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MARGARET COLICOS
Après des semaines passées à ratisser la cité klikiss à flanc de falaise, Margaret et Louis Colicos firent la découverte.
Plein de diligence, DD avait suspendu des chapelets de lampes dans les tunnels. À l’intérieur des chambres, il avait installé des éclairages ainsi qu’un générateur de faible puissance afin de fournir de la chaleur et de renouveler l’air.
Passé la fièvre de sa découverte, Arcas revenait fréquemment au campement afin de surveiller le développement des surgeons. Il passait des heures à recenser les trouvailles archéologiques pour la forêt-monde, tâche que personne ne pouvait accomplir à sa place.
Les trois robots klikiss partaient souvent se promener, sans dire à quiconque où ils se rendaient. Tôt le matin, Louis avait exprimé le fond de sa pensée : le premier site avait été dérangé de façon presque imperceptible – des traces évoquant des éraflures de chenilles étaient apparues, et l’équipement avait été déplacé. Selon lui, les robots étaient revenus dans les bâtiments abandonnés, à la recherche d’indices sur leur passé.
— Je suppose que j’aurais fait la même chose si j’étais atteint d’amnésie, très chère, dit Louis. Un minuscule indice pourrait déclencher une révélation. Peut-être sont-ils sur le point de recouvrer la mémoire.
Margaret acquiesça en dépit de son trouble.
— J’aurais préféré qu’ils ne fassent pas autant de mystère là-dessus. Quant à nous, il ne faut rien leur cacher.
Margaret avait stocké des copies de leurs rapports. Soucieuse des détails comme à son habitude, elle conservait les dossiers dans sa tente et cachait un duplicata des données protégées à l’intérieur de la ville fantôme. L’inondation fulgurante qui avait ravagé le canyon montrait à quel point même un lieu sécurisé pouvait souffrir de dommages catastrophiques.
Pendant qu’il bricolait la machinerie incompréhensible de la salle à la fenêtre de pierre, Louis finit par découvrir un moyen d’ôter le capot de l’étrange générateur.
— Eurêka, pour citer un autre scientifique de génie ! cria-t-il.
Margaret se précipita pour voir ce qu’il avait découvert. Son époux scrutait les composants de l’appareil extraterrestre, étudiant la manière dont les connexions desservaient les sous-systèmes.
— Ah, voilà comment ils s’accordent. Et ceci… doit être la source d’énergie. Elle a été désactivée à partir de ce conduit, ici. Comme si le système avait été mis en veille.
Il fit courir ses doigts le long des composants métalliques et polymères, laissant son intuition le guider le long des câblages.
Sous le capot rabattu sur le côté, Margaret repéra un diagramme de symboles klikiss. Il montrait des connexions avec les composants de l’instrument extraterrestre. À sa grande satisfaction, les symboles s’assortissaient aux inscriptions sur les carreaux entourant la fenêtre de pierre trapézoïdale. Chacun d’eux semblait correspondre à des coordonnées ciblées par le mécanisme. Le câblage aboutissait à l’intérieur du pan de pierre vierge, comme des pistes de phéromones d’insectes formant un circuit organique recouvert d’une pellicule rocheuse.
— Ce sont… des lieux, l’ancien. Il s’agit d’une carte. Peut-être un catalogue, ou un répertoire.
Son mari cessa d’étudier la machine.
— Ah, comme les coordonnées du pulsar, sur les plans du Flambeau klikiss.
DD arriva dans la pièce, attiré par leurs cris d’excitation, et assimila les nouvelles informations.
— Quelles fantastiques déductions, Margaret ! dit-il. Vous pourrez les utiliser comme base, pour avancer de nouvelles théories sur les Klikiss.
— Absolument, DD ! lança Louis. Nous avons compris, maintenant. C’est notre plus belle découverte depuis celle du cadavre de Klikiss.
Il étreignit Margaret si fort que cela la gêna, même après tant d’années de mariage, et bien qu’il n’y ait personne pour les voir.
— Peut-être même plus importante à long terme, l’ancien. Souviens-toi que nous avons trouvé des fenêtres de pierre identiques dans chaque ruine klikiss que nous avons examinée. Mais la plupart étaient endommagées, en particulier les carreaux comportant les coordonnées. Nous n’avons jamais été aussi près de comprendre leur science. Je suis certaine que tu réussiras à résoudre tout cela.
— Avez-vous essayé d’enclencher la source d’énergie, Louis ? demanda DD.
Avec un bruit de pas traînants, les trois robots klikiss pénétrèrent dans la pièce, leurs capteurs optiques brillant de curiosité. DD leva les yeux vers eux et lança, jovial :
— Sirix, Ilkot, Dekyk ! Venez voir ce qu’a trouvé Louis.
Les trois machines insectoïdes entourèrent l’appareil dénudé, et scannèrent le diagramme ainsi que les composants. Margaret examinait les symboles de coordonnées gravés sur les mécanismes. Elle remarqua des hiéroglyphes identiques sur de petits carreaux, autour de la fenêtre trapézoïdale… comme des boutons de sélection.
Louis s’accroupit et trifouilla dans la machinerie.
— Bien, je pense que le générateur est encore intact… Je devrais pouvoir réparer ça sans trop de problème.
— Cette fenêtre de pierre, est-ce qu’elle pourrait faire partie d’un système de transport, l’ancien ? Chaque carreau semble indiquer un endroit – une destination, peut-être ?
Louis regarda sa femme avec scepticisme.
— Et mes collègues prétendent que ce sont mes idées qui sont étranges. Tu penses que les Klikiss pouvaient passer à travers les murs ?
Margaret se tourna vers Sirix.
— Qu’en pensez-vous ?
— Je n’ai rien à suggérer, Margaret Colicos.
Louis leva les yeux, un sourire au coin des lèvres.
— Vous devez être excités, tous les trois ! Aujourd’hui, nous avons enfin une possibilité réelle d’apprendre ce qui est arrivé à vos créateurs, et la raison pour laquelle vos souvenirs ont été effacés il y a si longtemps.
Margaret le mit en garde.
— Ne surestime pas notre découverte, l’ancien. Ce n’est pas l’équivalent de la pierre de Rosette.
Mais si cela constituait la clé d’un système de transport klikiss, cela leur offrirait peut-être tous les renseignements qu’ils désiraient.
Louis s’agenouilla de nouveau sur le sol de pierre, et contempla le labyrinthe de composants artificiels.
— Ah. Je vois quoi faire maintenant, mais le générateur est corrodé. J’aurais besoin de le faire démarrer avec quelques-uns de nos appareils qui sont au camp. (Il regarda Margaret.) Cela va prendre des heures, très chère…
DD l’interrompit :
— Dans ce cas, puis-je avoir votre attention ? Le soleil est tombé, et nous aurions dû dîner voici déjà une heure. Peut-être est-ce l’occasion d’arrêter pour aujourd’hui ? Nous reprendrons le travail demain, à tête reposée.
— Je déteste m’arrêter quand je suis aussi près…, commença Louis.
Margaret eut un froncement de sourcils ironique.
— L’ancien, tu es toujours trop optimiste. Tu n’es jamais « aussi près » que tu le crois.
Ils regagnèrent leurs tentes après une marche pénible dans l’obscurité. Entouré de panneaux lumineux, Arcas était assis près de la pompe à eau et des remises de stockage préfabriquées. Il paraissait abasourdi. Margaret sentit immédiatement que quelque chose clochait.
— Qu’y a-t-il ? Que s’est-il passé ?
Le prêtre Vert regarda la paume de ses mains, puis la dévisagea.
— Quand je me suis connecté aux arbres, j’ai… j’ai vu les événements qui sont survenus sur Terre…
Louis s’avança.
— Eh bien, dites-nous, Arcas ! Vous avez l’air d’avoir vu un fantôme.
— Les extraterrestres des abysses gazeux ont déclaré la guerre à l’humanité. Ils ont dit que la cause en était le Flambeau klikiss ! (Sa voix s’étrangla.) En transformant Oncier en soleil, nous avons tué des millions de gens.
Louis balbutia :
— Mais le Flambeau était… juste une expérience. Nous voulions seulement réchauffer ces lunes, pour y implanter de nouvelles colonies.
Margaret, quant à elle, comprit sur-le-champ.
— Ces extraterrestres vivent à l’intérieur des géantes gazeuses, l’ancien. Nous avons incinéré leur monde natal.
Louis tomba à genoux dans la poussière, à côté d’Arcas.
— On ne savait pas. Comment aurions-nous pu ? Ils ne se sont jamais montrés.
Arcas hoqueta :
— Aujourd’hui, ils se sont montrés. Et alors… alors, il y a eu une explosion. L’émissaire a tué le Vieux roi Frederick, ainsi que cinquante-trois personnes présentes dans la salle du Trône.
— C’est en effet une terrible nouvelle, dit DD.
Sirix et ses deux compagnons écoutaient en silence les paroles du prêtre Vert. Ils n’émirent aucun commentaire.