Le milieu et l’hérédité
Un être vivant est une certaine formule héréditaire, plongée dans un certain milieu, le temps d’une vie. La formule héréditaire est sortie de l’immense loterie formée par la pyramide des ascendants ayant chacun leur propre formule héréditaire. Le nombre de ces ascendants augmente selon une progression géométrique, puisqu’il double à chaque génération. Si je remonte à dix générations en arrière, je compte déjà 2 048 ascendants. Or l’hérédité obéit à la règle de l’atavisme, ce qui veut dire qu’un vivant reçoit des traits héréditaires, non seulement de son père et de sa mère, mais de la totalité de ses ancêtres. Tel caractère physique ou psychologique peut ainsi provenir d’un aïeul ayant vécu plusieurs siècles auparavant. Certains traits sont plus persistants que d’autres et ont tendance à les refouler de génération en génération. On les appelle caractères dominants. Les autres sont des caractères récessifs. Ainsi les yeux noirs d’un parent s’imposent à davantage d’enfants que les yeux bleus de l’autre parent. Mais les yeux bleus, tout en se raréfiant, réapparaîtront toujours chez tel ou tel descendant en vertu de la règle de l’atavisme.
Le milieu modèle à son tour le vivant en lui imposant une adaptation plus ou moins nécessaire et parfois indispensable. La non-hérédité des caractères acquis rend vaine la progression de l’humanité par cette voie. Alors même que tous les hommes apprennent à parler et la plupart à lire, les enfants continuent à naître en ne sachant ni parler ni lire. La théorie darwinienne de la sélection naturelle permet d’expliquer l’évolution des espèces malgré cette non-hérédité des caractères acquis. Elle suppose que des caractères héréditaires apparaissent au hasard des mutations. Leurs porteurs sont handicapés ou avantagés dans leur survie et leur reproduction selon que ces caractères sont favorables ou défavorables.
Les vrais jumeaux (c’est-à-dire homozygotes ou univitellins, issus du même œuf) offrent un terrain privilégié pour l’étude de la part de l’hérédité et celle du milieu chez un individu. Car leur hérédité étant la même, on peut admettre que toute différence apparaissant entre eux est l’effet du milieu. Si tel était le cas, la condition humaine serait bien méprisable, car la part de la liberté se réduirait à rien.
Or l’observation de vrais jumeaux sur une assez longue durée impose une conclusion différente. En effet ils ne cessent au fil des ans de se différencier l’un de l’autre, alors même qu’ils restent ensemble et sont soumis au même milieu. Cela prouve, qu’outre le milieu et l’hérédité, un troisième facteur intervient dans l’édification d’une personnalité, et ce troisième facteur, il faut bien l’appeler la libre décision ou tout simplement la liberté. Il semble même que les jumeaux vivant ensemble prennent en quelque sorte appui l’un sur l’autre, l’un contre l’autre pour se distinguer. Ils en arrivent ainsi à être plus différents l’un de l’autre que s’ils vivaient dans des milieux distincts sans un frère-repoussoir comme proche voisin.
CITATION
Tous les corps sont créés par des mères données, des semences données, et croissent en gardant leur essence première.
De natura rerum
Lucrèce