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Petite, menue, la tête fine étouffée par une masse de cheveux très noirs, elle le salua en se cassant en deux. Elle était vêtue d’une blouse blanche et d’une jupe plissée bleu nuit qui lui donnaient l’allure d’une lycéenne bien sage. Impossible de préciser un âge entre quinze et quarante ans.
– Obéissez, honorable étranger, recommanda-t-elle. Mon mari est un homme très vindicatif.
– Thereza, ordonna la voix de fausset, fouille ce bonhomme.
Scott Marlow avait la faculté de décrire n’importe qui à partir de sa voix. À l’école de police, il excellait dans cet exercice. Il savait donc que, derrière lui, se tenait un colosse de plus de deux mètres, rompu à la pratique de sports violents, doté d’une impressionnante musculature et d’un très faible coefficient intellectuel. Inutile de tenter de le convaincre par une dialectique savante.
C’est pourquoi le superintendant ne tenta rien contre la petite Asiatique qui, de ses doigts agiles et nerveux, entreprit de le fouiller. Elle aurait bientôt la preuve de sa qualité.
– Ce monsieur n’a pas de papiers mais il est armé, révéla-t-elle d’un ton acidulé, butant presque sur chaque mot, effrayée, avant de s’écarter de l’homme du Yard.
– Comment ? s’exclama Scott Marlow. Impossible ! Je les ai mis ce matin dans…
Il s’interrompit. Avant de quitter son bureau pour se rendre chez Higgins, il avait changé de veste en l’honneur deChristmas.Et ses papiers étaient restés dans l’autre !
– Assez de mensonges, s’irrita la voix de fausset. Cette fois, il faut vous expliquer ! Sinon…
Une lueur, provenant de l’office, progressa dans leur direction. Un nouveau comparse, sans aucun doute. Scott Marlow était pris au piège. Il avait décidé de réfléchir à une action d’auto-défense quand il reconnut l’austère silhouette d’Aldebert Tilbury, le majordome.
– Superintendant ! s’étonna ce dernier. Où étiez-vous passé ? Monsieur et madame Fitzgerald ! Quelle bonne surprise ! Je ne vous avais pas entendus entrer… Vous avez fait connaissance avec le superintendant, je présume ?
– En effet ! rétorqua, furieux, Scott Marlow qui se retourna pour voir celui qui l’avait menacé.
Il découvrit un petit homme gras d’une soixantaine d’années, aux cheveux aussi noirs que ceux de son épouse, aux épaules tombantes, à la tête épaisse et lourde, presque difforme par rapport au reste du corps, accusant un étrange centre de gravité en raison d’un postérieur situé très bas au sommet de jambes trop courtes.
– Docteur Patrick Fitzgerald, annonça l’homme, dont le regard s’abritait derrière de grosses lunettes à large monture. Je vous présente mes excuses.
– Une seconde, protesta Scott Marlow, refusant de serrer la main qui lui était tendue. Je dois accomplir mon devoir.
Le superintendant avait une haute idée de sa fonction. Personne ne pouvait l’accuser de ne pas pratiquer son art avec conscience. Croyant au progrès, à la science et aux ordinateurs, contrairement à Higgins dont le passéisme finirait bien par se heurter à une énigme infranchissable, Scott Marlow n’en avait pas moins décidé d’intégrer les méthodes de son collègue à son propre système d’investigation. C’est pourquoi il avait eu la précaution de se munir d’un crayon Staedler Tradition B et d’un carnet noir.
Il prit donc des notes, à la lumière de la bougie que tenait le majordome, évoquant la dangereuse situation qu’il venait de vivre, le dialogue avec le docteur Fitzgerald et son épouse Thereza. Marlow enregistra scrupuleusement la description physique du couple qui le considérait avec un étonnement certain, ajouta que Thereza Fitzgerald était réellement très petite, comme tassée sur elle-même, et que son mari était l’un des hommes les plus noirs de poil qu’il avait eu l’occasion de rencontrer. Après quoi, il ferma le carnet et le rangea dans la poche droite de son veston en compagnie du crayon.
– Au nom du Seigneur – loué soit Son Nom –, à quoi correspond ce manège ? s’enquit le docteur Fitzgerald.
– Dans le cadre d’une affaire criminelle, révéla Scott Marlow avec gravité, tout le monde est réputé coupable avant que l’innocence soit éventuellement établie. Vous, comme les autres !
– Affaire criminelle ? Quelle affaire criminelle ?
Le superintendant observa que le docteur Fitzgerald avait tendance à pencher sa tête sur le côté quand il parlait, comme si elle était trop lourde pour son cou adipeux.
– L’assassinat de Lord Rupert ! révéla la voix puissante d’Adonis Forsyte, l’explorateur, qui descendait l’escalier monumental en s’éclairant à l’aide d’une bougie.
– Où vous cachiez-vous ? interrogea Scott Marlow.
– Nulle part, répondit l’explorateur. J’étais dans ma chambre, tout simplement !
Il vit le médecin et son épouse.
– Ah, ce vieux Fitzgerald ! Toujours bon pied bon œil, on dirait. Les médecins légistes ont la vie dure, c’est normal ! À force de travailler du cadavre, ils sont immunisés !
Adonis Forsyte fut le seul à rire de sa plaisanterie. Thereza Fitzgerald, dont le visage ne semblait posséder qu’une unique expression de vague ennui, comme si elle portait un masque, vint se placer aux côtés de son époux, très crispé, les poings serrés. Le majordome, discret, se contentait de tenir droites ses bougies. Quant à Scott Marlow, il leva les yeux pour voir apparaître, descendant du premier étage, le baron Hyeronimus Breakstone et la comtesse Arabella von Rigelstrand. Le baron, porteur d’un chandelier à quatre branches, précédait la comtesse pour mieux l’éclairer et lui indiquer les marches dangereuses.
La porte du grand hall s’ouvrit en grinçant.
Entra l’ex-inspecteur-chef Higgins qui soutenait une femme corpulente au front ensanglanté.
Les trois crimes de Noël
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