Christina Dale s’éveilla tranquillement, dans une sorte de tiédeur embrumée. Elle s’accrocha aux derniers restes de son rêve, des images de son enfance, un parc ou bien était-ce son jardin ? L’endroit était verdoyant et chaleureux, et elle pouvait encore sentir l’odeur d’oignon qu’exhalait la pelouse fraîchement tondue. Le ciel était d’un bleu pâle et intense à la fois, parsemé de nuages cotonneux. Elle se sentait heureuse, c’était un rêve charmant, de ceux où l’on se dit au réveil que la journée va être magnifique. Un vague sourire se forma sur ses lèvres, et elle commença à émerger, les images s’éloignèrent, emportées par la brise.
Elle voulut se retourner et se rendit compte que son corps n’obéissait pas à son cerveau. C’était bizarre. Elle était peut-être encore ivre. Cela lui arrivait parfois — elle se réveillait en sentant encore les effets de l’alcool ingurgité la veille. Surtout quand s’y ajoutaient ceux des sédatifs que les étudiants appréciaient tant. Le Rohypnol la rendait toujours molle le lendemain.
Elle tenta de tendre le bras pour se masser la jambe et tester sa sensibilité. Ses yeux s’ouvrirent en grand et elle comprit que quelque chose d’affreux était en train de se passer. Ses bras et ses jambes étaient ligotés. Elle se réveilla tout à fait, prise de panique, et une fulgurante montée d’adrénaline lui fit prendre conscience de la situation. Une corde lui serrait cruellement les côtes. Ses bras étendus au-dessus de sa tête tiraient douloureusement les articulations de ses épaules. Elle essaya de se tortiller mais ne parvint qu’à resserrer ses liens, au point d’en perdre le souffle.
— Oh ! mon Dieu ! gémit-elle.
Tout lui revint alors à la mémoire. Le sourire nonchalant, la masse de cheveux noirs qui balayaient le front, les yeux d’un bleu intense et métallique. Sa mère lui avait tant de fois répété qu’elle était trop ouverte, trop confiante. Elle l’avait mise en garde, prédisant que si elle continuait à coucher avec tous les garçons qu’elle rencontrait, il finirait par lui arriver de graves ennuis, qu’elle en mourrait peut-être. Mais qui n’aurait pas été séduite par ce type charmant en compagnie duquel elle avait quitté le bar, la veille ?
Elle regarda autour d’elle, essaya de se remémorer dans le détail comment elle avait pu se retrouver dans une telle situation. Etait-elle allée trop loin, cette fois ? Avait-elle demandé à être attachée ? Elle l’avait déjà fait, en petite provinciale qui essaie des plaisirs inconnus, mais sans jamais en pâtir. Peut-être ce type — comment s’appelait-il, déjà ? — s’était-il simplement endormi après leurs ébats. Elle regarda de part et d’autre et ne vit qu’une chambre de motel vide aux murs blancs et mornes, un téléviseur bon marché surplombé d’un tableau hideux représentant un paysage dans les jaunes et les orange. Elle était seule.
Soudain, elle entendit la chasse d’eau et se détendit un peu. Une ombre longea le mur et l’homme fit son apparition. C’était bien lui, nu et échevelé, l’air encore plus sexy que la veille.
— Bonjour, mon chéri. Bon, tu me détaches, qu’on puisse s’y remettre ?
Il sourit mais ne s’approcha pas ; il se contenta de la regarder comme un chat sauvage en rut.
— Sérieux, détache-moi. Ça commence à me faire mal, ces cordes.
Elle comprit, avant même de voir le couteau, qu’il n’avait aucune intention de la libérer. Qu’il ne la laisserait jamais partir. Elle ouvrit la bouche pour hurler mais il ne lui en laissa pas le temps, et lui scella les lèvres avec de la bande adhésive ultra-résistante, étouffant ses cris au fond de sa gorge.
Tandis que son mystérieux amant traçait lentement un sillon dans le visage de Christina à la pointe de son couteau, il cessa de sourire et ne dit qu’un seul mot, le dernier qu’elle devait entendre :
— Adieu.