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– Il faut quand même essayer, estima
Scott Marlow.
– Nous n’allons pas fouiller une
nouvelle fois cette maison, gémit la comtesse.
– C’est indispensable, poursuivit le
superintendant. Qui d’entre nous admettrait l’idée d’abandonner
maître Root aux mains d’un criminel ?
Aucune voix ne s’éleva pour rompre le
silence.
– Il existe des risques, je le
reconnais, mais nous avons le devoir de les prendre, dit avec
gravité le superintendant. Nous savons déjà que l’assassin se cache
au rez-de-chaussée, puisqu’il a fait disparaître Kathryn Root en
utilisant un passage secret tout près d’ici. Baron, emmenez la
comtesse dans le salon du Lotus bleu et restez auprès
d’elle.
– Venez, ma chère, intervint aussitôt
Hyeronimus Breakstone, prévenant. Ne restez pas debout. Vous allez
défaillir.
Prenant son épouse par le bras,
Hyeronimus Breakstone l’entraîna vers le salon
chinois.
– Ne souhaitez-vous pas retourner
dans votre chambre ? suggéra le superintendant à Thereza
Fitzgerald.
– Non, répondit-elle d’une voix
acidulée et pointue. Je préfère demeurer aux côtés de la comtesse.
Je n’ai plus sommeil. Je la rejoins.
– Désirez-vous boire un peu de tisane
avant de partir en chasse ? demanda Higgins.
– Non, répondit héroïquement Scott
Marlow. Ne perdons pas une seconde, la vie d’un otage est en
jeu.
– Sans un peu de liquide chaud,
insista Higgins, je me sens incapable de continuer. Commencez les
recherches avec le docteur Fitzgerald, superintendant. Examinez
chaque pierre de ce couloir. M. Forsyte et moi-même vous
rejoindrons dès que j’aurai repris des forces.
Scott Marlow se mit aussitôt au
travail, aidé du médecin légiste.
– Venez, ordonna Higgins à
l’explorateur.
Au sortir du couloir mystérieux où
Kathryn Root avait disparu, l’ex-inspecteur-chef bifurqua
brusquement.
– Mais… vous n’allez pas vers la
cuisine ! s’étonna Adonis Forsyte.
Higgins atteignit le hall d’entrée,
de plus en plus faiblement éclairé. Au-dehors, la neige continuait
à tomber. On ne discernait plus les marches du perron. Suivi de
l’explorateur, Higgins grimpa une nouvelle fois l’escalier
monumental.
Il parvint devant la porte de la
chambre jaune, celle des Fitzgerald.
– Éclairez-moi, demanda-t-il à
l’explorateur qui tenait un bougeoir.
Higgins enfonça une clé dans la
serrure, la fit fonctionner plusieurs fois.
– Que vérifiez-vous ? interrogea
Adonis Forsyte, intrigué.
– Un détail que vous connaissez
parfaitement, répondit l’homme du Yard.
– Moi ! Lequel ?
– Ne faites pas l’âne, monsieur
Forsyte. Je me doutais bien que les clés des chambres étaient
interchangeables. Chacune d’elles ouvre toutes les portes. La
famille entière était au courant, bien entendu.
L’explorateur, gêné, baissa la
tête.
– Bien entendu, avoua-t-il. Mais
quelle importance ?
– Celle d’une simple pièce du puzzle,
monsieur Forsyte, ni plus ni moins. Où avez-vous laissé votre fusil
?
– Dans la salle à manger africaine.
Quand cette harpie de notaire m’a agressé, je n’ai pas eu le temps
de m’en emparer pour me défendre. Mais je suis quand même armé. Un
revolver de brousse. Je ne crains personne. Inspecteur, je voudrais
vous dire…
– Oui, monsieur Forsyte
?
– Vous êtes plus énigmatique qu’un
sphinx.
– J’essaye simplement de garder mon
calme au cœur d’une tempête qui, je le crains, n’est pas encore
terminée. Aimez-vous les jeux d’ombre, monsieur Forsyte
?
– Eh bien, je n’ai pas eu l’occasion
d’approfondir la question.
– Dommage, le sujet est fort
instructif. Les Asiatiques sont passés maîtres dans l’art du
théâtre d’ombres. Vous croyez voir des personnages réels et vous ne
percevez que des apparences. Les ténèbres et la lumière
s’entrecroisent, abusant vos sens.
– Et… qu’en concluez-vous
?
– Rien encore, monsieur Forsyte. Dans
une enquête criminelle, se hâter est la pire des erreurs.
Descendons aider le superintendant.
Alors qu’Adonis apparaissait au
sommet de l’escalier monumental, un coup de feu
éclata.
La balle frôla l’oreille gauche de
l’explorateur. Hurlant de terreur, il se plaqua au sol. En bas,
quelqu’un détala à toutes jambes.
– Blessé ? s’enquit Higgins, relevant
l’explorateur.
– Non… je me suis cogné le front,
mais ça ira. Il faut rattraper le fou qui a tiré !
– Ce sera difficile, estima
l’ex-inspecteur-chef. Allons plutôt voir si votre fusil est
toujours au même endroit.
La salle à manger africaine n’était
plus qu’un caveau funéraire abritant le cadavre d’Aldebert Rupert.
Adonis Forsyte se précipita vers lui, comme s’il le voyait pour la
première fois.
– Pourquoi ils t’ont fait ça, ces
salauds, pourquoi ? Tu étais le seul type bien de la famille,
Aldebert. C’est injuste, injuste !
L’explorateur semblait être au bord
des larmes.
Higgins n’eut pas à chercher
longtemps le fusil. Il était posé sur la table, en
évidence.
– Le canon est encore chaud,
constata-t-il. C’est bien avec cette arme qu’on a tiré sur vous,
monsieur Forsyte.
L’explorateur, indifférent aux propos
de l’homme du Yard, se recueillait sur la dépouille mortelle
d’Aldebert Rupert. Sa méditation fut interrompue par l’intrusion
bruyante de Scott Marlow.
– Qui a tiré ? demanda le
superintendant, haletant.
– Nous l’ignorons, répondit Higgins.
C’est M. Forsyte qui était visé.
L’explorateur se détourna du cadavre
et fit face au superintendant.
– On a tenté de m’assassiner, avec
mon propre fusil !
La comtesse von Rigelstrand et le
baron Breakstone pénétrèrent à leur tour dans la salle à manger
africaine.
– Nous avons entendu un coup de feu.
Y a-t-il un blessé ? s’enquit, bredouillant, le baron
Breakstone.
– Heureusement non, répondit Scott
Marlow. Adonis Forsyte a échappé de peu à un attentat.
Très agité, le docteur Fitzgerald
prit le baron par le bras.
– Où est ma femme ?
– Thereza s’est endormie, expliqua
Hyeronimus Breakstone, changeant de visage.
Son teint grisâtre annonçait une
crise de foie imminente.
– Mon Dieu ! gémit-il. Il ne fallait
pas la laisser seule !
Le baron Breakstone prit la tête du
cortège précipité qui sortit en hâte de la salle à manger africaine
pour se ruer vers le salon du Lotus bleu.
Quand Higgins, le dernier, entra dans
le salon chinois sur les talons de ceux qui le précédaient, il
aperçut, dans la pénombre, deux corps allongés.
Ceux de Thereza Fitzgerald et de
Kathryn Root.