Chapitre 52
La fenêtre vola en éclats, défoncée par les bottes de Rathe, lui-même accroché à une corde. L’air frais ne tarda pas à chasser la brume. Profitant de ce répit inespéré, Cellendhyll put de nouveau voir. D’une éructation, il ordonna au voleur de rester à l’abri au dehors.
La silhouette de Shaardra-Thul se profilait sur sa gauche, le visage grimaçant de dépit, une dague dans chaque main. Les traits déformés d’un rictus sauvage, Cellendhyll avança droit sur lui.
Un échange vif s’engagea, métal contre métal, tintements redoublés. Talentueux, tous deux combattaient avec acharnement, chacun au sommet de son art, les deux dagues du tueur compensant la puissance supérieure de l’Adhan.
Les lames dansaient, s’entrechoquaient. Affirmées, les volontés s’affrontaient. Cristallisés par le danger, la soif de vaincre, les instincts s’empoignaient et les passes d’arme s’enchaînaient à toute allure, sans temps mort… Âpre et vif, tenace et subtil comme seul savait l’être le combat à la dague.
Mais ce combat s’éternisait. À tout moment des renforts pouvaient arriver pour venir en aide à Shaardra-Thul. Justement, on frappa à la porte à coups redoublés. Le maître-assassin lâcha un ricanement. Il allait bientôt reprendre l’avantage. D’un ton autoritaire, il ordonna aux siens d’aller chercher de quoi enfoncer la porte. Il ne pouvait prendre le risque de reculer jusqu’au mécanisme caché qui ouvrait celle-ci sans risquer d’être submergé par son adversaire.
Deux, trois échanges encore sans que l’un ou l’autre ne puisse prendre l’avantage. D’un coin de l’œil, Cellendhyll avisa l’autel des crânes avait craché la brume magique. Une idée lui vint et il s’en rapprocha, tout en continuant de délivrer estocs, revers et coups de taille.
Arrivé à portée, il repoussa son adversaire d’un large revers de la dague s0mbre et donna un violent coup de pied dans cet assemblage d’ossements, brisant, fracassant ce dernier.
— Nooon ! hurla Shaardra-Thul.
L’espace d’un instant, il perdit le rythme parfait qui l’animait jusqu’ici et cela suffit.
De nouveau le héraut de dame Camarde, Cellendhyll réagit. Porté par le ressenti pur du Hyoshi’Nin, d’un seul et même mouvement coulé, il lacéra le bras droit de l’assassin, perça sa défense, lui ouvrit le ventre d’un trait horizontal appuyé, et remonta la Belle de Mort vers le haut. Estocade imparable, coup de grâce sauvage, la dague sombre cloua Shaardra-Thul sous le menton, remontant jusqu’à son cerveau qu’elle transperça. Elle ronronna de plaisir dans sa main, livrée à sa danse de prédilection.
Le maître-assassin s’affala, ses deux lames tintant sur le sol, ses membres agités de spasmes, frappant le parquet à coups irréguliers ; inévitable glas que l’Adhan et sa Belle sonnaient avec une constance effrayante.
Emporté, impuissant, par les rets carnassiers qu’il avait si souvent infligés, Shaardra-Thul trépassa.
Toujours accroché à sa corde, le voleur passa la tête dans l’embrasure de la fenêtre :
— Un sacré associé que j’ai là… Je n’aimerais pas t’affronter avec une dague, gamin.
— Merci Rathe, sans toi… souffla l’Ange qui retrouvait son souffle.
— De rien, partenaire ! C’était même un plaisir.
De violents coups ébranlaient la porte. Le bois commençait à se fissurer.
— Allez viens, souffla Rathe, tu as eu ce que tu voulais, filons.
Les deux comparses redescendirent grâce à la corde du voleur ; une fois sur le trottoir ils s’esquivèrent dans la nuit, environnés de la fumée du cône d’herbe lokie que le vieillard venait de rouler.