18

Le teint verdâtre du baron se mit en harmonie avec la couleur de la chambre. Il sortit une boîte de pilules de sa poche et en avala trois coup sur coup.
– Arabella… Arabella est un peintre de grande valeur. Les plus grandes familles font appel à elle pour obtenir leurs portraits.
La parole du baron devenait embarrassée. Higgins contemplait un superbe blason représentant une licorne d’azur.
– N’auriez-vous pas sur vous quelques photographies de ces tableaux ? Je m’intéresse beaucoup à la peinture et j’aimerais voir ces œuvres si réputées.
– Non, mais ce serait une bonne idée. Je n’y avais pas pensé.
– Quel style ?
– Quel style, je ne saurais dire. Classique, oui, classique. Il n’y a pas de meilleur terme. Classique et beau. Arabella est une puriste.
– Pourquoi ne pas l’avoir épousée, baron ?
Hyeronimus Breakstone se leva, raide et arrogant.
– Cette question est indigne de Scotland Yard. Je refuse d’y répondre. Ma vie privée…
– Votre vie privée fait partie de mon enquête, le coupa Higgins, sans cesser de tourner les pages de l’armorial où se côtoyaient lions, dragons, éléphants, léopards.
– Je ne vois pas comment elle pourrait éclairer le meurtre d’Aldebert Tilbury, inspecteur.
– Il est normal, baron, qu’un innocent ne perçoive pas les dessous d’une affaire criminelle. Je suis persuadé que les vies privées des participants à ceChristmasne sont pas étrangères aux deux crimes. La vôtre, notamment.
Le baron absorba deux autres cachets, se moucha bruyamment et s’assit à nouveau sur le rebord du lit dont il avait froissé la couverture verte.
– Ma vie privée est tout à fait limpide, inspecteur. Je collectionne, j’achète, je vends, je…
– Scotland Yard vérifiera ces détails, baron.
Higgins crut que Hyeronimus Breakstone allait défaillir.
– Vérifier… Qu’entendez-vous par vérifier ?
– De la routine, mon cher baron, indiqua l’ex-inspecteur-chef, bonhomme. Votre travail doit être une source de revenus importants qui justifient un train de vie digne d’un noble, et…
Le baron leva le bras pour interrompre Higgins.
– Inspecteur, implora-t-il d’une voix étranglée, j’aimerais éviter ces… vérifications.
– Pourquoi donc ?
– Parce que… parce que je ne paye pas d’impôts.
Higgins referma l’armorial et se retourna, faisant peser un regard si inquisiteur sur le baron Breakstone que ce dernier ne différa pas sa confession.
– Vous comprenez, inspecteur, je ne fais aucune déclaration et je vis chez la comtesse. Toutes mes transactions sont en liquide. Je ne laisse aucune trace. C’est la loi, dans le monde des numismates.
Hyeronimus Breakstone baissa la tête, gêné.
– J’enquête sur un meurtre, baron. Puisque vous avez commencé à coopérer de manière utile, continuez. Je suppose que la comtesse est informée de vos transactions… discrètes ?
Le baron ferma les yeux.
– La comtesse et moi sommes mariés secrètement depuis quinze ans. Il fallait éviter les foudres de Lord Rupert. Il n’acceptait pas l’idée de cette union. Il jugeait Arabella trop… trop sévère. James était si têtu qu’il n’a jamais voulu changer d’avis. Pourtant, il appréciait de plus en plus Arabella, sa classe naturelle, son élégance.
– Parmi les personnes présentes àLost Manor,l’une d’elles était-elle informée de ce mariage ?
– Non. Arabella et moi tenions à ce secret. Pour sa carrière, il était essentiel qu’elle se présentât comme une femme indépendante, sans attaches. Les familles nobles la considèrent comme une artiste romantique, solitaire, en proie à une inspiration qui exclut la présence d’un mari.
– La vie des peintres est souvent difficile, commenta Higgins. Êtes-vous certain qu’un redoutable chasseur comme Adonis Forsyte n’ait pas percé vos secrets ?
Le baron s’accorda un délai de réflexion.
– Je me suis souvent interrogé sur ce point, avoua-t-il. Peut-être avez-vous raison. Sous son aspect lourdaud, Forsyte est un personnage redoutable. On murmure qu’il n’a pas tué que des lions.
Higgins prenait des notes sur son carnet noir en moleskine, d’une écriture calme et régulière. Le « dossier » de chacun des acteurs du drame commençait à s’enrichir.
– Inspecteur…
Le baron Breakstone avait adopté le ton de la confidence.
– Inspecteur, je dois vous avouer… je crois que ma vie est menacée.
– D’où provient cette horrible impression, baron ?
– Puisque le malheureux Aldebert nous a quittés, je deviens forcément héritier de la fortune de Lord James. Une immense fortune. Chacun des objets conservés dans cette maison possède une valeur marchande considérable. J’étais le cousin préféré de feu James et je ne doute pas qu’il m’ait situé en bonne place sur le testament que Maître Root nous communiquera bientôt. Malheureusement…
Higgins n’interrompit pas le monologue. Le baron reprit son souffle.
– Malheureusement, Maître Root est une personne… fort inquiétante. Sa force physique est impressionnante. Et je crois qu’elle ne m’aime pas beaucoup. Je crains même qu’elle ne me déteste. Vous avez le devoir de me protéger, inspecteur.
Un grincement fit sursauter le baron Breakstone. Les yeux de nouveau exorbités, il regarda s’ouvrir très lentement la porte de la chambre verte.
Les trois crimes de Noël
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