Chapitre 51

 

 

Une pièce éclairée de lampes fichées dans les murs, vide de meubles ou de décoration, à l’exception d’un autel placé dans un coin, formé par un empilement de crânes enchâssés en forme de pyramide, de toute évidence un artefact. Au milieu de cette salle, assis en tailleur, un homme âgé se tenait immobile, les yeux mi-clos. Corps sec, bien conservé, soie rouge, barbiche tressée également rouge. D’instinct, Cellendhyll sut qu’il avait affaire à son ennemi : Shaardra-Thul, maître de la Main Pourpre.

Veillant sur ses arrières, Rathe gardait l’extrémité du couloir. L’Ange entra, et referma la porte derrière lui.

Les yeux de l’homme s’ouvrirent tout à fait, noirs, brillants de vitalité.

— C’est donc toi, l’Adhan, dit-il d’une voix rauque.

— C’est donc toi, Shaardra-Thul, répliqua l’Ange.

— Il est temps d’en finir, annonça le maître des Assassins.

— Je suis justement venu dans ce but, répliqua Cellendhyll qui avança de trois pas.

Le visage tout en méplats du maître des Assassins se fendit d’un sourire assuré. C’est alors que mus par quelque mécanisme secret ignoré de l’Ange, porte et fenêtre se verrouillèrent. L’autel était abîmé  – Shaardra-Thul n’avait pas eu le temps nécessaire pour remplacer les crânes. Il se mit pourtant à suinter une fumée incarnate qui ne tarda pas à épaissir et à se répandre dans la salle en léchant le parquet.

Shaardra-Thul était assis. Dans la seconde suivante, il se tenait debout et l’âge ne semblait en rien le handicaper, son pied gauche volant vers le visage de l’Adhan, destiné à le fracturer. Cellendhyll para l’assaut de l’avant-bras et recula. Pour se relancer aussitôt à l’attaque.

Il feinta un crochet du droit pour abattre sa senestre en une frappe latérale. Shaardra-Thul para à son tour, enchaîna d’un coup de genou, esquivé par l’Adhan.

Ce dernier tenta un fouetté du pied mais l’autre avait bondi sur le côté avant de ricaner, et de disparaître dans cette brume devenue omniprésente, qui englobait à présent toute la pièce. L’Ange ne voyait plus rien. Avalé par le rideau opaque, le maître-assassin était invisible. La brume se contentait d’exister, elle gênait complètement Cellendhyll mais ne l’attaquait pas directement. Inopérante, la Belle de Mort ne pouvait donc se gorger de sa magie.

Cellendhyll tentait de percer le rideau de brume lorsqu’il sentit une vive douleur derrière son épaule ; il se retourna juste à temps pour voir Shaardra-Thul reculer et disparaître à nouveau dans le voile rouge. Le maître venait de lui larder le haut du dos d’un coup de dague.

L’Adhan avança d’un pas, balayant l’air de sa dague sombre. Il ressentit une brûlure à sa cuisse, celle-ci venait d’être entaillée et il n’avait rien senti du coup en lui-même. Il n’avait même pas vu venir son adversaire. Aveuglé tel qu’il l’était, il ne pouvait que se défendre et encore, bien trop mollement à son goût.

Frappé une troisième fois, sur le côté, il accompagna sa chute d’une roulade, se redressa en faisant effectuer un arc de cercle à sa Belle de Mort. En vain. Shaardra-Thul se jouait de lui.

Contrairement à la plupart de ceux qu’il avait affrontés dans ce genre de circonstances, le maître-assassin ne s’égosillait pas, ne gaspillait pas sa salive en menaces gratuites. Prudent, conscient de la puissance supérieure de l’Adhan, qui avait tout de même occis tous ceux qu’il avait lancés contre lui, Shaardra-Thul ne restait pas au contact. Il frappait, repartait dans la brume, revenait à l’assaut par un autre côté, préparant déjà sa prochaine embuscade, impossible à cibler. Car le maître n’était nullement aveuglé par la brume rouge, cela se devinait à ses attaques assurées, à ses déplacements rapides et furtifs.

Cellendhyll, au contraire, ne voyait même plus les limites de la pièce, il était devenu captif de cet univers qui le baignait de son opacité, livré à un ennemi insaisissable. Ces coupures successives n’étaient pas graves pour le moment mais leur accumulation risquait bien de le saigner à blanc.

L’Ange avait beau continuer d’agiter sa dague, de zébrer l’air à l’aveuglette, il ne parvenait à rien. Fort de sa magie, le maître-assassin maîtrisait l’affrontement.