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Jérusalem

21 juin 2009

 

— Marcas, commissaire Marcas ? grésillait la voix de l’avocat dans le portable, je vous appelle de Paris, je suis dans vos locaux et…

— … comment avez-vous réussi à m’avoir, je suis en hélicoptère au-dessus de Jérusalem ?

— Vos collègues cherchaient désespérément à vous joindre. J’ai proposé mes modestes services. Je vous avais dit que si vous aviez besoin de quoi que ce soit en Israël…

Un bip sonore coupa court aux explications de l’avocat. La communication venait d’être interrompue. Le commissaire tendit le casque à Steiner.

— C’était bien Lieberman, confirma Marcas, mais nous avons été coupés.

Steiner plongea la main dans sa sacoche et en sortit une copie du dossier d’enquête transmis par la police française.

— Lieberman, c’est bien l’avocat du galeriste marron ?

— Lui-même, mais ne le jugez pas en fonction de son client.

Le commissaire plissa les lèvres.

— Je ne juge jamais un homme qui a assez de relations pour me joindre en plein vol.

L’implicite de la remarque n’échappa pas au commissaire. Un silence gêné s’établit dans l’habitacle. Chacun ruminait ses pensées. Marcas glissa un œil vers son collègue qui regardait ostensiblement vers le hublot de sécurité.

Une vibration, sourde et cadencée, monta du plancher de l’hélicoptère. Intrigué, le commissaire se pencha : le commandant battait du pied de manière énervée.

Il doit bouillir, songea Antoine, à sa place j’aurais déjà explosé.

De nouveau, le pilote tendit le casque-radio à Steiner qui, sans même le porter à son oreille, le passa à Antoine.

— Votre ami, commissaire !

Marcas saisit les écouteurs et reconnut le ton volubile de l’avocat.

— … en tout cas je suis ravi de vous être utile, je vous passe votre adjoint.

— Un instant, Lieberman, vous ne m’avez toujours pas dit comment…

— Je vous entends mal, Marcas, profitez bien de votre séjour en Israël et surtout embrassez frère Obèse pour moi ce soir !

La surprise figea les traits de Marcas. Instinctivement il écarta les écouteurs comme si le diable venait de lui souffler son haleine de soufre dans l’oreille.

— Commissaire… commissaire…

Tassard venait de reprendre la communication.

— Je suis là. Putain, c’est quoi, ce cirque ?

— Ben, on essayait de vous joindre et comme l’avocat était dans les locaux pour relire la déposition de Della Rocca, il s’est proposé pour…

— C’est bon, coupa Marcas, agacé, qu’est-ce que tu as à me dire ?

— On a retrouvé le Canadien !

— Dans quel état ?

— Mort…

Marcas respira profondément.

— … et… pas beau à voir !

 

— Nous allons atterrir dans quelques minutes. Coupez la communication, s’il vous plaît, et vérifiez votre ceinture.

La voix du pilote, amplifiée par le haut-parleur, résonna dans l’habitacle. Antoine s’exécuta, mais son esprit était ailleurs. L’hélicoptère survolait une zone urbanisée, des immeubles modernes apparaissaient de chaque côté des hublots. Des files de circulation ininterrompues convergeaient vers le centre. Il tenta d’apercevoir le dôme de la mosquée d’al-Aqsa, mais il ne vit que des buildings rutilants au-dessous de lui. Le bruit des pales se fit plus sourd, l’appareil s’était mis en vol stationnaire au-dessus d’une sorte de caserne.

— Atterrissage dans moins d’une minute !

Antoine sentit son estomac se soulever au fur et à mesure que l’hélicoptère se rapprochait du cercle blanc de la piste d’atterrissage. L’appareil se posa dans un souffle. Un policier ouvrit la porte et salua le commandant : une bouffée de chaleur envahit l’habitacle. Une odeur que Marcas n’arrivait pas à identifier mais qui ressemblait à du thym mêlé à de l’essence envahit ses narines.

Steiner lui montra les bâtiments cernés de barbelés et ponctués de miradors.

— Nous sommes dans l’unité 51 de la Police Aux Frontières, c’est un corps très puissant ici, ils s’occupent en particulier de la lutte contre le terrorisme. Elle abrite aussi une division du Shin Beth, nos services secrets, qui travaillent avec eux sur ce… dossier.

— Ceux qui font la chasse aux Palestiniens qui ne rentrent pas dans le rang ?

— Entre autres, répliqua le commandant d’un air gêné.

Ils contournèrent un bâtiment surmonté de deux grosses antennes paraboliques et arrivèrent devant un parking où une Ford noire attendait.

— Un dernier trajet, commissaire, et nous sommes arrivés. Toute l’équipe nous attend pour lancer la procédure d’arrestation de Deparovitch. D’ici là, si vous désirez me parler du coup de fil que vous avez reçu…

Le commissaire hocha la tête en montant dans la voiture qui démarra aussitôt. Un brouhaha envahissait l’artère bordée de palmiers nains, mélange de klaxons de voitures et de camionnettes pétaradantes. On aurait pu se croire dans n’importe quelle ville méditerranéenne si ce n’étaient les panneaux de circulation écrits en hébreu. Marcas se tourna vers le commandant :

— L’intermédiaire canadien a été retrouvé. Mort.

Steiner pinça les lèvres avant de répondre.

— Un cadavre de plus.

— Et plutôt abîmé, précisa Antoine.

— Vous voulez dire qu’il a été torturé ?

— Mes hommes attendent le rapport d’autopsie pour être sûrs.

— Je comprends mieux l’importance de cet appel, concéda Steiner qui se détendit. Si vous avez besoin de quoi que ce soit…

— Une boîte mail pour recevoir le rapport, si vous pouvez.

Le policier sortit son portable.

— Je m’en occupe tout de suite.

Antoine regarda de nouveau la rue. Les affiches de publicité vantaient les mérites de crèmes de beauté, d’enseignes commerciales que l’on trouvait partout dans le monde, des films américains ou des produits alimentaires standard. Au fur et à mesure que la voiture avançait, Marcas voyait défiler un mélange hétéroclite de bâtiments modernes et de vieilles maisons qui dataient de l’époque coloniale. Les premiers magasins de mode firent leur apparition. Les mêmes marques de Paris à Jérusalem et les mêmes cohortes de fashion victims agglutinées devant les vitrines.

— Où suis-je logé ? demanda Marcas en suivant du regard deux femmes aux cheveux décolorés, la mini-jupe conquérante, qui marchaient sur des talons compensés avec des sacs de chez Gucci et Prada à la main.

Cela sous le regard méprisant de Juifs orthodoxes en caftan noir corbeau et l’œil amusé de marchands de fruits arabes.

Steiner intercepta son regard et détailla leurs formes.

— Ptzatza ! Mais trop frecha à mon goût.

— Je vais prendre des notes pour enrichir mon vocabulaire.

— Pardon ! Ptzatza est synonyme de canon et une frecha serait l’équivalent d’une bimbo mâtinée de bling bling. Généralement, elles se marient avec des Arss, des sépharades qui roulent en Mercedes, avec la chaîne en or autour du cou et la Rolex dernier modèle au poignet.

Antoine éclata de rire.

— Et pour répondre à votre première question : vous logez à l’American Colony. C’est un hôtel magnifique, moins grand que le King David mais tout aussi prestigieux. Il est à dix minutes à pied de la porte de Damas qui marque l’entrée de la vieille ville.

Sur son siège, le chauffeur pesta. Steiner lui indiqua du doigt une rue à droite.

— C’est l’heure des embouteillages sur les grands axes. Je lui ai dit de couper par les vieux quartiers.

La voiture bifurqua dans une rue moins animée et tourna plusieurs fois. Soudain le chauffeur ralentit et montra quelque chose sur la droite. Marcas tendit le cou et aperçut un panache de fumée noire qui montait dans le ciel d’un bleu métallique. Une sirène d’ambulance hurlait.

— J’espère que ce n’est pas un attentat. Ça s’était calmé depuis quelque temps, murmura Steiner, l’air pensif.

— Où allons-nous exactement pour retrouver votre équipe ?

Le policier israélien tapota sur le bord de la portière, un sourire moqueur aux lèvres.

— Je ne vous ai pas dit ? Chez les Templiers.

Apocalypse
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