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En cet après-midi deChristmas1, la neige commençait à tomber surLost Manor,recouvrant peu à peu les toits de l’étrange demeure d’un délicat manteau de blancheur et l’enfermant davantage dans le silence et la solitude. Pas une ferme aux alentours. Le premier hameau était distant de cinq kilomètres et la première petite ville de trente.
Érigé au cœur de la vieille Angleterre,Lost Manor,conformément au désir de son propriétaire, Lord James Rupert, n’avait pas son pareil dans l’univers. La puissante bâtisse, construite au fond d’une vallée fermée, était entourée de chênes centenaires qui la masquaient aux regards indiscrets. Seul un aviateur aurait pu apprécier à son juste prix l’incroyable enchevêtrement de tours, de tourelles, de bastions, de chemins de ronde et de créneaux où se mêlaient mille et un styles, du byzantin ornementé au gothique militaire. L’architecte avait incarné dans la pierre les rêves et les mirages de Lord Rupert, infatigable voyageur qui s’était attaché à réunir en un seul lieu, à l’écart du monde, les souvenirs de ses explorations.
Lost Manorn’était accessible que par une petite route, presque un sentier, le plus souvent embourbé. Des crêtes boisées barraient l’horizon de tous côtés.
Aldebert Tilbury laissa retomber le voilage de la grande fenêtre du hall d’accueil d’où il regardait voleter les flocons, de plus en plus gros. L’hiver survenait avec retard, mais il s’annonçait rude.
Vêtu, comme chaque jour de l’année, d’un smoking noir, Aldebert Tilbury assurait avec une ponctualité exemplaire ses multiples tâches de majordome. Son maître, Lord Rupert, était aussi exigeant que pointilleux. Depuis le lever, tôt matin, pour la préparation d’un breakfast à base d’œufs brouillés et de bacon recouvert d’une sauce au curry, jusqu’au souper de vingt-deux heures arrosé de vin français, le majordome deLost Manorne cessait d’encaustiquer, d’astiquer, d’épousseter, de cuisiner, de servir et de desservir. Il était à lui seul une armée de valets diligents et fidèles. Impossible de quitter le manoir, ne fût-ce qu’une demi-journée. Impossible de renoncer à l’un quelconque des devoirs domestiques qu’Aldebert Tilbury remplissait depuis plus de dix ans.
Entendant sonner la quatrième heure de l’après-midi au beffroi gothique deLost Manor,le majordome servit le thé de Chine dans le salon hindou. Alors qu’il disposait tasse, soucoupe et sucrier en porcelaine de Canton, un bruit absolument incongru lui déchira l’oreille.
Il s’approcha d’une fenêtre.
Stupéfait, il aperçut une vieille Bentley sortant de la forêt de hêtres où serpentait l’unique voie d’accès au domaine. Elle avançait avec lenteur. Le visiteur ignorait qu’aucun véhicule n’était autorisé à violer le territoire de Lord Rupert. Ce n’était donc pas un membre de la famille.
Une dizaine de minutes plus tard, l’automobile s’arrêta devant l’entrée deLost Manor.Aldebert Tilbury, qui avait chaussé des gants beurre frais et ajusté son nœud papillon aux larges ailes, se tenait déjà au sommet du perron, indifférent au vent glacé qui faisait tourbillonner les flocons de neige.
Le conducteur, un personnage épais à la figure rougeaude, demeura au volant. Son passager descendit de la Bentley. Le majordome émit un jugement plutôt positif sur le visiteur qui grimpait calmement les marches du monumental perron, dessiné en arc de cercle et orné de blasons de pierre.
De taille moyenne, le visage à la fois rond et fin, la lèvre supérieure ornée d’une moustache poivre et sel taillée à la perfection, coiffé d’une casquette de bonne coupe à carreaux rouge et brun, vêtu d’un imperméable Tielocken au classicisme inimitable, l’homme s’immobilisa devant Aldebert Tilbury.
– Monsieur s’est sans doute égaré, dit ce dernier, hautain.Lost Manorne se visite pas.
– Higgins, de Scotland Yard, se présenta l’ex-inspecteur-chef.
– Scotland Yard, répéta le majordome, interloqué. Scotland Yard… mais pourquoi être venu jusqu’ici ?
– Parce qu’un crime a été commis àLost Manor.
1-
Le Noël britannique.
Les trois crimes de Noël
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