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Grimes franchit en roulant au pas les grilles de l’université de Caroline du Nord à Asheville et fut tout de suite frappé par la beauté du campus. C’était l’endroit idéal pour passer quatre ans de sa vie. Il remonta l’allée jusqu’à un grand panneau sur lequel était tracé un plan de l’endroit. Il repéra l’emplacement du dispensaire et s’y rendit.

Il sortit de sa voiture et pénétra dans le bâtiment. Au bureau d’accueil, il demanda à une jolie blonde s’il pouvait s’entretenir avec le responsable du centre de soins. Elle le pria de patienter et s’éclipsa. Pendant qu’il attendait, il feuilleta une brochure qui vantait les mérites du système de santé universitaire local.

Quelques minutes plus tard, une femme sortit d’une pièce au fond du hall. Ses cheveux noirs étaient parsemés de gris et ses lèvres pincées étaient bordées de rides.

— Je suis désolée, monsieur, mais vous êtes dans un centre de soins réservé aux étudiants de cette université, et je dois vous demander de partir.

Il exhiba son badge du FBI, blanc rayé de bleu. Elle ne parut pas très impressionnée.

— Je suppose que vous souhaitez nous interroger au sujet de cette malheureuse qu’on a retrouvée morte en ville. Eh bien, ce n’était pas une de nos étudiantes et nous n’avons rien à voir dans cette tragédie. J’aimerais donc que vous partiez.

— Vous avez fini votre numéro, ma petite dame ? Parce que j’ai quelques questions à vous poser et j’aimerais que vous la boucliez pendant que je parle, et puis j’aimerais que vous y répondiez.

Une telle grossièreté plongea la dame dans un silence choqué et Grimes profita du répit.

— J’ai besoin de savoir si vous envoyez vos étudiants faire des analyses ailleurs qu’à l’hôpital communautaire d’Asheville.

La femme le dévisagea un instant.

— En cas de besoin, c’est en effet à cet hôpital que nous les adressons. Cet établissement offre des prestations que nous n’assurons pas ici, dans quelques cas. Quelques cas très rares. Notre centre de soins est très complet, vous savez, se vanta-t-elle.

— Donnez-moi un exemple. C’est quand la dernière fois que vous avez envoyé un étudiant à l’hôpital ?

— Eh bien, nous avons dû y envoyer une étudiante, hier, pour des radios des poumons. Notre machine est en panne. Elle tousse beaucoup et le médecin a pensé qu’il fallait s’assurer que ce n’était pas une pneumonie.

Grimes se pencha vers le visage de la femme.

— Comment s’appelle la fille que vous avez envoyée ?

— Ça, je ne peux pas vous le dire. Ce sont des informations privées. Je…

— Dites-moi de qui il s’agit, ma petite dame, ou je vous coffre sur-le-champ. Je n’ai pas le temps d’écouter votre baratin. Alors, qui c’était ?

La femme prit un air indigné.

— Bon, bon, pas besoin de crier. Elle s’appelle Noelle Pazia. Voilà, vous êtes content ?

— Non. Dites-moi comment contacter Noelle.

— Eh bien, je suppose que je peux l’appeler, si vous insistez.

Il posa une main sur l’épaule de la responsable du dispensaire et la poussa vers la porte de son minuscule bureau.

— Allons-y ensemble. Ma mission est de m’assurer qu’une de vos étudiantes n’est pas dans le pétrin.

Le nez frémissant de peur, la femme lui adressa un regard qui lui rappela le lapin nain de sa fille, puis elle décrocha son téléphone. Elle composa le numéro d’un autre poste, demanda à parler à Noelle Pazia et leva le doigt pour indiquer qu’elle avait été mise en attente.

— La standardiste est en train de rediriger l’appel, murmura-t-elle alors qu’il n’y avait aucune raison de parler à voix basse.

Grimes fit quelques pas dans le bureau jusqu’à ce que la femme se remette à parler :

— Est-ce que Noelle Pazia est là ? C’est Mme Brooks, l’infirmière chef du centre de soins. Non ? Quand est-ce que vous l’avez vue pour la dernière fois ? Vous savez qu’elle est très malade, elle doit rester au lit. Ah bon ? Eh bien… Oui, ma chère, merci.

Elle raccrocha et gratifia Grimes d’un regard qu’il eut du mal à situer, entre colère et triomphe.

— Elle n’est pas dans sa chambre. Elle n’y a pas dormi cette nuit, selon sa compagne de chambre. Je pense que cela veut dire qu’elle a passé la nuit avec l’un de ses condisciples du sexe opposé.

L’infirmière chef renifla d’un air outragé, exprimant ainsi sa désapprobation.

— Beaucoup de filles font ça, ici, vous savez.

— Vous êtes sûre que Noelle a un petit ami ?

— Euh, non, c’est juste que…

— Rappelez ce numéro, il faut que je parle à sa compagne de chambre. Dites-lui qu’on arrive, tout de suite. Allez-y, rappelez-la. Ensuite, emmenez-moi au bâtiment où se trouve sa chambre.

La femme décrocha le téléphone à contrecœur. Elle demanda à la compagne de chambre de Noelle de l’attendre à l’entrée de sa résidence. A l’instant où elle raccrochait, Grimes la prit par le bras et l’entraîna vers la porte avant qu’elle n’ait le temps de protester. Elle se retrouva dans la voiture de Grimes et lui indiqua comment se rendre à la résidence. Pressentant le pire, Grimes sentait son cœur se serrer. Il commençait à redouter sérieusement que Noelle Pazia ne se trouve pas dans la chambre de son prétendu petit ami, mais sur le bord d’une route de Louisville, sans vie et mutilée.

Il sortit de la voiture et fonça vers l’entrée de la résidence universitaire. Une très jolie rouquine l’y attendait, emmitouflée dans une longue écharpe multicolore dont les franges balayaient ses genoux. Elle avait l’air inquiète et dès qu’elle fut à portée de voix, il l’entendit demander :

— Où est Noelle ?

— Je n’en sais rien. Je pensais que vous pourriez m’aider à répondre à cette question.

— J’ai passé la nuit dans la chambre de mon petit ami.

L’infirmière chef renifla de nouveau d’un air scandalisé et Grimes dut se tourner vers elle pour lui faire signe de ne pas s’en mêler.

— Continuez, dit-il à la rouquine.

— Il habite en ville, c’est un artiste. Noelle n’était pas dans notre chambre lorsque je suis rentrée ce matin, vers 8 heures. Son lit était fait, mais, bon, elle met un point d’honneur à le faire tous les matins et c’est une lève-tôt, donc je n’ai pas trouvé ça anormal. J’ai pensé qu’elle était allée prendre son petit déjeuner. Mais elle n’est pas revenue dans la chambre depuis.

— Quand est-ce que vous l’avez vue pour la dernière fois ?

— Hier matin. Elle devait passer au centre de soins pour qu’on lui prescrive des médicaments. Elle a un programme très chargé ce semestre, et elle passait beaucoup de temps à étudier, en groupe ou seule. Elle devait avoir un cours à la bibliothèque. Il faudrait demander aux étudiants qui y ont assisté. Tenez, voilà leurs numéros sur une liste que Noelle avait accrochée au frigo. J’espère que ce n’est pas grave. Son père va devenir dingue s’il lui est arrivé un malheur. C’est vraiment une fille exemplaire, franche et loyale. Elle ne fume pas, elle ne sort jamais avec des garçons. Elle est ici pour étudier, point barre.

Grimes adressa un regard mauvais à l’infirmière chef. « Tu vois, ma vieille, elle n’était pas avec son petit copain, en fait. » Grimes commençait à en avoir assez de sa compagnie.

— Rendez-moi un service. Retournez au centre de soins. Je vous contacterai si j’ai besoin de vous.

— Avec joie, grommela-t-elle avant de tourner les talons.

Grimes prit la liste des condisciples de Noelle. Il s’appuya contre le capot de sa voiture et ouvrit son téléphone portable. La rouquine fit glisser son doigt sur la liste et pointa le dernier nom, lui indiquant qu’il fallait commencer par celui-là.

Grimes tomba sur une messagerie vocale avant qu’un jeune homme à l’accent indien ne lui réponde.

— Harish à l’appareil ?

Il parlait de telle manière que chacune de ses phrases semblait être une question.

— Agent spécial Grimes, du FBI. Avez-vous vu Noelle Pazia aujourd’hui ?

— Noelle ? Non, je ne l’ai pas vue ? Pas depuis qu’elle a quitté la bibliothèque, où notre groupe d’étude se réunissait hier soir ? Je ne l’ai pas revue après la pause ? Il lui est arrivé quelque chose ?

La dernière phrase était une vraie question et Grimes perçut de l’inquiétude dans la voix du garçon.

— A quelle heure était la pause ?

— Vers 9 heures et demie ? Noelle ne se sentait pas bien, elle avait l’air souffrante ? Nous lui avons conseillé de rentrer à la maison, mais elle a dit qu’elle tiendrait jusqu’à la fin du cours ? Nous avons fait une pause, elle a reçu un coup de téléphone et puis elle est sortie ? Je ne l’ai plus revue depuis ?

— C’était vers 21 h 30, vous dites ? Elle a reçu un appel, et puis qu’est-ce qu’elle a fait, au juste ?

— Eh bien, Noelle est une fille très polie ? Elle ne voulait pas parler au téléphone dans la bibliothèque, surtout pendant le cours de groupe, et elle est sortie ? Elle a demandé à son correspondant de ne pas quitter et elle est sortie de la bibliothèque par l’entrée latérale ? Elle avait son sac sur le dos et, ne la voyant pas revenir, nous avons pensé qu’elle était allée se coucher ? C’est ce qu’elle avait de mieux à faire, parce qu’elle avait vraiment l’air souffrante ?

Grimes le remercia et raccrocha. Sortie par l’entrée latérale. Merde. Il se tourna vers la rouquine.

— Vous avez une photo récente de Noelle ?

Elle hocha la tête.

— Oui, dans la chambre. Attendez-moi ici, je vous l’apporte. Vous croyez qu’elle a disparu, c’est bien ça ?

— Je ne sais pas, mais j’ai vraiment besoin de cette photo. Merci.

La fille courut vers l’escalier pendant que Grimes composait le numéro de Baldwin. Celui-ci répondit dès la première sonnerie. Grimes le mit au courant de la situation, sans omettre le fait que la fille était allée le jour même faire des radios des poumons à l’Hôpital communautaire d’Asheville, parce que le matériel du centre de soins universitaire était en panne. Tandis qu’il achevait son rapport, la compagne de chambre de Noelle revint avec une photo.

Grimes fixa les grands yeux bruns de la disparue, remercia la rouquine et promit de l’appeler une heure plus tard, quand il en saurait plus. Il remonta dans sa voiture et démarra. Il s’apprêtait à quitter le campus lorsqu’il aperçut la bibliothèque à sa droite et ralentit. Le poème. Baldwin avait dit qu’un poème avait été envoyé à une journaliste de Nashville, ce qui pouvait indiquer qu’une nouvelle fille avait été victime de l’Etrangleur du Sud. Il décida de vérifier si rien de ce genre ne se trouvait dans la bibliothèque. Si c’était le cas, cela confirmerait qu’ils avaient affaire au même tueur. « Putain, se dit-il, je deviens vraiment nul… J’aurais dû y penser plus tôt. »

Il se gara et marcha jusqu’à ce qu’il jugea être l’entrée latérale du bâtiment. Il observa le sol aux abords du bâtiment, puis la porte, et ne constata rien d’anormal. Il remarqua un grand panneau d’affichage juste à côté de la porte, protégé des intempéries par une feuille de plastique transparent. Il y alla et parcourut les annonces qui tapissaient le panneau. Des cours particuliers en trigonométrie… Non, ce n’était pas ce qu’il cherchait. Pas plus qu’une balle et un tapis de yoga, état neuf… Il finit par dénicher ce qu’il redoutait de trouver. Entre deux bouts de papier coloré, il repéra une feuille de papier blanc, fixée au panneau par une punaise. Il souleva la feuille de plastique et, à l’aide de son stylo, écarta les autres bouts de papier. Pas de doute. Le poème était affiché pour que tout un chacun puisse le lire — là en plein milieu du panneau. Ah ! le fils de pute !

Grimes lut le poème à haute voix :

— « Observe cette puce et vois combien

Ce que tu me refuses n’est qu’un petit rien.

Elle m’a sucé avant de te sucer

Et dans cette puce, nos sangs se sont mêlés. »

Merde. Le tueur avait remis ça, à coup sûr. Grimes regarda autour de lui d’un air éperdu, comme si l’assassin était encore là et l’épiait en savourant le spectacle. Mais il ne remarqua rien de louche.

Il n’avait pas apprécié d’avoir été laissé seul ici pendant que Baldwin, la gloire du FBI, suivait une piste sérieuse à Nashville. Au petit soldat Grimes les corvées… Mais enfin c’était bien lui qui avait trouvé le dernier poème.

Une étudiante coiffée d’un bonnet de laine passa devant lui et ne put réprimer un sourire à la vue de ce dingue qui marmonnait tout seul. Il balaya l’air à hauteur de son visage, comme pour écarter le regard de la jeune fille. Il sortit un sachet de sa poche, fit jouer la punaise qui fixait la feuille dans le liège du panneau et parvint à fourrer celle-ci dans le sachet sans la toucher. Il prit la feuille par un coin et la glissa à son tour dans le sachet. Il y aurait peut-être des empreintes sur celle-là. C’était improbable, mais il fallait faire feu de tout bois.

Grimes revint à sa voiture et sortit du campus pour se diriger vers son hôtel. Il avait étalé la photo de Noelle sur le siège du passager. Les yeux de Noelle le fixaient, accusateurs, tristes et esseulés. Et il songea au destin probable de cette petite avec horreur. Il serait bientôt définitivement fixé à ce sujet.

Il ouvrit son téléphone portable et composa un numéro qu’il connaissait par cœur. Un homme lui répondit.

— C’est moi, dit Grimes.

— Salut, papa, ça va ? Tu as du nouveau pour moi ?

— Oui. Je viens de me rendre compte qu’une fille a disparu à Asheville. Elle s’appelle Noelle Pazia. On a aussi retrouvé un corps à Louisville, dans le Kentucky. Tout laisse penser que c’est le sien. Pour le reste, à toi de te débrouiller.

— Merci, papa, merci beaucoup. Il faut que je file. Je peux annoncer ça tout de suite.

Et la communication fut coupée.

« C’est comme tout le reste, dans ma vie, songea Grimes. Ne pas remarquer ces maudits poèmes, la seule piste tangible dans cette enquête… Ma femme qui s’est fait la malle, il y a quatre mois… Ma fille gâtée pourrie qui ne m’adresse la parole que pour me demander du fric… Et mon fils qui se sert de moi parce que je peux lui fournir des informations confidentielles susceptibles de donner un coup de fouet à sa carrière de journaliste débutant à New York… Baldwin ne me pardonnerait jamais s’il savait d’où venaient les fuites… Eh bien, je t’emmerde, monsieur le roi des profileurs. »

Il se gara dans le parking de son hôtel. Muni de la photo de Noelle, il se présenta à la réception. L’information qu’il attendait de l’antenne de Louisville devait être arrivée. Et peut-être que Baldwin, ce prodige du profilage, lui avait transmis quelques-uns de ses précieux conseils.

— Vous avez reçu un fax pour moi ? Au nom de Grimes, du FBI ?

L’homme assis derrière le comptoir lui adressa un regard hostile.

— Oui, monsieur, et je dois vous demander d’éviter de vous faire envoyer ce genre d’images sur notre ligne de télécopie. C’est vraiment répugnant. Je trouve ça inacceptable, et je suis sûr que le gérant sera de mon avis…

— Fermez-la et donnez-moi ce fax.

Grimes était à bout de nerfs, et il faillit frapper ce réceptionniste trop bavard. Il songea furtivement qu’il formerait un beau couple avec l’infirmière chef du centre de soins universitaire.

L’homme se leva d’un air indigné et disparut dans une pièce attenante. Il en sortit un moment plus tard en tenant à la main une chemise en papier kraft.

— Voilà, lâcha-t-il d’un ton dramatique.

Grimes le gratifia d’un sourire et glissa la chemise sous son bras. Il alla droit au bar et commanda un scotch. Sitôt servi, il en but une gorgée, histoire de retrouver son calme. Il ne voulait pas apprendre que Noelle Pazia était morte. Il ne voulait pas imaginer que ses yeux bruns pleins de vie étaient à jamais ternes et gris. Mais il n’avait pas le choix. Il ne pouvait quand même pas demander au barman de comparer les photos à sa place.

Il prit donc son courage à deux mains et sortit la photo que la compagne de chambre de Noelle lui avait remise puis la posa sur le bar. Il plaça la chemise à côté de la photo et l’ouvrit. Le spectacle lui donna envie de vomir.

Il n’y avait plus l’ombre d’un doute : Noelle Pazia était morte.

Il détourna le regard de la chemise et regarda le barman dans les yeux, lui faisant signe de remplir son verre de nouveau. L’homme fit glisser la bouteille sur le comptoir, comme s’il estimait que ce n’était pas à lui de remplir ce verre maintes et maintes fois. Grimes le remercia d’un hochement de tête et se remplit un verre à ras bord. Ses mains tremblèrent lorsqu’il porta le whisky à ses lèvres. Il fallait qu’il appelle Baldwin, pour lui confirmer que c’était bien le tueur qui avait encore frappé. Alors qu’il s’apprêtait à le faire, son téléphone se mit à sonner.

La conversation ne dura pas longtemps. Mais, en raccrochant, tandis qu’il fixait son téléphone d’un air incrédule, la volonté de prévenir Baldwin l’avait entièrement abandonné. Il posa le téléphone sur le comptoir en plaqué chêne. Il sortit son badge du FBI, les yeux rivés sur le bouclier emblématique qui l’ornait. Tout ce que cela signifiait pour lui — la fidélité, la loyauté, le courage. Ah ! quelle putain d’enquête…

Tout ce qu’il souhaitait, c’était boire encore quelques verres et partir à la dérive.

Rien à foutre de l’Etrangleur du Sud.

Rien à foutre de Baldwin, et même du FBI.

Rien à foutre que sept jeunes femmes aient été assassinées par ce détraqué. Ce coupeur de mains. Mais pourquoi, bordel de merde ?

Noelle le fixait de ses yeux bruns de bébé et il l’entendait dire : « Tu es ivre mort, Grimes. T’en fais pas. Pas la peine de te miner. Ce genre de chose arrive. Tu sais bien. Ça arrive et tu n’y peux rien. Il faut seulement que tu essaies d’attraper le type qui m’a fait ça. Qui nous a à toutes fait ça. Tu comprends ce que je te dis ? Il faut que tu l’attrapes et que tu le mettes hors d’état de nuire. Parce que, sinon, il va recommencer. »

Les grands yeux bruns se mirent à verser des larmes et Grimes referma brusquement la chemise. Et merde… Il n’en pouvait plus.

Qu’est-ce qu’il cherchait à prouver, ce monstre ? Et dire qu’il envoyait ses poèmes à une journaliste. Voulait-il que toute la presse en parle ? Ou avait-il simplement le béguin pour cette nana ? Est-ce qu’il voulait l’impressionner ? « Eh bien, mon pote, songea Grimes, tu vas avoir du mal à l’impressionner, maintenant… Elle est morte et tu ne le sais même pas. Il ne te reste plus que son cadavre à baiser en te vantant de tout ce que tu as accompli pour elle, pauvre con. Elle est morte et bien morte, toutes ces filles sont mortes et enterrées, et tu ne peux plus les sauter, espèce de salaud. »

Hystérique, Grimes hurlait en faisant de grands gestes. Ses propos se faisaient de plus en plus incohérents. Il avait déjà vidé plus de la moitié de la bouteille de scotch et il avait l’air au bout du rouleau. Le barman s’en aperçut et essaya de le calmer. Grimes pleurait et sanglotait, renversant du whisky sur le comptoir et sur le tabouret voisin du sien. Il avait posé la main sur son pistolet et lorsque le barman essaya de le raisonner, il brandit l’arme. En pleurant, Grimes demanda à l’homme de dire à Baldwin qu’il était vraiment désolé. Il se colla le pistolet contre la tempe et appuya sur la détente.