Chapitre 30
Cellendhyll était seul dans le hammam de l’hôtel, transpirant les toxines de la veille dans une pièce ronde à quatre piliers centraux, décorée d’une faïence à petits carreaux verts et bleus. La vapeur chuintait, sifflait, issue de bouches d’aérations placées en bas des murs.
Assis sur un banc de pierre, vêtu d’un seul pagne, l’Adhan suait à grosses gouttes. Il s’abandonnait à la brume brûlante, plongé dans une agréable torpeur. Les contours de la grande pièce avaient disparu, repoussés par la vapeur.
Un mouvement de l’autre côté des piliers le fit se redresser. Il n’était plus seul.
Un léger halo rougeâtre se forma à droite d’un pilier. Cellendhyll se mit en position de combat. Le halo avait disparu. L’Adhan tenta une nouvelle fois de percer la brume du regard, sans succès.
Un mouvement soudain sur sa gauche. Le halo réapparut, nimbant la silhouette de celui qu’il protégeait. L’Ange eut juste le temps d’entrevoir un visage au teint pâle, maigre, figé par la détermination. L’assaillant était athlétique, vêtu comme lui d’un unique pagne, avec des cheveux très courts.
Percuté de côté, l’Adhan s’effondra. Il accueillit sa chute d’un roulé-boulé, se redressa tout en se retournant. Ses mains brusquement croisées devant lui interceptèrent le coup de pied qui le menaçait. Il emprisonna la cheville de l’assassin, qu’il releva vers le plafond, avant de faucher son autre jambe. L’homme chuta mais réussit à tourner sur lui-même pour s’arracher à son étreinte.
Cellendhyll se jeta sur lui mais l’autre le repoussa d’une ruade des jambes jointes. Le tueur se remit sur pied d’une torsion des reins avant de relancer son assaut. Cellendhyll pivota, frappa du coude, reçut un crochet sur la pommette, riposta d’une manchette qui manqua son but.
Un nouveau coup de pied le cueillit en haut de la cuisse. L’Adhan fit semblant de perdre l’équilibre, avant de se détendre comme un fouet. Le coup qu’il porta fendit la joue du tueur mais ce dernier sembla ne rien ressentir et la blessure se referma quelques instants plus tard. Le tueur fit un pas en avant, feinta un crochet du gauche et frappa d’un revers de la droite qui atteignit Cellendhyll au front, le sonnant quelques instants. L’autre en profita pour passer derrière lui et lui faire une clé au cou.
Cellendhyll tendit les muscles de sa gorge pour se protéger. Mais, torsadé de muscles, l’avant-bras du tueur l’étranglait sans qu’il puisse se dégager de son étreinte.
Un coup de talon sur le dos du pied de l’assassin lui procura un léger répit. L’Adhan frappa vers l’arrière, du coude, en plein plexus solaire. Puis il se cassa en deux et fit passer le tueur par-dessus lui, l’entraînant dans un vol plané. À peine au sol, son adversaire releva une jambe tendue pour le frapper en plein torse et le faire reculer. Il se redressa d’un bond. Cellendhyll combla l’écart et lui décocha un coup de pied dans le genou pour le déséquilibrer. Fit suivre d’un coup de coude dans la gorge, d’un autre dans l’oreille.
Le tueur encaissait les coups, néanmoins, protégé par la magie rouge, il n’était que freiné et pas amoindri. Cellendhyll, en revanche, commençait à ressentir la fatigue et les douleurs qui s’accumulaient. Il était harcelé depuis le début du combat, aucun répit, impossible de se plonger dans le zen ou d’atteindre le Hyoshi’Nin.
Il parvint enfin à saisir le poignet de l’assassin, à le retourner pour obliger l’homme à se courber en deux. L’autre répliqua d’un coup de pied arrière dans le genou de l’Ange, en profita pour se libérer et enchaîner immédiatement d’une frappe du coude en pivot arrière. L’homme aux cheveux d’argent se baissa pour éviter la riposte et se redressa aussitôt après pour bousculer son opposant d’un coup d’épaule. Le tueur partit en arrière, glissa, se cogna contre l’épaisseur d’un pilier. Cellendhyll se rua sur lui, décidé à profiter de l’avantage. Mais le choc fut étouffé par la magie rouge et le tueur n’en fut nullement diminué. Il prit appui contre la colonne de pierre et jaillit en avant. Porté par son élan, il percuta Cellendhyll en plein torse, l’envoyant à son tour cogner contre un pilier. L’Ange n’avait rien, lui, pour le protéger de la douleur. Le choc contre la pierre engendra une langue de feu intense qui remonta dans tout son dos tandis que son cerveau était flagellé d’explosions de lumière.
L’homme revint au contact. Profitant de l’hébétude de Cellendhyll, il le saisit par le cou et bascula dans une roulade arrière. Entraîné par l’élan, impuissant, l’Ange s’envola pour s’écraser au sol, à nouveau victime d’un déferlement de souffrance.
Le tueur se jeta sur lui. Ils roulèrent sur le sol, leurs membres enchevêtrés par le désir de vaincre. Ils roulèrent, leurs peaux glissantes, leurs mains qui tentaient de s’agripper rendues maladroites par la moiteur ambiante. Tous deux avaient les cheveux courts, pas de prises possibles non plus de ce côté-là.
L’assassin se révélait plus lourd. Il parvint finalement à se hisser sur l’Adhan, pesant de tout son poids. Il tentait de planter ses doigts dans les yeux de l’Ange. Ce dernier secouait la tête pour l’en dissuader. L’autre changea de tactique. Il frappa l’Adhan à la mâchoire, avant de le saisir au cou des deux mains et de serrer. Cellendhyll cogna dans les côtes, mais fut contré par la magie rouge qui effaçait la douleur. Alors il saisit les deux pouces du tueur plaqués contre sa gorge et les retourna d’un geste sec, les brisant net à leur base. Le tueur ne ressentit rien mais ses mains perdirent de leur force. Cellendhyll passa son avant-bras en travers de la gorge de son assaillant et s’en servit comme d’un levier pour le repousser sur le côté. L’autre tenta de se redresser mais l’Adhan pivota sur lui-même, toujours allongé dos contre le sol, et frappa le tueur du bout du pied, fauchant le genou replié sur lequel l’homme prenait appui. Tandis que l’homme retombait, Cellendhyll étendit ses jambes en ciseau et les passa autour du cou de son adversaire. Puis il croisa ses chevilles et serra, la tête de l’assassin bloquée entre ses genoux.
L’assassin se débattit du mieux qu’il put mais il avait perdu l’avantage et la magie protectrice se révélait inopérante devant une telle attaque. Il tenta bien de frapper l’Adhan mais ce dernier lui emprisonna le poing, qu’il tordit, tout en cambrant les reins, toujours en train de l’étrangler. Le visage du tueur se marbra. La magie rouge protégeait de la douleur, pouvait guérir des coups, des entailles ou des lacérations, elle ne pouvait cependant lui apporter l’oxygène dont il avait besoin.
Un claquement sourd résonna soudain dans la salle et la tête du tueur resta figée dans un angle impossible, son corps amolli. Il venait de glisser dans la mort qu’il avait vainement – pour la dernière fois – tenté d’infliger.
Haletant, Cellendhyll mit quelques instants pour se relever. Des élancements parcouraient tous ses muscles. L’affrontement avait été bref mais intense.
Comme les fois précédentes, la lueur rouge qui enveloppait l’assassin enfla, gagnant en intensité, avant de disparaître, emportant le cadavre avec elle, gommant toute trace de l’affrontement.
Après avoir vérifié qu’aucun autre ennemi ne le menaçait, Cellendhyll retourna à son casier, se rhabilla, récupéra sa dague. Désormais, même au hammam, il ne la quitterait pas.
Il était bien heureux que le cadavre eut disparu. L’Adhan ne se sentait pas la force de le transporter ailleurs, si tant est qu’il eut disposé d’un endroit où le parquer – il n’avait aucune envie d’alerter le personnel du Meuritz sur la traque dont il était la proie.
Étouffant une grimace de douleur, il remonta, sur ses gardes, droit vers sa chambre, prêt à dégainer au moindre signe de danger. Une douche brûlante était le meilleur remède en attendant de pouvoir offrir son corps à la lumière des lunes jumelles et ainsi se livrer à sa propre magie curative, celle offerte par son cœur de Loki.