Chapitre 74

 

 

Ils prirent le temps de souffler. L’épaisseur de la double porte semblait avoir étouffé les bruits du combat. Nul n’en sortit.

Conscient du dénouement inéluctable qui se profilait avec le Père de la Douleur, conscient enfin de ses sentiments réels à l’égard de l’héritière d’Eodh, Cellendhyll se tourna vers elle, son regard de jade caressant la jeune femme. Il souffla :

— Moi aussi, Estrée…

— Toi aussi quoi ?

— Moi aussi, je t’aime.

C’était là une affirmation nette. D’émotion, la jeune femme porta la main à sa bouche. Sinon, elle en aurait crié de joie. Car ce qu’elle aurait considéré comme un énorme fantasme quelques années auparavant, à l’époque où l’Adhan ne la regardait même pas en dépit de ses efforts pour se faire remarquer de lui, ce fantasme était devenu réalité. Estrée eut une brève pensée pour Lhaër, sa meilleure, sa seule amie  – tuée par les Sang-Pitié sur Valkyr.

— Je ne sais pas ce qui nous attend de l’autre côté de ces portes, mais jamais je ne me suis sentie autant à ma place qu’en ce jour, révéla-t-elle, ses traits altiers marqués par la détermination. Toi et moi, Cellendhyll, jusqu’au bout. Et si je dois mourir aujourd’hui, à tes côtés, je le ferai comblée.

— Nous n’allons pas mourir, Estrée, je ne le permettrai pas. Je suis venu pour vaincre, rien d’autre. Garde l’esprit clair et tout ira bien. Mais n’oublie pas, quoi qu’il arrive, surtout, ne t’interpose pas entre le Père et moi.

Elle opina sagement.

— Tu aurais fait une Spectre parfaite, Estrée, tu en as largement l’étoffe.

Cellendhyll se pencha et, très délicatement, prenant soin de ne pas la toucher de ses crocs de métal, il baisa ses lèvres.

C’est peut-être notre dernier baiser, il doit être le meilleur d’entre tous, songea Estrée, l’espace d’une seconde, avant de s’oublier dans le réconfort que lui offrait la bouche de son amant.