33

– Il faut quand même essayer, estima Scott Marlow.
– Nous n’allons pas fouiller une nouvelle fois cette maison, gémit la comtesse.
– C’est indispensable, poursuivit le superintendant. Qui d’entre nous admettrait l’idée d’abandonner maître Root aux mains d’un criminel ?
Aucune voix ne s’éleva pour rompre le silence.
– Il existe des risques, je le reconnais, mais nous avons le devoir de les prendre, dit avec gravité le superintendant. Nous savons déjà que l’assassin se cache au rez-de-chaussée, puisqu’il a fait disparaître Kathryn Root en utilisant un passage secret tout près d’ici. Baron, emmenez la comtesse dans le salon du Lotus bleu et restez auprès d’elle.
– Venez, ma chère, intervint aussitôt Hyeronimus Breakstone, prévenant. Ne restez pas debout. Vous allez défaillir.
Prenant son épouse par le bras, Hyeronimus Breakstone l’entraîna vers le salon chinois.
– Ne souhaitez-vous pas retourner dans votre chambre ? suggéra le superintendant à Thereza Fitzgerald.
– Non, répondit-elle d’une voix acidulée et pointue. Je préfère demeurer aux côtés de la comtesse. Je n’ai plus sommeil. Je la rejoins.
– Désirez-vous boire un peu de tisane avant de partir en chasse ? demanda Higgins.
– Non, répondit héroïquement Scott Marlow. Ne perdons pas une seconde, la vie d’un otage est en jeu.
– Sans un peu de liquide chaud, insista Higgins, je me sens incapable de continuer. Commencez les recherches avec le docteur Fitzgerald, superintendant. Examinez chaque pierre de ce couloir. M. Forsyte et moi-même vous rejoindrons dès que j’aurai repris des forces.
Scott Marlow se mit aussitôt au travail, aidé du médecin légiste.
– Venez, ordonna Higgins à l’explorateur.
Au sortir du couloir mystérieux où Kathryn Root avait disparu, l’ex-inspecteur-chef bifurqua brusquement.
– Mais… vous n’allez pas vers la cuisine ! s’étonna Adonis Forsyte.
Higgins atteignit le hall d’entrée, de plus en plus faiblement éclairé. Au-dehors, la neige continuait à tomber. On ne discernait plus les marches du perron. Suivi de l’explorateur, Higgins grimpa une nouvelle fois l’escalier monumental.
Il parvint devant la porte de la chambre jaune, celle des Fitzgerald.
– Éclairez-moi, demanda-t-il à l’explorateur qui tenait un bougeoir.
Higgins enfonça une clé dans la serrure, la fit fonctionner plusieurs fois.
– Que vérifiez-vous ? interrogea Adonis Forsyte, intrigué.
– Un détail que vous connaissez parfaitement, répondit l’homme du Yard.
– Moi ! Lequel ?
– Ne faites pas l’âne, monsieur Forsyte. Je me doutais bien que les clés des chambres étaient interchangeables. Chacune d’elles ouvre toutes les portes. La famille entière était au courant, bien entendu.
L’explorateur, gêné, baissa la tête.
– Bien entendu, avoua-t-il. Mais quelle importance ?
– Celle d’une simple pièce du puzzle, monsieur Forsyte, ni plus ni moins. Où avez-vous laissé votre fusil ?
– Dans la salle à manger africaine. Quand cette harpie de notaire m’a agressé, je n’ai pas eu le temps de m’en emparer pour me défendre. Mais je suis quand même armé. Un revolver de brousse. Je ne crains personne. Inspecteur, je voudrais vous dire…
– Oui, monsieur Forsyte ?
– Vous êtes plus énigmatique qu’un sphinx.
– J’essaye simplement de garder mon calme au cœur d’une tempête qui, je le crains, n’est pas encore terminée. Aimez-vous les jeux d’ombre, monsieur Forsyte ?
– Eh bien, je n’ai pas eu l’occasion d’approfondir la question.
– Dommage, le sujet est fort instructif. Les Asiatiques sont passés maîtres dans l’art du théâtre d’ombres. Vous croyez voir des personnages réels et vous ne percevez que des apparences. Les ténèbres et la lumière s’entrecroisent, abusant vos sens.
– Et… qu’en concluez-vous ?
– Rien encore, monsieur Forsyte. Dans une enquête criminelle, se hâter est la pire des erreurs. Descendons aider le superintendant.
Alors qu’Adonis apparaissait au sommet de l’escalier monumental, un coup de feu éclata.
La balle frôla l’oreille gauche de l’explorateur. Hurlant de terreur, il se plaqua au sol. En bas, quelqu’un détala à toutes jambes.
– Blessé ? s’enquit Higgins, relevant l’explorateur.
– Non… je me suis cogné le front, mais ça ira. Il faut rattraper le fou qui a tiré !
– Ce sera difficile, estima l’ex-inspecteur-chef. Allons plutôt voir si votre fusil est toujours au même endroit.
La salle à manger africaine n’était plus qu’un caveau funéraire abritant le cadavre d’Aldebert Rupert. Adonis Forsyte se précipita vers lui, comme s’il le voyait pour la première fois.
– Pourquoi ils t’ont fait ça, ces salauds, pourquoi ? Tu étais le seul type bien de la famille, Aldebert. C’est injuste, injuste !
L’explorateur semblait être au bord des larmes.
Higgins n’eut pas à chercher longtemps le fusil. Il était posé sur la table, en évidence.
– Le canon est encore chaud, constata-t-il. C’est bien avec cette arme qu’on a tiré sur vous, monsieur Forsyte.
L’explorateur, indifférent aux propos de l’homme du Yard, se recueillait sur la dépouille mortelle d’Aldebert Rupert. Sa méditation fut interrompue par l’intrusion bruyante de Scott Marlow.
– Qui a tiré ? demanda le superintendant, haletant.
– Nous l’ignorons, répondit Higgins. C’est M. Forsyte qui était visé.
L’explorateur se détourna du cadavre et fit face au superintendant.
– On a tenté de m’assassiner, avec mon propre fusil !
La comtesse von Rigelstrand et le baron Breakstone pénétrèrent à leur tour dans la salle à manger africaine.
– Nous avons entendu un coup de feu. Y a-t-il un blessé ? s’enquit, bredouillant, le baron Breakstone.
– Heureusement non, répondit Scott Marlow. Adonis Forsyte a échappé de peu à un attentat.
Très agité, le docteur Fitzgerald prit le baron par le bras.
– Où est ma femme ?
– Thereza s’est endormie, expliqua Hyeronimus Breakstone, changeant de visage.
Son teint grisâtre annonçait une crise de foie imminente.
– Mon Dieu ! gémit-il. Il ne fallait pas la laisser seule !
Le baron Breakstone prit la tête du cortège précipité qui sortit en hâte de la salle à manger africaine pour se ruer vers le salon du Lotus bleu.
Quand Higgins, le dernier, entra dans le salon chinois sur les talons de ceux qui le précédaient, il aperçut, dans la pénombre, deux corps allongés.
Ceux de Thereza Fitzgerald et de Kathryn Root.
Les trois crimes de Noël
titlepage.xhtml
9791090278066_tit_1_1_6.xhtml
9791090278066_pre_1_2.xhtml
9791090278066_chap_1_3_1.xhtml
9791090278066_chap_1_3_2.xhtml
9791090278066_chap_1_3_3.xhtml
9791090278066_chap_1_3_4.xhtml
9791090278066_chap_1_3_5.xhtml
9791090278066_chap_1_3_6.xhtml
9791090278066_chap_1_3_7.xhtml
9791090278066_chap_1_3_8.xhtml
9791090278066_chap_1_3_9.xhtml
9791090278066_chap_1_3_10.xhtml
9791090278066_chap_1_3_11.xhtml
9791090278066_chap_1_3_12.xhtml
9791090278066_chap_1_3_13.xhtml
9791090278066_chap_1_3_14.xhtml
9791090278066_chap_1_3_15.xhtml
9791090278066_chap_1_3_16.xhtml
9791090278066_chap_1_3_17.xhtml
9791090278066_chap_1_3_18.xhtml
9791090278066_chap_1_3_19.xhtml
9791090278066_chap_1_3_20.xhtml
9791090278066_chap_1_3_21.xhtml
9791090278066_chap_1_3_22.xhtml
9791090278066_chap_1_3_23.xhtml
9791090278066_chap_1_3_24.xhtml
9791090278066_chap_1_3_25.xhtml
9791090278066_chap_1_3_26.xhtml
9791090278066_chap_1_3_27.xhtml
9791090278066_chap_1_3_28.xhtml
9791090278066_chap_1_3_29.xhtml
9791090278066_chap_1_3_30.xhtml
9791090278066_chap_1_3_31.xhtml
9791090278066_chap_1_3_32.xhtml
9791090278066_chap_1_3_33.xhtml
9791090278066_chap_1_3_34.xhtml
9791090278066_chap_1_3_35.xhtml
9791090278066_chap_1_3_36.xhtml
9791090278066_chap_1_3_37.xhtml
9791090278066_chap_1_3_38.xhtml
9791090278066_chap_1_3_39.xhtml
9791090278066_chap_1_3_40.xhtml
9791090278066_chap_1_3_41.xhtml
9791090278066_chap_1_3_42.xhtml
9791090278066_chap_1_3_43.xhtml
9791090278066_chap_1_3_44.xhtml
9791090278066_chap_1_3_45.xhtml
9791090278066_chap_1_3_46.xhtml
9791090278066_collec_1_1_4.xhtml
9791090278066_isbn_1_1_9.xhtml