La peur et l’angoisse
« La peur du gendarme est le commencement de la sagesse. » Sans doute, mais ce vénérable proverbe suggère le mépris que mérite l’homme apeuré. Celui qui ne se conduit bien que sous la menace de la punition – et si cette menace disparaissait, il serait capable de toutes les vilenies – est un vaurien qui ajoute la lâcheté à tous ses mauvais penchants.
La peur est inspirée par un homme, un animal, un ennemi précisément perçus. Elle est humiliante, parce qu’elle est l’anticipation d’une défaite. L’homme apeuré a déjà perdu la partie, et cela par sa seule faute. Il est l’esclave des maîtres et des adversaires qui l’entourent. On le figure parfois salissant sa culotte.
Dans une nouvelle célèbre – La Peur – Guy de Maupassant jette une passerelle entre la peur et l’angoisse. Rappelons qu’il écrivait à une époque où le scientisme faisait croire que le mystère – fruit de l’ignorance – disparaissait d’année en année devant les lumières de la science. Tout était scientifiquement explicable, et seule la superstition pouvait encore dresser des ombres autour de nous. Maupassant retrouve pourtant un au-delà de la peur dans l’inconscient immémorial. « On n’éprouve vraiment l’affreuse convulsion de l’âme, qui s’appelle l’épouvante, que lorsque se mêle à la peur un peu de la terreur superstitieuse des siècles passés », écrit-il. Il existe donc une peur atavique ; elle plonge ses racines dans un passé ancestral qui dort dans notre cœur, et c’est toute une vieille humanité qui tremble avec nous devant le mystère.
L’angoisse n’a pas d’objet précis. Alors que c’est une présence hostile qui fait peur, c’est une absence qui angoisse. La forme la plus enfantine de l’angoisse est provoquée par l’obscurité. Le noir épouvante par lui-même – et non par les monstres qui s’y cachent. On citera ensuite le vertige, qui est l’angoisse provoquée par le vide – et non la peur d’une chute dangereuse. « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. » Cette phrase illustre de Pascal désigne trois sources d’angoisse : le silence, l’infini et l’éternité. L’enfant qui marche dans le noir se chante une chanson pour se rassurer. Jean Cocteau raconte qu’ayant eu recours à ce remède, ce sont finalement les paroles inventées de sa chanson qui l’épouvantèrent.
L’angoisse révèle à l’homme sa solitude, et par là même sa liberté et sa dignité d’homme. Elle est le fruit de la réflexion et de la culture. « Guerre aux institutrices, aux professeurs transcendants, à tous ces livres qui élargissent le champ de l’angoisse humaine. Retour à la paix heureuse des aïeules », s’écriait ironiquement Pierre Loti. Alors que la civilisation est un cocon protecteur qui rassure, la culture est une angoissante fenêtre ouverte sur l’infini.
Pour Martin Heidegger et Jean-Paul Sartre, l’angoisse est le dévoilement du néant – comme la nausée signale l’apparition de l’être. Les mystiques y voient la porte étroite qu’il faut franchir afin de déboucher sur l’immensité divine. Jacob Boehme écrit : « Par l’angoisse et en surmontant l’angoisse, la vie éternelle sort du néant. » Et Georges Bernanos : « Il n’est d’autre remède à la peur que de se jeter à corps perdu dans la volonté de Dieu. »