Dérision et célébration

 

« Je n’ai jamais rien vu qui fût laid », a dit Claude Monet. Cet œil résolument optimiste, il le partageait avec toute l’école impressionniste pour laquelle le monde n’était qu’un diaprement magique de couleurs. À cette esthétique heureuse, l’expressionnisme répliqua dès le début du siècle par un parti pris résolument opposé en recherchant le choc émotionnel provoqué par un visage grimaçant ou une scène dramatique (Le Cri d’Edward Munch 1893), voire par la pure et simple laideur (Soutine, Bacon, Baselitz).

La littérature connaît elle aussi ces deux courants, l’un de célébration, l’autre de dérision. Chanter la beauté du monde, la grandeur des héros, la grâce des jeunes filles, cela va de soi, semble-t-il, mais ce n’est pas une mince ambition pour peu que l’on prétende faire œuvre originale et créatrice. Certains poètes comme José-Maria de Hérédia, Leconte de Lisle ou Saint-John Perse y ont excellé (d’ailleurs un recueil de Saint-John Perse s’intitule Éloges). Au demeurant la poésie s’accommode mieux de la célébration que de la dérision.

En revanche certaines œuvres en prose d’une force impressionnante ne sont que des monuments de dérision, tels les Mémoires de Saint-Simon, la Recherche de Marcel Proust ou le Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline. Dans les sociétés grouillantes de personnages qu’elles nous offrent, il n’en est pas un qui ne soit grotesque, minable ou répugnant par quelque côté. Au contraire, dans les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand ou Les Misérables de Victor Hugo, on respire un air de sombre grandeur qui exalte et gonfle le cœur. On notera que la noirceur ne fait rien à l’affaire et qu’il y a du dérisoire et du sublime dans l’horreur, comme dans l’idylle.

Il faut pourtant manier ce genre de distinction avec précaution, et non pas comme un ouvre-boîte universel. Certaines œuvres y sont réfractaires et ne gagnent rien à leur être soumises, telle La Comédie humaine de Balzac ou Les Rougon-Macquart de Zola. D’autres se divisent tout naturellement en deux massifs, selon ces deux rubriques. Ainsi Flaubert, selon qu’il écrit La Tentation de saint Antoine, Salammbô, Saint Julien l’Hospitalier ou Hérodias d’une part, Madame Bovary, L’Éducation sentimentale et Bouvard et Pécuchet d’autre part. (On pourrait aussi dire qu’il y a deux Flaubert, l’un en couleurs, l’autre en noir et blanc.) Il est amusant de comparer en ce sens le festin des Barbares qui ouvre Salammbô et le banquet de mariage de Madame Bovary. Dans l’un tout est grand, dans l’autre tout est ridicule. On verrait aussi que si l’humour est roi dans la dérision, il n’est nullement exclu dans la célébration. Il y gagne seulement une dimension supplémentaire.

CITATION

Le bouffon, parce qu’il est petit, laid et sans pudeur, voit plus de choses que les grands seigneurs et les belles dames de la cour.

Ibn Al Houdaïda