Le saule et l’aulne

 

La végétation est l’image fidèle du milieu où elle croît et plus précisément de son hydrologie. Il y a les plantes grasses des pays d’eaux tièdes et abondantes, les buissons épineux des déserts, les mousses des régions froides et humides.

Le saule et l’aulne bordent des eaux dont l’esprit est diamétralement opposé. L’aulne est l’arbre des eaux mortes et sombres. C’est la seule silhouette verticale qui peuple les plaines brumeuses du nord. Sa saison est l’automne, son poisson, la carpe muette et vaseuse. Il croît de préférence dans les tourbières et les marécages. Son écorce – combinée avec des préparations ferrugineuses – fournit une teinture noire utilisée par les chapeliers. Il n’y a pas de meilleur arbre pour fabriquer le charbon de bois. Son écorce est un médicament astringent.

L’aulne a fait son entrée dans la poésie et la musique grâce à Goethe et à Schubert. Mais tout a commencé par un malentendu. Johann-Gottfried Herder, collectant des légendes nordiques, avait rapporté celle du Roi des Elfes, voleur d’enfants. Goethe n’aurait sans doute pas réagi sur cet Elfenkönig sans grande consistance. Mais il lut par erreur Erlenkönig (roi des aulnes), et son imagination s’enflamma à l’évocation de cet arbre sinistre. Il lui consacra sa célèbre ballade que Schubert mit en musique quelques années plus tard.

À l’opposé de l’aulne, le saule longe les rivières limpides. C’est l’arbre des eaux vives et chantantes. Sa saison est le printemps, son poisson, la truite, à laquelle Schubert a dédié l’un de ses quatuors les plus célèbres. Le saule possède cependant sa relation particulière à la mort. Le saule pleureur décore classiquement les tombes. Mais ses branches, gracieusement renversées, miment un chagrin léger et souriant. L’incarnation de cette mort s’appelle Ophélie (du drame de Shakespeare Hamlet). Désespérée, elle se donne dans une rivière une mort fleurie et musicale. Elle est la sœur des nymphes grecques et des nixes germaniques.

Le saule a donné à l’humanité son médicament le plus bénéfique et le plus populaire, dont la médecine est pourtant loin d’avoir élucidé le secret : l’acide acétylsalicylique, plus connu sous le nom d’aspirine.

CITATION

Qui chevauche si tard dans la nuit et le vent ?

C’est le père avec son enfant.

Il serre le jeune garçon dans ses bras,

Il le tient au chaud, il le protège.

 

— Mon fils, pourquoi caches-tu peureusement ton visage ?

— Père, ne vois-tu pas le Roi des Aulnes ?

Le Roi des Aulnes avec sa couronne et sa traîne ?

— Mon fils, c’est une traînée de brume.

 

— Cher enfant, viens, partons ensemble !

Je jouerai tant de jolis jeux avec toi !

Tant de fleurs émaillent le rivage !

Ma mère a de beaux vêtements d’or.

 

— Mon père, mon père, mais n’entends-tu pas,

Ce que le Roi des Aulnes me promet tout bas ?

— Du calme, rassure-toi, mon enfant,

C’est le vent qui murmure dans les feuilles sèches.

 

— Veux, fin jeune garçon, – tu venir avec moi ?

Mes filles s’occuperont de toi gentiment.

Ce sont elles qui mènent la ronde nocturne,

Elles te berceront par leurs danses et leurs chants.

 

— Mon père, mon père, ne vois-tu pas là-bas,

Danser dans l’ombre les filles du Roi des Aulnes ?

— Mon fils, mon fils, je vois bien en effet,

Ces ombres grises ce sont de vieux saules.

 

— Je t’aime, ton beau corps me tente,

Si tu n’es pas consentant, je te fais violence !

— Père, père, voilà qu’il me prend !

Le Roi des Aulnes m’a fait mal !

 

Le père frissonne, il presse son cheval,

Il serre sur sa poitrine l’enfant qui gémit.

À grand-peine, il arrive à la ferme.

Dans ses bras, l’enfant était mort.

Le Roi des Aulnes

Goethe