Chapitre 34
Alors que Cellendhyll franchissait le seuil de son hôtel, Rymanus achevait son petit-déjeuner, une plâtrée d’œufs au lard. Il essuya le gras qui maculait sa bouche et poussa un soupir de contentement.
On frappa à la porte, il donna l’ordre d’entrer. Le chevalier de Nilfær apparut.
— Alors Siméus comment te sens-tu ce matin ?
— En colère, rétorqua le chevalier.
La fracture de son nez avait été guérie par le médicastre personnel de l’archevêque, censé s’occuper du connétable Xavier, ce qui n’était en rien le cas. Cependant, le chevalier n’avait visiblement pas digéré l’affront que lui avait Cellendhyll.
— Oui je conçois ton humeur, dit le prélat. J’avoue que j’ai du mal à cerner ce Cellendhyll de Cortavar… Quelles sont ses motivations, je me le demande. Que penses-tu de lui, Siméus ?
— Je vais le tuer, siffla ce dernier.
— Siméus reprends-toi, mordiacre ! Apaise ta colère, en ce cas précis, elle ne me sert à rien !
Le chevalier relâcha une longue expiration avant de souffler :
— Mes excuses, votre éminence… Ce que je pense de l’Adhan ? Qu’il appartient à une sale engeance, qu’il représente un réel danger pour nous. J’ose vous rappeler qu’il a fait échec aux projets du cardinal Hégel à Gar-Vallon, avant de le tuer.
— Que la Lumière veille sur Hégel, c’était un saint homme, décréta le prélat. Et je lui ferai honneur en redorant le blason de la Lumière.
— Laissez-moi m’occuper de l’Adhan. Il suffit de le faire arrêter.
— Non, Siméus, ce n’est pas si simple, car si Cellendhyll est bien au service du prince Yggdrasill comme tout le laisse à penser, nous devons nous montrer prudents. Yggdrasill est un personnage éminent du Plan Primaire, trop éminent, il a le soutien de l’Alliance, comprends-tu ? S’attaquer officiellement à son homme de confiance équivaudrait à s’attaquer à lui. Cela provoquerait sans doute un scandale diplomatique et nous aliénerait l’Alliance, ce qui n’est pas encore une option envisageable… Curieux tout de même que cet homme surgisse ici au moment où je lance mes plans.
— Je vous le dis, seigneur, il représente un danger. Non seulement il vous a interrogé sur l’Hydre, mais je viens de l’apprendre, il a posé des questions dans toute la ville.
Rymanus balaya l’air de sa main :
— Cela n’est pas un sujet d’inquiétude. Il n’y a rien à trouver sur l’Hydre, puisqu’elle n’existe pas. Qu’il s’échine à poser ses questions, il ne fera que brasser du vent. Le seul à pouvoir le mettre sur notre piste est l’apothicaire Albédor, et ce dernier n’a aucun intérêt à le faire, tu le sais comme moi… Nous allons tout de même prendre une petite précaution. Tu dois aller voir Albédor pour récupérer son élixir, n’est-ce pas ? Avertis-le au sujet de l’Adhan. Si ce dernier vient le voir, qu’il s’en occupe et nous prévienne, mais attention, je le veux vivant, c’est impératif…
Nilfær acquiesça.
— Tu peux disposer à présent, Siméus. Reviens me voir une fois rentré de chez l’apothicaire.
Laissé à lui-même, Rymanus resta quelques instants à réfléchir à la manière dont il pouvait intégrer Cellendhyll à ses manigances. Puis un tiraillement familier dans son bas-ventre l’incita à se lever et à rejoindre sa chambre.
D’ordinaire, il prenait le temps de digérer, mais l’excitation qu’il ressentait était bien supérieure aux humeurs de son estomac. Il s’en rendait compte, l’exercice du pouvoir l’excitait encore plus qu’auparavant. Rymanus était virtuellement en passe de diriger la capitale de la Lumière, et cela abreuvait sa libido avec autant de force que les potions qu’il prenait pour renforcer ou magnifier son désir.
Gervaise était là, alangui sur le lit du prélat, attendant son bon vouloir. L’archevêque l’avait détaché de ses fonctions, le gardant désormais pour contenter son seul plaisir.
Le jeune homme aux airs graciles portait son harnais d’esclave en cuir clouté, il avait fardé ses lèvres, huilé ses cheveux bouclés. S’attardant sur le sexe long et mince de son giton, Rymanus passa la langue entre ses lèvres. Son propre vit était déjà dressé.
— Maître… que puis-je pour vous satisfaire ?
— Silence esclave ! tonna le prélat, tout en délaçant les pans de sa tenue de brocard mauve. Tu n’es pas là pour parler. Viens plutôt ici, et montre- moi à quel point ta bouche est avide de me plaire.
La pupille allumée par la concupiscence, Gervaise se laissa glisser du lit. C’est à quatre pattes, ondulant du bassin, qu’il rejoignit son amant.