L’acte et la puissance

 

C’est à Aristote que l’on doit les concepts d’acte (energeia) et de puissance (dynamis) qu’il définit dans sa Métaphysique. Les exemples qui illustrent cette opposition sont aussi nombreux que faciles à comprendre – trop nombreux et trop faciles peut-être, car elle semble au total manquer de consistance. L’homme éveillé et le dormeur, l’homme qui regarde et celui qui ferme les yeux, la statue et le lingot d’airain encore informe, le fruit par opposition à la fleur, la fleur épanouie par rapport au bouton, etc., autant d’illustrations de ce qui est acte et de ce qui est puissance.

Platon opposait le monde supérieur des Idées – éternelles, inaltérables, parfaitement définies – à la mêlée confuse du monde perçu par les sens. Aristote a fait descendre les idées sur la terre. Encore faut-il qu’elles ne se dissolvent pas dans le flot du mouvement et du devenir qui dominent le monde sensible. Comment préserver l’unité qui persiste entre le vieillard et l’enfant qu’il fut ? Il s’agit bien du même individu, mais… il a changé, voilà tout. Comment retrouver le même dans le changeant ? Par la puissance qui est la présence fantomatique du futur dans le présent. Le vieillard était déjà en puissance dans l’enfant. D’année en année, il est passé à l’acte.

La théorie d’Aristote a fait merveille dans toute l’Antiquité et le Moyen Âge. On en retrouve une variante chez Leibniz pour lequel la division à l’infini des monades permet une évolution perpétuelle qui ne brise pas l’unité de l’essence de chacune d’elles.

On appelle « puissances » les États souverains. C’est qu’en effet chaque État est capable à tout moment, par sa diplomatie, ses moyens économiques ou son armée, de « passer à l’acte ». Et son poids auprès des autres États tient à cette menace perpétuelle.

L’opposition entre puissance (ou impuissance) sexuelle et acte sexuel domine la vie érotique du couple. Car l’impuissance sexuelle consiste généralement dans la précocité de l’acte sexuel. La puissance sexuelle se manifeste dans une érection prolongée et une éjaculation différée à volonté. Elle est l’acte promis, suspendu, enveloppé, retenu. Telle est l’abnégation du bon amant.

CITATION

Bien que beaucoup de substances soient déjà parvenues à une grande perfection, cependant, à cause de la divisibilité du continu à l’infini, il subsiste toujours dans l’abîme des choses des parties assoupies encore à réveiller et à attirer vers du plus, du meilleur, et, dirais-je, une culture supérieure. Et jamais par suite le progrès ne sera parvenu à son terme.

De l’origine radicale des choses, 1697

Leibniz