Chapitre 38
Myaree, banlieue de Perth, wa.
Grâce aux informations de Nigel fidèlement rapportées par Ashe, le PO Cattrioni mit son plan à exécution en moins de quarante-huit heures. Un coup de filet chez les bikers, au quartier général de l’un de ces gangs, qui s’avéra très productif, au-delà même de ses espérances.
Pour une fois, Ange demanda à Ashe de l’accompagner. Pas officiellement, ce qui aurait pu agacer son équipe. Il prévint aussi Dick Cheney, son contact au West Australian, son journaliste préféré. Il confia à Ashe un rôle de photographe en lui demandant de se munir d’un bon appareil. Avec une seule consigne pour les deux, attendre la fin d’un embargo qu’il aurait lui-même fixée. Quelques heures, pas plus, mais quelques heures de black-out total. Au-delà de cette limite, il leur donnerait le feu vert. Ensuite il espérait donner le plus de publicité possible à son opération. Par les soins de Dick via le quotidien, par ceux de Ashe qui se débrouillerait, s’il avait le temps, pour diffuser les photos de l’intervention sur Internet.
Ange avait préparé le raid avec le plus grand soin. D’abord il avait rassemblé ses équipes, demandé deux ou trois renforts à des policiers d’autres districts en qui il avait confiance. Plus un matériel sophistiqué, radio, scanners et des armes évidemment. Il espérait bien ne pas avoir à s’en servir même s’il savait que ses hommes avaient la gâchette facile. Comme les bikers d’ailleurs. Mais il ne voulait à aucun prix que se renouvelle la bavure de la semaine précédente à Canberra où les forces de l’ordre n’avaient pas hésité à abattre un homme de vingt-sept ans, ivre de surcroît, qui avait fait du grabuge dans son quartier et qui les menaçait… d’un simple couteau à viande. Les policiers avaient parlementé avec lui pendant une demi-heure et, n’obtenant pas sa reddition, avaient tiré une balle, une seule. Dans le cœur. L’homme était mort sur le coup.
Le plus difficile avait été la préparation politique. Discrètement, la police de Perth avait obtenu les pleins pouvoirs de la ccc, la Commission de la corruption et du crime. Cela n’avait pas été sans mal car les bureaux du “Premier” avaient tenté par tous les moyens de faire capoter l’affaire et Cattrioni craignait surtout qu’en faisant connaître son projet trop tôt, il n’y ait des fuites. Il en fut étonné mais, apparemment, ce ne fut pas le cas. Ou bien les Rock Rebells, sûrs de leurs protections haut placées, n’avaient pas peur d’une intervention policière. Ou alors ils furent vraiment pris par surprise.
Il ne fallait pas non plus faire connaître les résultats de l’opération trop vite car il voulait se garder un peu de temps libre, quelques heures, hors de toute publicité et de toute caméra pour la deuxième étape de l’opération, celle dont il n’avait parlé à personne, même pas aux membres de la ccc, celle dont il attendait des résultats bien plus intéressants que le grand coup de pied qu’il allait d’abord donner dans la fourmilière des motards. Mais d’abord, il fallait réussir cette incursion chez les Rock Rebells.
À minuit pile, le petit groupe d’intervention qu’Ange avait constitué, et qui avait pris position avec la plus grande discrétion dans les rues adjacentes de Myaree, sauta au-dessus des palissades de la propriété fortifiée qui servait de quartier général au gang. Les hauts murs furent escaladés prestement, les caméras de surveillance neutralisées. Ralentis par l’alcool, les bikers mirent quelques secondes à réagir et un seul coup de feu fut tiré. Dans les vapeurs de marijuana et de bière ils se rendirent compte très vite qu’ils n’avaient aucune chance d’avoir le dessus. Et que leurs “connections utiles” les sortiraient vite d’affaire.
Sur les photos qu’Ashe allait mettre en ligne le lendemain, on voit bien le déroulement de l’action. Même de loin. D’abord dans l’obscurité, on distingue les ombres des policiers d’élite en train d’escalader les murs. Leurs lunettes infrarouges, leur souplesse, leur combinaison, leurs bottes légères et leurs armes.
Ensuite parce qu’il avait pu à son tour s’approcher de l’enceinte du club et photographier par-dessus, on voit le bâtiment au moment où les policiers l’investissent. De puissants projecteurs éclairent alors la façade de ce qui avait été autrefois un garage. Au-dessus de la porte coulissante entrouverte subsiste le dessin à moitié effacé d’une publicité pour des pneumatiques. Le repaire des Rock Rebells se niche au cœur d’un quartier de petites manufactures, d’entrepôts, parsemé de-ci de-là de rares pavillons d’habitation. C’est ce qui avait décidé Ange à tenter le coup. À cette heure-là, dans ce quartier quasiment désert, aucun passant insomniaque ne risquait de se trouver sur la trajectoire d’une balle perdue. Sur le côté, une armada de motos étaient garées dans le désordre. Des Harley-Davidson dont les chromes rutilaient sous la lumière des projecteurs mais aussi des japonaises et quelques engins de collection européens Triumph, bmw.
Ashe avait photographié les engins car pendant un long moment il ne s’était rien passé. Il avait l’interdiction, comme Dick Cheney, de pénétrer dans la forteresse. Il devait rester à l’extérieur et capter tout ce qu’il pouvait. Dick prenait des notes et quelques photos avec un autre appareil.
Ce qui frappait sur les clichés suivants, ceux de la sortie des gangsters menottés, c’était leur sourire. Comme si on venait de leur raconter une bonne blague. Tous avaient les cheveux ras mais ils n’étaient pas des caricatures de motards barbus et gonflés aux amphétamines comme Albury ou Smith, deux des blessés de Greys. Ceux-là avaient plutôt l’air d’une équipe sportive en goguette. D’ailleurs lorsque les teams de rugby ou de cricket passent à la troisième mi-temps et qu’ils sont photographiés à la sortie d’un night-club, ils sont plus déchirés que ces motards-là. Sur les photos, aucun des bikers ne cachait son visage comme pour dire, derrière leurs figures hilares : “Mais qu’est-ce que vous nous voulez ?”, “C’est pour la caméra cachée ?” ou encore : “Vous êtes en train de faire une grosse bêtise…”
Ils avaient bien tort. Ils n’avaient même pas pris la peine de planquer leurs richesses. En fouillant à peine, en ouvrant seulement les placards et les armoires métalliques, les policiers rassemblèrent un butin confortable. Des dizaines d’armes de poing, quelques fusils mitrailleurs, des munitions en veux-tu en voilà. Et ce n’était pas le plus important.
Cette nuit-là, la police de Perth, et donc le PO Cattrioni, remit enfin la main sur le chef redouté des Rock Rebells. The boss.
Pour Ange, c’était capital, beaucoup plus même qu’il ne l’avait imaginé.