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MARGARET COLICOS
Louis se fraya adroitement un chemin parmi les observateurs de sorte que Margaret et lui soient aux premières loges de l’implosion planétaire. Basil Wenceslas se tenait à leurs côtés.
— Nous saurons très vite ce qu’il en est, dit-il. Le prêtre Vert dit que le trou de ver est ouvert de l’autre côté. L’étoile à neutrons est en route.
Le docteur Serizawa, dont le crâne lisse luisait de transpiration, se tourna vers les journalistes et les cameramen depuis la baie d’observation.
— L’extrémité de réception du trou de ver est ancrée dans le cœur de la géante gazeuse. Quand l’étoile superdense frappera Oncier, ce sera l’explosion d’énergie la plus titanesque que l’humanité aura jamais provoquée. (Puis il ajouta rapidement, en gesticulant :) Mais n’ayez crainte, il faudra des heures à l’onde de choc pour traverser les couches d’atmosphère. Nous sommes suffisamment éloignés d’Oncier pour ne souffrir d’aucun effet.
L’incroyable masse de l’étoile à neutrons atteignit le cœur de la géante gazeuse comme un boulet de canon, ajoutant assez de masse et d’énergie pour l’ignition. Serizawa vit les relevés et poussa une acclamation. La sonde en contrebas transmettait la pression, la température et les relevés photoniques. Ceux-ci s’affichaient sur les écrans en courbes tourmentées. Les techniciens agitaient triomphalement les mains. Bien que la surface extérieure d’Oncier demeure aussi calme et tranquille qu’avant, des changements titanesques convulsaient les couches atmosphériques les plus profondes. Basil Wenceslas applaudit, suivi des dignitaires.
— L’étoile à neutrons est beaucoup plus petite, mais largement plus dense, comme un diamant incrusté dans une barbe à papa. La substance d’Oncier poursuit sa chute vers le centre. (Serizawa regarda les relevés, puis sa montre.) Dans une heure au plus, elle atteindra la densité nécessaire à la fusion de l’hydrogène – la convection d’énergie utilisée par n’importe quelle étoile.
Margaret loucha vers le quasi-soleil, dont les couleurs semblaient peintes à la main. Toutefois Oncier était si gigantesque qu’elle ne pouvait encore observer aucun changement immédiat, bien que l’étoile à neutrons se soit déjà écrasée contre son noyau. On avait disséminé des indicateurs et des détecteurs dans les nuages, à des altitudes diverses, dans le but d’enregistrer l’onde de choc du rayonnement émis.
Margaret s’inclina pour embrasser la joue burinée de Louis.
— On a réussi, l’ancien.
Les archéologues avaient accompli leur travail au tout début du processus ; à présent, ils pouvaient se détendre et contempler l’aboutissement de leurs efforts. Le chaos cosmique s’opérait en cet instant même dans les profondeurs.
Juste derrière elle, un journaliste demanda :
— Alors, docteur, il suffit simplement d’accroître le poids pour déclencher l’embrasement de la planète ?
— En fait, répliqua Serizawa, il s’agit de masse et non de poids. Mais peu importe. Voyez-vous, le transfert soudain de l’étoile à neutrons vers l’intérieur de la planète lui confère une énergie négative immédiate – une énergie potentielle, en fait. Pour se conformer aux lois de conservation, un influx considérable d’énergie cinétique est obligatoire. Cela apparaît sous forme de chaleur, dans la thermodynamique des trous de ver. Cela déclenchera les réactions qui transformeront la géante gazeuse en étoile en combustion. Cela se produit en un clin d’œil. (Ses yeux cillèrent.) C’est-à-dire en quelques jours, toutes proportions gardées.
Généralement, le transfert calorique était incroyablement lent au sein d’une étoile. Un photon mettait un millier d’années à rayonner, en zigzaguant comme un ivrogne, du noyau jusqu’à la surface ; il heurtait les molécules de gaz sur sa trajectoire, était absorbé puis réémis pour entrer en collision avec un autre atome.
— Oh, vous n’avez qu’à regarder, dit Serizawa, et vous verrez ce que je veux dire.
La fascination des médias déclina en quelques heures. Les transformations étaient lentes, malgré le fait que la gigantesque sphère soit effectivement en train d’imploser. Des détecteurs en atmosphère profonde montraient le feu nucléaire se répandant vers l’extérieur tel un raz-de-marée. Quand la vague atteindrait la surface, Oncier commencerait à briller comme une ampoule.
Les premières lueurs et étincelles apparurent à travers les trouées des formations de tempêtes. Des décolorations pastel tourbillonnaient alentour, découvrant des perturbations titanesques loin en dessous. Les documents klikiss traduits par Margaret avaient conduit à cet événement spectaculaire, mais elle ne savait pas si elle devait être fière, ou au contraire horrifiée, par ce qu’elle voyait.
La septe ildirane salua le succès du Flambeau klikiss. Habillé en uniforme de circonstance, Adar Kori’nh arriva sur la plate-forme d’observation afin d’assister à l’effondrement stellaire progressif. Margaret fit la connaissance de l’adar avec curiosité et une certaine appréhension, n’ayant jamais parlé à un Ildiran auparavant.
— Votre maîtrise de l’anglais est parfaite, Adar, dit-elle. J’aurais aimé posséder une telle compétence dans les langues.
— Un idiome commun relie tous les Ildirans, mais ceux d’entre nous susceptibles de rencontrer des humains ont appris votre langage universel de commerce. Le Mage Imperator nous l’a demandé.
Profitant de son interlocuteur, Louis parla très longuement avec Kori’nh, décrivant leur travail sur les planètes klikiss.
— L’Empire ildiran existe depuis bien plus longtemps que l’homme n’explore l’espace, Adar. Pourquoi donc votre peuple n’a-t-il pas envoyé des prospecteurs ou des archéologues, afin d’acquérir des connaissances sur le peuple disparu ? N’êtes-vous pas curieux ?
Kori’nh le regarda comme si la question était d’une étrangeté déconcertante.
— Les Ildirans n’envoient pas d’explorateurs solitaires. Quand nous dépêchons un groupe de colons, ou scission, il doit être assez important pour perpétuer notre société. La solitude est un trait humain que nous trouvons difficile à comprendre. Je ne choisirais jamais de me trouver si loin des autres membres de mon espèce.
Louis sourit à l’intention de Margaret.
— Ma femme aime tellement la solitude qu’elle préfère souvent être dans une section de fouille différente de la mienne.
Celle-ci, embarrassée, lui fit un léger signe de tête.
— Je crois, Louis, que les Ildirans partagent un lien télépathique discret qui les relie tous entre eux. Pas comme l’esprit d’une ruche, mais plutôt comme un soutien collectif. N’est-ce pas exact, général ?
— Nous l’appelons le thisme, dit Kori’nh. Il émane de notre Mage Imperator. Celui-ci est le nœud qui attache les fils de notre race. Si un individu s’égare trop loin des autres, ce lien pourrait se rompre. Peut-être les humains considèrent-ils que voyager seul est un avantage. À l’inverse, je plains votre espèce de vivre sans le filet de sécurité du thisme.
Kori’nh s’inclina, une expression indéchiffrable sur le visage.
Une rumeur où perçait l’étonnement les attira vers la baie. Un panache brillant monta en bouillonnant d’Oncier comme un geyser de gaz surchauffés. L’événement était insolite. Cependant, lorsqu’il s’évanouit, l’intérêt des spectateurs fit de même. En moins d’une heure, Margaret fut la seule à regarder encore à travers la large baie. Elle trouvait la fureur effervescente d’Oncier envoûtante. Cette dernière rayonnait à présent, propageant des photons autour du monde en implosion.
Son regard se porta sur le croissant brillant de la planète : une courbe floue sur la toile de fond de l’espace, à l’opposé de la plate-forme et des vaisseaux de guerre ildirans. Soudain, plusieurs objets sphériques incroyablement rapides jaillirent comme des balles de fusil. Ils émergèrent des profondeurs nuageuses d’Oncier pour monter en flèche dans l’espace. En quelques secondes, les points rétrécirent et furent avalés par la distance.
Margaret hoqueta, mais aucun de ses voisins n’avait vu l’apparition. Cela ne pouvait être un phénomène naturel… mais sinon, quoi d’autre ?
Elle se retourna, déconcertée. Louis était toujours en grande conversation avec Kori’nh et Basil Wenceslas. Il discutait des détails de leur prochaine expédition sur Rheindic Co, des nombreux mystères klikiss, des étranges robots qui fonctionnaient toujours mais déclaraient ne posséder aucune information sur leurs créateurs. Le docteur Serizawa, secondé par ses techniciens, visionnait en boucle les images de la planète en feu. À en juger par leur expression, eux aussi avaient vu l’apparition.
Elle se dirigea vers eux.
— Qu’est-ce que c’était, docteur Serizawa ? Vous avez vu…
L’homme la regarda avec un sourire distrait.
— Cela requiert une analyse détaillée, mais ne vous inquiétez pas. On ne comprend pas encore tous les effets secondaires et tertiaires du Flambeau klikiss. Rappelez-vous que dans la pression extrême des noyaux de géante gazeuse, des gaz ordinaires peuvent se comprimer jusqu’à former des métaux, comme par exemple le carbone compressé en diamant.
Il se retourna pour observer les écrans, sur lesquels les caméras de la plate-forme rediffusaient des images floues. Malheureusement, les étranges objets avaient émergé du côté opposé de l’ardente Oncier.
— Je ne serais pas surpris qu’il s’agisse de nodules métalliques issus du noyau profond, des débris exotiques éjectés, dans le tumulte qui a suivi l’embrasement stellaire. Si j’étais vous, madame Colicos, je ne me ferais pas trop de souci. Les résultats de votre Flambeau klikiss ont satisfait, sinon dépassé, toutes les attentes.
Margaret fronça les sourcils.
— Pour moi, cela ressemblait à des vaisseaux ; des constructions artificielles.
Cette fois, l’expression de Serizawa devint quelque peu condescendante.
— Ce serait hautement improbable. Après tout, quelle forme de vie pourrait survivre dans les abysses à haute pression d’une géante gazeuse ?