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Rennes-le-Château
6 juin 1897
Les cris des invités résonnaient joyeusement dans tout le village. La fête battait son plein en l’honneur de la visite de l’évêque. Le matin même, il avait béni la nouvelle église remise à neuf par Saunière devant tous les habitants réunis.
Un verre de bourgogne à la main, Bérenger indiqua à Mgr Billard la façade du presbytère.
— Vous plairait-il, monseigneur, d’honorer de votre présence ma modeste demeure ?
— Avec plaisir, mon fils.
Les deux hommes abandonnèrent les convives, mais avant de partir Bérenger cligna de l’œil en direction de Marie Dénarnaud qui restait toujours en retrait lors des fêtes organisées par le curé. Ils poussèrent la lourde porte que l’on venait de changer et grimpèrent à l’étage dans ce qui lui servait de bibliothèque et de refuge.
— La chaleur est insupportable, je suis désolé, j’aurais dû faire ouvrir les fenêtres.
— Que de chemin parcouru, mon cher Saunière, depuis que vous êtes arrivé ici. Dites-moi, n’avez-vous pas peur d’attirer sur vous les foudres de l’envie ?
— Monseigneur, Dieu seul m’a guidé en cette pauvre paroisse.
— Dieu…
Saunière fixa son supérieur avec un sourire presque narquois.
— Dieu, oui, même s’il a parfois étrange figure.
— Allons, Saunière, que me dites-vous là ?
— Mais ce que vous savez déjà, monseigneur.
L’évêque tripota nerveusement le crucifix qui pendait sur sa poitrine.
— Croyez bien, Saunière…
— … que vous avez fait tout cela pour la plus grande gloire de Dieu ? Oh, je n’en doute pas, monseigneur ! Mais vous avez sacrifié une âme, la mienne.
Son interlocuteur haussa le ton.
— Je crains que vous ne l’ayez sacrifiée vous-même, monsieur l’abbé. Ne dit-on pas que vous fréquentez ces impies, ces sans-Dieu, ces francs-maçons…
— Vous voulez sans doute parler des frères de notre ami commun, le marquis de Chefdebien ? Celui-là même qui a financé la restauration et la décoration de l’église que vous venez de bénir.
L’évêque recula sur son siège : la forte carrure du curé l’impressionnait toujours autant.
— Sincèrement, j’ai du mal à me souvenir du jeune curé impétueux qui partait en guerre contre la république et ses diableries.
Saunière eut un faible sourire.
— Monseigneur, savez-vous ce que j’ai trouvé ?
Mgr Billard ferma les yeux.
— Je vois que vous le savez. Si je n’avais pas eu la maçonnerie pour me soutenir, j’aurais sombré dans le néant. Comment parvenez-vous à vivre avec un tel secret ?
— Dieu me donne la force !
— Dieu ne me rendra pas mon âme !
Le visage de l’évêque s’empourpra.
— En tout cas, vous l’avez vendue au prix fort.
Bérenger serra les poings de rage contenue.
— J’ai payé ma part du contrat, je veux maintenant profiter de la vie. D’ailleurs, j’ai de grands projets pour ma paroisse.
L’évêque soupira.
— Je ne serai pas toujours là pour vous protéger, Saunière. Je vous en conjure, demeurez humble et… discret. Nous avons tous des ambitions perdues.
Bérenger se leva.
— Monseigneur, je tâcherai de suivre votre conseil, mais laissez-moi profiter de ces moments d’oubli. Quand parfois je songe à ce que j’ai retrouvé… même l’enfer me paraît être un paradis.