L’enfant et l’adolescent
Les idées admises concernant l’enfant étaient des plus défavorables sous l’Ancien Régime. Nul doute pour nos ancêtres du XVIIe siècle classique, l’enfant est une petite brute sale, vicieuse, ignorante et menteuse. Bossuet : « L’état de l’enfance est le plus vil et le plus abject de la nature humaine après celui de la mort. » Pour en faire un bon chrétien et un digne sujet du roi, il faut enfermer l’enfant dans un internat où des religieux ne parlant que le latin le soumettront à un régime qui s’apparente à ce qu’on appellera plus tard un lavage de cerveau. Il sortira de là « éduqué », « morigéné » et en état de se produire en société.
L’avènement de la bourgeoisie au XVIIIe siècle et l’œuvre de ses « philosophes » Diderot et Rousseau vont renverser tout cela. Pour les classiques, seule la société est bonne, et elle se doit de modeler en l’enfant la nature qui est primitivement mauvaise. Pour Rousseau, au contraire, la nature est foncièrement bonne mais la société la pervertit. Tel est le point de départ de son livre majeur, Émile (1762).
Il y développe l’idée que l’enfant n’est pas un adulte en puissance, une promesse d’avenir, une « rose en bouton », mais un être d’ores et déjà parfait, épanoui, adulte en somme. « Nous avons souvent ouï parler d’un homme fait, mais considérons un enfant fait : ce spectacle sera plus nouveau pour nous et ne sera pas moins agréable. »
L’enfant « adulte » de Rousseau a douze ans, et présente un état de bonheur et d’équilibre idéal. État menacé hélas par une sorte de décrépitude qui s’appelle la puberté. Et Rousseau qui redoute cette catastrophe évoque une campagne idyllique « dans le Valais et même en certains cantons montueux de l’Italie, comme le Frioul, où l’on voit des grands garçons forts comme des hommes ayant encore la voix aiguë et le menton sans barbe, et de grandes filles, d’ailleurs très formées, n’avoir aucun signe périodique de leur sexe ».
Car l’adolescence, c’est bien sûr, d’abord, l’irruption brutale de la sexualité dans l’innocence enfantine, une sexualité forcément malheureuse, puisque la société ne lui donne aucune forme de satisfaction possible.
L’adolescence, c’est la contestation de l’ordre établi et la révolte contre la société des adultes. Une enquête a été faite sur les options politiques des jeunes. En majeure partie, les enfants sont conservateurs. Ils croient que la société a du bon. Dans la Révolution française, ils voient surtout la Terreur qu’ils condamnent. Les adolescents, au contraire, se situent à gauche et considèrent la Révolution comme une œuvre de justice et de libération.
La condition des adolescents n’est pas sans danger. Elle est menacée par la drogue, le suicide, la petite délinquance et les accidents des « deux-roues ». On meurt à tous les âges. Mais les statistiques montrent que c’est à onze ans que l’on meurt le moins. Les faiblesses de la petite enfance sont surmontées et les dangers de l’adolescence ne sont pas encore intervenus. À seize ans, la courbe des décès accuse une augmentation brutale.
La littérature enfantine peut être parfois d’une extrême noirceur (Perrault, Ségur, Hergé, les BD). Elle ne met pourtant pas en question la société qui y apparaît comme un milieu naturel inéluctable, au même titre que la forêt ou la mer. De leur côté, les auteurs des adolescents (Rimbaud, Conrad, Boris Vian) invitent moins à la révolution qu’à l’évasion et au voyage initiatique.
CITATION
La diane chantait dans les cours des casernes
Et le vent du matin soufflait sur les lanternes.
C’était l’heure où l’essaim des rêves malfaisants
Tord sur leur oreiller les bruns adolescents.
Le Crépuscule du matin
Charles Baudelaire