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Jérusalem

21 juin 2009

 

La Ford venait de s’arrêter devant une villa qui jurait avec l’architecture environnante : une maison de deux étages, bâtie en pierre de taille, de style typiquement européen. Une petite allée aux haies taillées avec soin par un jardinier arabe menait au perron d’entrée. Le bruit du sécateur, quand Marcas passa près de l’employé, lui provoqua un frisson dans le dos. Un mauvais souvenir4.

Le commandant ouvrit la porte et lui fit signe d’entrer.

— Commissaire, bienvenue chez les Templiers.

Le policier français pénétra à l’intérieur de la demeure. La maison climatisée exhalait une légère odeur de lavande, Antoine entra dans un vestibule à l’ancienne, orné d’un tableau du XIXe siècle montrant des paysans en pleine moisson.

— Je ne vois pas très bien le rapport avec les chevaliers du Temple. Ils ont campé sur ce terrain pendant les croisades ?

Steiner prit un air moqueur.

— À vrai dire, nous ne parlons pas des mêmes Templiers. Cette maison a été bâtie à la fin du XIXe siècle par des colons allemands qui faisaient partie d’une secte protestante appelée les Templiers. Ils se sont d’abord établis à Haïfa et, ensuite, ont essaimé dans tout le pays, dont à Jérusalem où vous trouverez de nombreuses maisons de ce type. Elles s’arrachent aujourd’hui à prix d’or mais, il y a une vingtaine d’années, le gouvernement en a récupéré quelques-unes pour installer en toute discrétion certains de ses services. Venez, nous allons rejoindre l’équipe qui travaille sur Deparovitch.

Ils descendirent un long escalier de pierre et la température chuta sensiblement. Dans une immense cave transformée en poste de guet ultramoderne, trois hommes et deux femmes fixaient avec attention deux larges écrans muraux. Steiner et Marcas se postèrent derrière eux.

Sur l’écran de gauche, assis derrière un bureau luxueux, un chauve en peignoir sirotait un verre. En arrière-plan, on apercevait des statues et des tableaux entassés contre un mur. Le commandant pointa du doigt l’homme qui portait un verre à sa bouche.

— Je vous présente Deparovitch. Nous avons truffé ses bureaux de caméras miniatures. Maintenant regardez l’écran de droite : ce sont des vues de l’extérieur.

Une femme blonde en tailleur, portant de fines lunettes de soleil, venait d’apparaître. Elle tenait à l’épaule un sac de plage strié de bandes rouges et jaunes. Un garde la fouilla dans l’entrée, avant de la guider vers le bureau du trafiquant.

— Cette belle blonde est le lieutenant Melieva, qui opère en toute clandestinité, comme vous à Paris. Elle vient proposer à notre ami Deparovitch d’acheter une statuette disparue depuis une quinzaine d’années. Elle est censée partir du pays et veut se faire de l’argent avec l’héritage de son père. En principe, la transaction doit être finalisée aujourd’hui.

— Et il ne se méfie pas ? Ces types-là sont pourtant d’une prudence qui tourne souvent à la parano, non ?

— Pas plus que ça, l’un de ses complices habituels a servi d’intermédiaire de confiance.

— Vous l’avez détourné comment ?

— On l’a piégé avec un demi-kilo de coke déposé dans le coffre de son véhicule et découvert inopinément lors d’un contrôle antiterroriste. Ici, c’est dix ans de tôle assuré. Depuis il se montre très coopératif.

— Peu légal, mais efficace !

Steiner fronça les sourcils en regardant l’écran. Le trafiquant restait assis derrière son bureau et tapotait l’accoudoir de son fauteuil. D’un geste, il venait de refuser que la jeune femme sorte la statuette du sac.

— Peu légal ? Vraiment… vous croyez. Ah ! J’ai l’impression que notre ami Deparovitch fait traîner les choses. Quand va-t-il sortir son fric ? Il nous faut absolument un flagrant délit, on ne peut pas intervenir avant.

Le Russe continuait de fixer l’agent double, les secondes s’égrenaient de façon inexorable. La jeune femme faisait de grands gestes, l’air contrariée.

— On n’entend rien. Vous n’avez pas sonorisé la pièce ? interrogea Marcas.

— Hélas, non ! Notre infiltré chez Deparovitch a bien posé les caméras, mais a oublié d’activer le son. Et il était trop dangereux de mettre un micro à Melieva.

Le trafiquant secoua la tête, se leva. La jeune femme avait l’air effondrée. Ses mains se serraient avec nervosité. Son interlocuteur s’approcha d’elle.

— Je ne comprends pas, dit Steiner d’un air sombre, il s’était pourtant engagé sur l’achat. Si la transaction n’est pas conclue, l’opération est foutue. Il faudra tout reprendre à zéro.

Deparovitch se rapprochait de plus en plus. Autour de l’écran, les collègues de Steiner ne quittaient pas des yeux la scène, conscients de leur impuissance. Ils suivaient, comme hypnotisés, les deux protagonistes telles des marionnettes sans fil. Soudain, l’un des adjoints prononça un mot qu’il répéta plusieurs fois. Le visage de son supérieur se rembrunit aussitôt.

— Le fils de pute… Il est en train de lui réclamer un supplément en nature pour la payer. Il profite de la situation, l’enculé.

De longues secondes s’écoulèrent. Le trafiquant, le visage moite, revint vers le bureau et sortit de son tiroir une enveloppe épaisse qu’il fit tournoyer devant son peignoir entrebâillé. Melieva hésita un instant puis se leva avec lenteur.

— Sababa, c’est bon, murmura Steiner. Cette fois, on y va.

Il donna un ordre rapide dans un micro et montra à Marcas l’écran sur la droite. Une camionnette aux couleurs de la poste israélienne venait de s’arrêter devant la porte d’entrée. Un facteur en descendit et sonna. La porte s’ouvrit et le postier montra au gardien un bordereau à signer. Avant même qu’il réagisse, des hommes en civil surgirent des deux côtés de la rue. L’un d’entre eux le plaqua au sol tandis que les autres se ruaient à l’intérieur. L’écran se connecta sur la caméra à l’intérieur des couloirs. L’un des hommes de Deparovitch tenta de sortir une arme, mais fut aussitôt maîtrisé.

Antoine ne pouvait détacher son regard des deux écrans. Jamais il n’avait assisté à une opération filmée en direct. Sur l’écran de gauche, le trafiquant se leva brusquement et tenta de refermer son peignoir, mais la jeune femme blonde le saisit et le plaqua sur le bureau.

Steiner sourit et se tourna vers le commissaire.

— Et voilà. Totach : on l’a eu !

Antoine ne sut que répondre tant la scène qu’il avait vue se dérouler sous ses yeux lui paraissait irréelle. C’était comme s’il avait regardé une série télé américaine. Les personnages qui s’agitaient sous ses yeux paraissaient totalement désincarnés. Il était presque déçu.

— Et maintenant ?

— Deparovitch va être emmené chez un juge qui lui signifiera sa mise en examen, comme on dit en France. Ses bureaux seront passés au peigne fin ainsi que ses trois entrepôts. Nous allons avertir les Russes pour qu’ils puissent remonter la filière. Il est cuit.

Antoine continuait à fixer l’écran. La caméra avait zoomé sur le visage de Deparovitch dévoré d’un rictus de haine. Le mal à l’état pur.

Steiner saisit un dossier qu’un adjoint venait de poser sur le bureau et prit Marcas par l’épaule.

— Venez, on va fêter ça !

Apocalypse
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