Chapitre 20

Il se disait qu’il était en train de gâcher sa journée. Surveiller, espionner, rendre compte, ça il savait faire. Mais il fallait que ça serve à quelque chose. Ce matin il en doutait.

En principe il s’agissait simplement de ne pas perdre l’autre de vue. Et so what ? Qu’est-ce qu’il allait dire, après ? Que le gars était parti du campus de l’université et qu’il était monté dans un tram ? Il aurait dix mille fois préféré siroter une bonne bière sur une terrasse de café par ce matin clair, alors que la pluie n’avait cessé de tomber ces deux derniers jours sur Melbourne…

D’autant que maintenant il devait continuer alors que le vieux tramway s’arrêtait toutes les deux minutes et qu’il était bien obligé lui aussi de garer la moto en attendant qu’il reparte. C’était plus facile, un peu plus tôt, dans les jardins de la fac où des dizaines et des dizaines d’étudiants et de professeurs de toutes origines et de toutes couleurs passaient en permanence. Il n’avait eu aucun mal à ne pas se faire remarquer dans ce melting-pot, même si les allées étaient très clairsemées. Les bouquets de banksias et d’acacias sont bien utiles dans ces cas-là. Dans la ville, le mec allait bien finir par remarquer son petit manège, il devait être sur ses gardes

Suivre une bagnole, même si elle roule à fond des pédales, il sait faire. Sur n’importe quelle route. Et sans se faire voir en plus. Une question de tempo et de souplesse. De talent pour conduire aussi, mais ça il l’a toujours eu dans le sang. Et pourtant, là où il a été élevé, on n’en voyait pas beaucoup, des motos… !

Jusqu’à Latrobe Street, c’était encore du gâteau. Maintenant, en arrivant dans le centre, tout devenait plus compliqué. Il y avait plus de monde aux arrêts, plus de passagers qui montaient et qui descendaient, plus de cohue. Sans approcher trop près, il devait s’arrêter lui aussi toutes les deux minutes et observer de loin. À cause des feux de circulation il devait même parfois stopper juste à côté d’un des wagons. En tournant la tête il avait aperçu son bob rouge. À quoi ? Deux ou trois mètres de lui, pas plus. Dangereux. Heureusement, il portait un casque intégral.

Juste avant le pont de la Yarra, c’était devenu carrément impossible. Il avait failli le perdre avant la gare de Flinders Station, cette grosse pâtisserie victorienne qui témoigne de l’arrogance britannique. Un carrefour où beaucoup de lignes de transport se croisent. Au dernier moment, il avait vu qu’il passait d’un tram à l’autre. Il ne s’y attendait pas. Un court instant son cœur s’était accéléré. Il avait pensé qu’il était en train d’échouer.

Heureusement il avait toujours l’œil, même dans une foule. L’habitude du guetteur. L’autre portait son couvre-chef coloré et cela lui avait permis de voir, en une fraction de seconde, qu’il montait dans un autre tramway, vers Saint-Kilda. Il s’était encore avancé, à toucher les vitres de la rame, pour s’assurer qu’il ne s’était pas trompé et qu’il était bien à bord. Merci seigneur ! Il était debout dans l’allée centrale, l’air vague, comme absent.

Après, sa tâche était devenue plus aisée, la route se dégageait, même si le vieil engin avançait au rythme du pas d’une mule. Il reprit ses distances et c’est là qu’il le perdit. Juste au moment où ils allaient arriver au terminus.

Il avait deviné que si l’autre allait à Saint-Kilda, c’était pour faire un tour à la plage. Une bonne marche roborative sur le sable, en cette fin de matinée, encouragé par le soleil intermittent. Là-bas, il n’aurait aucun problème pour poursuivre sa filature.

Il pensait à cela pendant qu’il se laissait volontairement glisser à une centaine de mètres en arrière. Il ne le vit pas descendre au moment où ils arrivaient à Prahan, deux stations avant la fin de la ligne de Saint-Kilda. Si vite que, sans bob rouge, l’homme disparut, sans crier gare, dans la foule de Chapel Street.

Foutu.

À moins que…

Les mâchoires du serpent
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