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NIRA
La vue, depuis les balcons de cristal du Palais des Prismes, était superbe. Jora’h, le Premier Attitré, avait emmené Nira sur une corniche d’observation, non loin de fontaines rugissantes. Il avait laissé ses gardes du corps à l’intérieur, de sorte que l’adorable Theronienne et lui puissent avoir quelques instants à eux.
— Voici l’un de mes endroits favoris, dit-il.
Il fallut quelques instants à Nira pour retrouver son souffle.
— C’est… magnifique.
Jora’h caressa son bras, descendit jusqu’à sa main. Nira laissa ce contact s’éterniser.
Au sommet de la colline où dominait le Palais des Prismes, la vue s’ouvrait sur l’horizon lointain de Mijistra. Des bâtisses vitrées sinuaient vers l’extérieur, comme les rides d’un bassin. Les tours du Palais s’élevaient très haut, entourées par les dômes des ministères gouvernementaux. Les branches de soutien du balcon étaient tournées vers l’intérieur ; de sorte que Nira, qui se tenait avec Jora’h sur la saillie transparente sans support visible sous ses pieds, donnait l’impression de flotter dans l’espace.
Sur la colline, des terrasses menaient jusqu’aux plates-formes hémisphériques et aux dômes supportant le Palais. Sept affluents, endigués chacun dans un canal parfaitement rectiligne, convergeaient vers un point central.
Le Premier Attitré expliqua :
— Les architectes du Palais des Prismes ont voulu montrer que toute chose, y compris la nature, remontait à la source du Mage Imperator omniscient et omnipotent. (Il baissa la voix, et lui sourit affectueusement.) Malheureusement, je ne respecte pas ce concept – car toutes mes pensées ne sont dirigées que vers vous, Nira.
Avec un rire gêné, elle serra sa main. Dans le passage voûté derrière eux, les gardes du corps à l’aspect féroce semblaient totalement indifférents à leur comportement.
— Se trouver si haut… La vue est à couper le souffle. Cela me rappelle Theroc, lorsque je grimpais sur la cime des arbremondes.
— Reynald m’a décrit votre monde, et il m’a paru très beau. (Les yeux cendrés de Jora’h scintillèrent, tandis qu’il se représentait la scène.) Un jour, je visiterai Theroc. Peut-être avec vous.
— Et avec une escadre complète d’assisteurs, de gardes du corps et de secrétaires, dit-elle avec un sourire. Il nous serait difficile d’avoir un peu de paix, dès que nous aurions quitté Mijistra.
— Les Ildirans n’aiment pas être seuls.
Tous deux se tenaient l’un près de l’autre, malgré l’espace qu’offrait la corniche. Nira percevait avec intensité le Premier Attitré à son côté, et ne désirait pas s’écarter.
Elle contempla les silhouettes minuscules en contrebas. Un flot ininterrompu d’Ildirans escaladait chaque niveau de la colline supportant la citadelle. Jora’h remarqua son intérêt :
— Des pèlerins. Ils espèrent voir le Mage Imperator dans toute sa gloire.
Des groupes de kiths variés progressaient avec régularité, puis stationnaient à des points précis le long du trajet. Ils traversaient des ponts et tournaient autour de la colline, se lavant rituellement dans les sept rivières à mesure qu’ils progressaient vers le dôme d’entrée.
— Tous les citoyens de l’Empire ont accès au Palais. Mon père garde la salle d’audience ouverte au public. Quiconque accomplit un pèlerinage peut contempler son glorieux visage projeté sous la hautesphère.
— Ne s’inquiète-t-il jamais d’une possible tentative d’assassinat ?
Jora’h la regarda, surpris.
— Grâce au thisme, le Mage Imperator peut savoir avec précision si quelqu’un nourrit de telles pensées. Mon père réglerait le problème longtemps avant qu’un assassin potentiel pénètre dans le Palais des Prismes. Nous, les Ildirans, sommes différents de vous, Nira. Vous devez le comprendre.
Ils se tinrent en silence sur leur poste d’observation, côte à côte, regardant la masse de pèlerins marcher avec révérence vers leur but. Enfin, Nira souffla, en se pelotonnant contre lui :
— Nous ne sommes pas si différents. En fait, Jora’h, vous et moi pourrions nous entendre… de bien des manières.
De retour dans les appartements privés du Premier Attitré, Nira se demanda si cet homme si charismatique avait usé d’une quelconque influence télépathique pour la séduire. Elle connaissait bien le pouvoir de pensées extérieures, grâce à son lien avec les arbremondes. Et en cet instant, elle sentait qu’elle n’agissait en rien contre sa volonté – qu’elle ne faisait rien de mauvais. C’était la première fois pour elle, mais elle n’était pas effrayée.
Sa peau s’abreuvait à la chaude lumière de la chambre, et chacune des caresses de Jora’h la stimulait. Alors même qu’elle retenait les ardeurs de son amant, elle avait faim de lui. Lentement et avec passion, ils se déshabillèrent mutuellement.
— Je vous trouve tellement intrigante, Nira, murmura-t-il, et son souffle était chaud à son oreille.
Elle ressentait précisément la même chose à son égard.
Nira avait craint qu’il ne soit distant ou blasé, après avoir connu tant de partenaires. Mais, tandis qu’ils faisaient l’amour, elle sentit qu’elle possédait toute l’attention et la dévotion du Premier Attitré.