L’eau et le feu
L’eau et le feu ont chacun un rapport étroit et bien particulier à la vie. Car nous sentons – et la science nous confirme – que toute vie vient de l’eau. Le mammifère émerge de la mer, et l’enfant qui naît sort du liquide amniotique. Les marais eux-mêmes grouillent de germes vivants.
Mais la flamme nous fascine parce qu’elle manifeste la présence d’une âme. La vie vient de l’eau, mais le feu est la vie même, par sa chaleur, par sa lumière et aussi par sa fragilité. Le feu follet menant sa danse frêle et éphémère au-dessus des eaux noires du marécage nous semble le message émouvant d’une âme vivante.
On dirait que l’homme s’acharne, par cruauté ou perversion, à rapprocher ces deux ennemis. Non content de faire bouillir de l’eau sur le feu dans les marmites de sa cuisine, il éteint le feu de camp le soir en versant un seau d’eau sur les braises. Mais c’est surtout le pompier, le grand organisateur du combat de l’hydre et du dragon, quand il dirige le jet de sa lance sur la base du brasier. Et là, il faut rappeler le proverbe espagnol si profondément pessimiste : « Dans la lutte de l’eau et du feu, c’est toujours le feu qui perd. » Pessimiste, oui, car le feu symbolise ici l’enthousiasme, l’esprit juvénile, l’ardeur entreprenante, et l’eau les tristes et décourageantes sujétions de la réalité.
Mais le génie humain ne se contente pas d’opposer l’eau et le feu. Il a su les synthétiser dans un seul élément : l’alcool – que l’on appelle parfois l’eau de feu. L’alcool est eau et feu à la fois. Pourtant elle ne montre à certains que l’un de ses deux visages. Selon l’analyse de Gaston Bachelard{1}, E.T.A. Hoffmann et Edgar Poe étaient également alcooliques et puisaient leur inspiration dans leur verre. Mais « l’alcool de Hoffmann, c’est l’alcool qui flambe ; il est marqué du signe tout qualitatif, tout masculin du feu. L’alcool de Poe, c’est l’alcool qui submerge et qui donne l’oubli et la mort ; il est marqué du signe tout quantitatif, tout féminin de l’eau. Le génie d’Edgard Poe est associé aux eaux dormantes, aux eaux mortes, à l’étang où se reflète la Maison Usher ».
CITATION
De l’eau
Plus bas que moi, toujours plus bas que moi se trouve l’eau. C’est toujours les yeux baissés que je la regarde. Comme le sol, comme une partie du sol, comme une modification du sol.
Elle est blanche et brillante, informe et fraîche, passive et obstinée dans son seul vice : la pesanteur ; disposant de moyens exceptionnels pour satisfaire ce vice : contournant, transperçant, érodant, filtrant.
À l’intérieur d’elle-même ce vice aussi joue : elle s’effondre sans cesse, renonce à chaque instant à toute forme, ne tend qu’à s’humilier, se couche à plat ventre sur le sol, quasi-cadavre, comme les moines de certains ordres. Toujours plus bas : telle semble être sa devise. Le contraire d’excelsior.
Le Parti pris des choses
Francis Ponge