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BENETO THERON
Au large d’Oncier, le silence tomba sur les observateurs et les invités, tandis que Beneto lâchait le petit arbremonde. Il caressa le surgeon, puisant et dispensant à la fois du réconfort.
— Le roi Frederick vous envoie sa bénédiction, annonça-t-il à la foule. Nous pouvons procéder.
Une pluie d’applaudissements crépita. Les groupes de journalistes abaissèrent leurs caméras vers la géante gazeuse, comme si l’ordre même du roi avait le pouvoir de déclencher l’événement.
Le docteur Serizawa se hâta vers le technicien. À son signal, les ancres furent larguées depuis leur orbite. De brillantes lumières impactèrent la masse planétaire, perçant de profonds tunnels jusqu’à l’endroit où elles serviraient de balise au trou de ver, loin en dessous. Les sondes, fabriquées à partir des plans klikiss, disparurent dans les amoncellements de nuages sans même soulever une ride.
Beneto regardait, notant chaque détail à transmettre par la prière à la forêt-monde ; celle-ci était curieuse et enthousiaste. Bien qu’il soit le cadet de la famille régnante theronienne, sa présence n’avait pas d’autre but que de communiquer des nouvelles de l’expérience via les arbremondes, bien plus rapidement que n’importe quel type de communications électromagnétiques ; ces dernières prendraient des mois – voire des années – pour parvenir jusqu’au premier avant-poste de la Hanse, même à la vitesse de la lumière.
En utilisant les arbres interconnectés, tout prêtre Vert pouvait communiquer avec n’importe quel homologue, où qu’il se trouve. Chaque arbre constituait un avatar de la forêt-monde dans son ensemble, une image quantique identique aux autres. Ce qu’un surgeon savait, tous les autres le savaient, et les prêtres Verts pouvaient puiser dans ce réservoir d’informations à leur guise. Ils pouvaient aussi l’utiliser pour envoyer des messages.
Tandis que les spectateurs regardaient les ancres du trou de ver disparaître dans les nuages d’Oncier, Beneto toucha de nouveau le surgeon. Il laissa son esprit s’infiltrer dans le tronc jusqu’à ce que ses pensées atteignent d’autres parties de la forêt-monde. Lorsqu’il fixa à nouveau son attention sur la plate-forme, il leva les yeux vers le Président Wenceslas qui le regardait avec impatience.
Le visage de Beneto demeura calme et digne. Ses traits tatoués, d’une grande noblesse, étaient beaux. Ses yeux conservaient un reliquat de paupières bridées, qui leur donnait la forme d’amandes arrondies.
— Père Idriss et Mère Alexa adressent les prières de tout le peuple theronien pour le succès de cette expérience.
— J’apprécie toujours les paroles d’amitié de vos parents, dit Basil, même si je préférerais que Theroc participe davantage aux relations commerciales avec la Hanse.
Beneto garda une voix neutre.
— Les projets et les vœux de la forêt-monde ne correspondent pas toujours à ceux de la Hanse, Président. Toutefois, vous feriez mieux de discuter de ces choses avec mon frère aîné Reynald, ou ma sœur Sarein. Ils ont tous les deux plus d’inclination pour le commerce que moi. (Il toucha le sommet feuillu du surgeon, comme pour insister sur son statut de prêtre.) En tant que second fils, ma destinée a toujours été de servir la forêt-monde.
— Et vous faites un travail admirable. Je ne pensais pas vous mettre mal à l’aise.
— Grâce au soutien et à la bienveillance des arbremondes, je suis rarement mal à l’aise.
Le jeune homme n’aurait pu imaginer d’autre vocation. En vertu de sa haute naissance, la mission de Beneto consistait à participer aux événements officiels tels que celui-ci. Cependant, il ne voulait pas accomplir son devoir de prêtre uniquement pour les apparences. S’il avait eu le choix, il aurait préféré aider la forêt-monde à s’étendre dans le Bras spiral, afin que les surgeons puissent croître sur d’autres planètes.
Les prêtres Verts étaient peu nombreux, et leurs dons télépathiques étaient si demandés que des prêtres missionnaires résidaient dans de luxueuses demeures, subventionnés par la Hanse ou les gouvernements coloniaux, et généreusement payés pour transmettre et recevoir des messages instantanés. D’autres prêtres, en revanche, vivaient de façon plus austère, à planter et cultiver des surgeons. C’est ce que Beneto aurait préféré faire.
La Hanse souhaitait désespérément engager autant de prêtres Verts que Theroc pouvait en fournir, mais les marchands et les hommes politiques se trouvaient toujours frustrés. Malgré l’insistance des émissaires de la Hanse pour que les prêtres servent la cause de l’humanité, Père Idriss et Mère Alexa ne voyaient aucun intérêt à étendre leur pouvoir. Au contraire, ils laissaient aux prêtres le choix de leur poste.
Les prêtres sélectionnaient avec soin des spécimens vigoureux de la forêt consciente de Theroc, puis répartissaient les surgeons sur les mondes coloniaux épars, ou les transportaient à bord de vaisseaux marchands. Plus que de lumière et d’engrais, la forêt-monde avait faim d’informations, de données à classer dans son réseau semi-conscient. La mission des prêtres Verts était d’étendre la forêt-monde aussi loin et largement que possible – et non de servir la nébuleuse marchande terrienne.
Depuis des générations, les chercheurs de la Hanse tentaient de percer le principe d’échanges instantanés par les arbres interconnectés. En vain. Seuls les arbremondes pouvaient fournir le lien télépathique, et seuls les prêtres Verts pouvaient communiquer à travers le réseau forestier. Ce problème insurmontable portait les scientifiques au comble de la frustration. Malgré toute la technologie et les effectifs que la Hanse avait dépensés pour l’expérience du Flambeau klikiss, rien ne pouvait démarrer sans ce simple prêtre mystique et son arbre…
À bord de la plate-forme technique d’observation, le Président Wenceslas frappa dans ses mains manucurées.
— Très bien, Beneto, contactez votre homologue près de l’étoile à neutrons. Dites-leur d’ouvrir le trou de ver.
Beneto toucha l’arbre à nouveau.