Chapitre 79

 

 

Jusqu’à présent intégrée au cœur du trône, une haute silhouette statufiée debout dans un linceul de mana noir apparut au milieu des débris. Un homme, svelte, de pur sang ténébreux, ses traits altiers étirés d’une profonde souffrance, les yeux écarquillés. Il semblait figé dans une sorte de stase.

Ce ne pouvait être qu’Arasùl, devina Cellendhyll. Il pressentait que, d’une certaine manière, le seigneur ténébreux  – le vrai, celui-là  – était encore vivant, mais incomplet, privé d’une bonne part de son intégrité. L’Ange commençait à comprendre quelle était la véritable nature de la Belle de Mort.

— Et maintenant ? demanda-t-il.

La Belle avait retrouvé sa forme originelle, celle de cette dague qui l’avait accompagné dans tous ses combats, depuis si longtemps. L’étanchant de sang, de mort, l’abreuvant de ses pouvoirs.

Elle répliqua :

Tu dois…

— Noon ! Cellendhyll ! hurla Estrée.

L’Adhan n’eut pas le temps de se retourner. Ni la dague d’agir.

Un geyser de mana noir frappa Cellendhyll dans les reins, forant un trou fumant dans sa chair qui le traversa de part en part. Projeté en avant, il s’effondra contre la statue d’Arasùl, qu’il macula de son sang.

Durement touché mais toujours debout, campé sur ses jambes, l’Apostat ricanait ; ses paupières et ses lèvres fumaient encore du trait de feu qu’elles venaient de cracher. Son moignon avait déjà cicatrisé, et la plaie de son torse achevait de se refermer.

— Tu croyais qu’il suffisait de deux coups d’épée, fut-elle une lame de pouvoir, pour abattre un Roi-Démon ?

Les deux cœurs de Cellendhyll pompèrent à l’unisson, luttant pour sa survie. L’Adhan comprit que leur combat était perdu d’avance. Il se sentit glisser vers le bas, tenta de se raccrocher à la statue. Trop faible pour y parvenir, il s’écrasa par terre, roulant sur le dos. Délogé par sa chute, le médaillon jaillit hors de son pourpoint et s’emmêla sur le devant de l’armure-crocs. Dans un dernier geste réflexe, Cellendhyll ramena sa Belle contre sa poitrine. À bout d’énergie, il ne put terminer son geste et la dague retomba contre sa blessure.

Étendu aux pieds d’Arasùl, sa bouche laissa échapper une bulle de sang. Son cœur humain cessa de battre, définitivement vaincu. Son cœur de Loki pompa encore, pugnace, mais pour la première fois, il était en train de perdre la lutte.

Ainsi c’est ça la fin… Comme je me sens détaché, soudain… Je n’ai pas peur, je n’éprouve plus de colère. Le moment est venu de partir. La seule chose que je regretterai, la seule également que j’emporterai avec moi dans l’Oubli, c’est Estrée.

Estrée, je viens à peine de découvrir notre amour et je te perds. Pardonne-moi. J’aurai voulu t’apporter ce bonheur que tu mérites, que j’ai cherché toute ma vie sans le trouver.

Estrée…

 

La vision de son Ange mourant avait privé la Fille du Chaos de ses forces, elle s’était effondrée sur elle-même, tassée à côté de Leprín, incapable de rejoindre celui qu’elle aimait. Jamais elle n’avait ressenti une telle douleur, un tel sentiment de perte. Son univers s’écroulait.

— C’est ton tour, Estrée, clama l’Apostat en se retournant sur elle. Tu m’as berné, tu as ruiné mon œuvre. Tu mettras un temps infini à mourir !

La jeune femme se moquait des menaces du démon. Trop désespérée pour être effrayée, elle resta repliée sur elle-même, son corps secoué par les sanglots, son âme brisée par le deuil.