36

Adonis Forsyte avait exploré la cuisine de fond en comble pour y découvrir un reste de porridge, quelques galettes de blé, du lard séché et une douzaine d’œufs. Scott Marlow, qui avait compris que Higgins lui attribuait une mission de surveillance d’une importance particulière, ne perdait pas le moindre geste de l’explorateur. Aux questions culinaires de ce dernier, le superintendant se contenta de répondre par des onomatopées.
– On doit manger chaud, indiqua Adonis Forsyte. Sinon, c’est désastreux pour la digestion. Mais il faudrait quand même savoir combien nous serons à table. Ça vous ennuierait, superintendant, de vous renseigner ?
Scott Marlow prit un air soupçonneux.
– Chercheriez-vous à m’éloigner, monsieur Forsyte ?
L’explorateur ouvrit des yeux étonnés.
– Pas le moins du monde ! Pourquoi essayerais-je ?
– Vous pourriez avoir vos raisons, insinua Scott Marlow, interrogateur.
– Lesquelles, par tous les dieux d’Afrique ?
– Nous verrons cela plus tard, monsieur Forsyte.
Un bruit sourd et profond fit sursauter les deux hommes.
– On dirait que ça vient de…
– De la salle à manger ! compléta le superintendant Marlow. Allons-y !
Abandonnant la cuisine et le breakfast, le policier et l’explorateur coururent jusqu’à la salle à manger où régnait un profond désordre. Des statuettes d’envoûtement, brisées en mille morceaux, gisaient sur le parquet à côté d’un tambour déchiré et d’une sagaie au manche brisé.
Scott Marlow s’interrogeait sur les raisons de ces déprédations quand Adonis Forsyte poussa un cri d’effroi, se collant au mur.
– Là, regardez ! Le cadavre d’Aldebert ! Il a… il a bougé !
Scott Marlow tourna lentement les yeux vers la dépouille mortelle du frère de Lord Rupert. Force lui fut de se rendre à l’évidence. Le malheureux s’était bien déplacé de deux bons mètres.
– Qui a fait ça ? Mais qui a pu faire ça ? Et où sont-ils passés ? Il faut les retrouver, tout de suite ! Et votre collègue ? Pourquoi n’accourt-il pas ?
Scott Marlow se sentit un peu perdu. Il ne devait pas laisser seul Adonis Forsyte, mais comment faire autrement pour partir à la recherche des hôtes deLost Manor ?
– Vous allez rester ici et veiller sur Aldebert Rupert, ordonna-t-il à l’explorateur. Je reviens.
Colère et peur se mélangeaient dans l’esprit de Scott Marlow. L’aide de Higgins s’avérait indispensable. Le superintendant se souvint que son collègue était monté à l’étage. Aussi travers a-t-il rapidement le grand hall pour grimper quatre à quatre l’escalier.
Il s’arrêta devant la porte de la chambre noire, entrebâillée.
– Higgins ? appela-t-il d’une voix douce, un peu tremblante.
Aucune réponse. Un grincement de plancher attira l’attention du policier. Tentant de le localiser, Scott Marlow fut aussitôt persuadé que ce bruit insolite provenait de la chambre jaune, celle du couple Fitzgerald. Collant son oreille contre la porte, le superintendant fut édifié.
Il y avait bien quelqu’un à l’intérieur. Quelqu’un qui se livrait à une fouille illicite. Scott Marlow respira profondément et sortit son arme réglementaire. Puis, d’une brusque poussée, il entra.
– Haut les mains !
L’homme, qui était accroupi au pied du lit, continua ses investigations.
– Fermez la porte, mon cher Marlow, dit-il sans se retourner, et rangez votre arme. Ces engins sont dangereux, vous pourriez blesser quelqu’un.
– Higgins ! s’exclama le superintendant. Qu’est-ce que vous faites ici ?
– Je cherche, mon cher Marlow, je cherche.
– Serait-il indiscret de vous demander si vous avez… trouvé ?
– Vous avez l’air inquiet, dit Higgins en se relevant. Un incident quelconque vous aurait-il perturbé ?
– C’est le moins que l’on puisse dire ! Le cadavre d’Aldebert Rupert a été déplacé. Et la salle à manger était vide.
Higgins glissa dans sa poche un minuscule objet ressemblant à un flacon de parfum.
– Adonis Forsyte était bien avec vous ?
– Oui. Mais la comtesse et le baron ont disparu.
– Vous êtes-vous rendu dans le patio où Patrick Fitzgerald et son épouse devaient se réfugier ?
– Pas encore.
– Voyons si MeRoot est bien dans sa chambre.
Higgins frappa à la porte de la chambre bleue.
N’obtenant pas de réponse, il recommença. Un sommier gémit. Puis un pas lourd brisa le silence. La voix embrumée du notaire s’éleva.
– Qui est-ce ?
– Scotland Yard. Vous pouvez ouvrir sans crainte.
Kathryn Root s’exécuta.
– Je dormais profondément, inspecteur. Que se passe-t-il ?
– Pardonnez-moi de vous avoir réveillée. Vous pouvez vous rendormir.
Kathryn Root referma sa porte alors que s’ouvrait celle de la chambre orange, laissant apparaître la silhouette de la comtesse Arabella von Rigelstrand.
– Vous me cherchiez, inspecteur ?
Higgins se tourna vers elle.
– Ne vous trouviez-vous pas dans la salle à manger, en compagnie du baron Breakstone ?
– En effet, mais j’avais froid, et je suis montée chercher un vêtement. Une veste que j’ai dû oublier ou un foulard. Voilà un quart d’heure que je fouille partout, c’est insupportable.
– Saviez-vous, demanda Scott Marlow, que le baron Breakstone avait quitté la salle à manger ?
– Non, il y était quand je suis sortie.
– Restez dans votre chambre, ordonna Higgins, et enfermez-vous à clé. Attendez que je vienne vous y chercher.
Arabella von Rigelstrand se dressa sur ses ergots.
– Inspecteur ! Je ne vous permets pas de me donner des ordres ! Je ne…
– C’est pour l’intérêt de l’enquête, comtesse, et pour votre sécurité. Vous êtes bien décidée à m’aider ?
Le sourire de l’ex-inspecteur-chef désarma Arabella von Rigelstrand. Elle n’insista pas et se conforma aux instructions de l’homme du Yard. Ce dernier frappa aux portes des autres chambres puis y pénétra, constatant qu’elles étaient vides. Celle du baron Breakstone étant fermée, il l’ouvrit à l’aide d’une clé.
– Vous avez la clé de cette chambre ? s’étonna Scott Marlow.
– Non. C’est la mienne, mais elle convient aux autres serrures.
Cette rapide inspection terminée, les deux policiers descendirent au rez-de-chaussée. La neige tombait avec régularité.
Dans la salle à manger, l’explorateur s’était agenouillé aux pieds du cadavre d’Aldebert Rupert. Adonis Forsyte priait. Il se leva précipitamment en voyant Higgins et Scott Marlow.
– Vous avez à nouveau déplacé le corps ! s’indigna ce dernier.
– Quelle importance ? protesta l’explorateur. On s’est assez moqué d’Aldebert. Je m’occupe de lui, à présent. Personne n’y touchera.
– Allons jusqu’au patio Tetouan, recommanda Higgins.
L’endroit était toujours aussi calme et reposant.
Thereza Fitzgerald, couchée en chien de fusil sur un banc de pierre, dormait à poings fermés. Son mari, veillant sur elle, récitait son chapelet.
– Rien à signaler ? demanda Higgins d’une voix douce, pour ne pas réveiller la petite Asiatique.
– Rien du tout, répondit le docteur Fitzgerald, étonné.
– Personne n’est venu vous importuner ?
– Personne. Se passe-t-il quelque chose de grave ?
Higgins ne répondit pas, préférant faire quelques pas dans le patio.
– Vous n’avez pas froid, docteur Fitzgerald ?
– Grâce à Dieu, non. Ce n’est pas le cas de Thereza, malheureusement.
– C’est pourquoi vous l’avez enveloppée dans ce grand châle de laine rouge.
– Exactement.
– Votre épouse dort toujours aussi profondément, docteur ?
– Lorsqu’elle est épuisée, oui.
Scott Marlow ne tenait pas en place. Les questions posées par Higgins lui semblaient bien inutiles alors que subsistait un problème de taille. Il ne se contint plus.
– Savez-vous où se trouve le baron Breakstone ?
– Aucune idée, répondit le médecin légiste.
– Soyez aimable de ne pas quitter cet endroit, docteur, recommanda Higgins.
Les trois crimes de Noël
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