, il faut m’excuser un instant.

Elle jeta un coup d’œil au numéro de son correspondant. C’était Fitz. Elle décrocha et sortit de la pièce.

— Jackson à l’appareil.

Fitz se mit à parler et Taylor n’en crut pas ses oreilles.

Après avoir raccroché, elle revint dans la bibliothèque. Baldwin et Quinn étaient sombres et silencieux. Taylor inspira un grand coup avant de prendre la parole. La nouvelle qu’elle s’apprêtait à annoncer allait briser la vie de Quinn de manière irrémédiable.

— Quinn, écoutez-moi. J’ai des nouvelles de Jake.

Quinn s’affala avec dignité dans un fauteuil, les mains crispées sur ses cuisses.

— Allez-y. Aujourd’hui, plus rien ne peut m’atteindre.

— Quinn, Jake a été arrêté. Sa voiture a été repérée sur l’autoroute 65, alors qu’il roulait en direction de Nashville. Il y avait…

Sa voix fléchit un instant avant de reprendre de la force.

—… il y avait un corps dans le coffre de sa BMW. Nous pensons qu’il s’agit de celui d’Ivy Tanner Clark, la fille qui a disparu à Louisville hier.

Baldwin se leva d’un bond, prêt à la bombarder de questions, mais elle l’arrêta d’un geste.

— Jake a été transféré au Centre de justice criminelle, dans le centre-ville. L’agent spécial Baldwin et moi-même devons nous y rendre sur-le-champ. Il faut que nous l’interrogions dès qu’il sera placé officiellement en garde à vue. Vous avez compris ce que j’ai dit, Quinn ?

Les lèvres de Quinn crispées et exsangues barraient son visage déconfit d’un trait minuscule. Elle secoua la tête et demanda :

— Dois-je lui trouver un avocat ?

— C’est son droit. Ou bien il peut attendre et se confier à nous. Venez avec nous au Centre, vous prendrez votre décision là-bas.

— Non.

La voix de Quinn n’avait pas semblé aussi ferme depuis le début de l’entretien.

— Non, merde, non. Qu’il crève ! Si c’est lui le coupable, il ne faut pas qu’il compte sur moi pour l’aider.

Elle sortit de la pièce précipitamment et Taylor entendit le bruit de ses pas dans l’escalier. Elle haussa les épaules et se tourna vers Baldwin.

— Il faut qu’on y aille, dit-il. Je veux avoir un petit tête-à-tête avec M. Buckley.