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LE MAGE
IMPERATOR
La porte de la chambre de méditation se referma sur l’Attitré de Dobro, et les vitres grossissantes des murs devinrent d’un blanc laiteux et opaque. À présent, personne ne pouvait les voir, et encore moins deviner le sujet de leur discussion.
L’Attitré s’inclina avec solennité devant le chrysalit arrondi du Mage Imperator.
— Ainsi que vous l’avez ordonné, je viens vous présenter mon rapport, Père.
Le corpulent souverain s’assit, la sérénité qu’il affichait cédant la place à une impatience malsaine.
— Tu as apporté les spécimens les plus remarquables de tes expériences ?
L’Attitré de Dobro était le deuxième fils du Mage Imperator, derrière Jora’h, mais il se conformait plus strictement à sa ligne de pensée.
— Oui, Seigneur, répondit-il. Vous pourrez constater qu’ils sont étonnants. Il est évident que votre père, dans sa grande sagesse, a donné une perspective d’avenir à l’espèce ildirane.
De ses doigts boudinés, le Mage Imperator appuya sur des commandes, afin d’élever le socle soutenant sa couche. Les bords se rapprochèrent, resserrant et profilant la plate-forme, et des poignées apparurent.
— Je désire voir ces spécimens de mes propres yeux.
Il appela ses petits assisteurs, et un groupe d’entre eux se précipita aussitôt, en se disputant le privilège de tenir les poignées du palanquin. Des lévitateurs s’allumèrent, soulevant l’énorme trône du sol. Le souverain caressa sa chevelure serpentine et, de sa main droite potelée, fit un geste vers l’avant.
— Suivez mon fils. L’Attitré de Dobro va montrer le chemin.
Arborant un sourire dur, empreint de confiance, l’Attitré sortit par un passage voûté situé de l’autre côté. Il les guida par des rampes inclinées vers des salles protégées, en contrebas. Il savait que le Mage Imperator le récompenserait pour la besogne difficile et déplaisante qu’il avait dû accomplir sur la morne planète Dobro. Mais le résultat final de ses expériences justifiait toutes les tentatives malheureuses qu’il avait dû effectuer.
En dépit de son impatience, l’Attitré avançait lentement, comme les assisteurs conduisaient le chrysalit à travers de larges passages toujours en pente. Les Ildirans qui travaillaient à cette profondeur – principalement des gardes et des kiths chargés de l’entretien – regardaient avec respect ce visiteur inattendu qui progressait sous la lumière crue, puis ils s’inclinaient et s’écartaient en hâte. L’Attitré s’immobilisa sur un monte-charge flottant. Celui-ci les déposa plusieurs niveaux en dessous, après avoir traversé la colline où se dressait le palais, dans des catacombes très éclairées. Des illuminateurs brillaient à chaque croisement.
Enfin, ils s’arrêtèrent devant une porte gardée par quatre monstrueux kiths guerriers. Les gardes du corps se postèrent de chaque côté, libérant le passage pour les assisteurs qui tiraient le palanquin flottant. Son intérêt piqué au vif, le Mage Imperator regardait autour de lui, agacé par tout ce qui se dressait en travers de son chemin.
Ils pénétrèrent dans une galerie donnant sur des chambres vitrées. Des cellules transparentes abritaient d’étranges créatures humanoïdes de morphologies variées, offrant des mélanges insolites de silhouettes et de musculatures – certaines impressionnantes, d’autres effrayantes, d’autres encore pitoyables.
— Comme vous pouvez le voir, Père, notre programme de sélection a produit une grande variété de résultats, comme attendu. Nous récoltons des données, puis nous tâchons de perpétuer l’hybride qui nous semble posséder les caractéristiques souhaitables.
Le Mage Imperator ordonna à ses assisteurs d’approcher le palanquin afin de le placer en face des cellules de verre. Il dévisagea froidement les créatures dépareillées. Certaines s’écartèrent avec effroi de l’immense souverain, mais il ne les considérait que comme des spécimens, non des êtres vivants. Son visage empâté ne trahit aucune pitié.
Certains hybrides étaient couverts d’écailles inégales, d’autres d’une fourrure rêche. Plusieurs arboraient une musculature avantageuse ; les membres de trois d’entre eux avaient été grossièrement renforcés. Deux des spécimens se blottissaient misérablement, comme brisés, au fond des cages transparentes : des êtres malformés qui survivaient à peine, des impasses génétiques. Tous possédaient la base commune des kiths ildirans, mais quelque chose en eux d’insolite, d’étranger, attirait l’attention. Quelque chose qui n’avait rien à voir avec les gènes ildirans.
Le Mage Imperator recula, son visage terreux laissant percevoir un mélange de dégoût et d’optimisme. Il tourna un regard attentif vers son deuxième fils.
— Je n’ai jamais vu de combinaisons de kiths comme celles-ci. Les nouvelles lignées offrent un potentiel considérable pour notre objectif.
L’Attitré de Dobro approuva du chef avec vigueur.
— Nous essayons toujours de déterminer la proportion d’humanité qu’il nous faut dans les lignées. Nos échantillons de population sont encore trop réduits, et le délai… Cela remonte à moins de deux siècles, soit une poignée de générations.
— Bien sûr, mon fils. Quand mon père m’a confié cette mission secrète, et quand, plus tard, je t’ai mis au courant au tout début de mon règne, nous savions tous les deux qu’il s’agirait d’une tâche de longue haleine, qui aurait des conséquences vitales pour l’Empire.
L’Attitré de Dobro afficha un air résolu.
— Parfois, la troisième, voire la quatrième génération est la plus forte. Nos nageurs et nos architectes hybrides sont les meilleurs que nous ayons jamais produits.
Le Mage Imperator remua, et les assisteurs le tirèrent jusqu’au centre de la chambre d’exposition.
— Bien. Toutefois, conserve bien à l’esprit que nous devons améliorer les capacités ildiranes au niveau du mental et de la communication. Aujourd’hui, plus que jamais, nous devons réussir.
— J’explore de nouvelles voies, Père. Mais cela pourrait prendre quelques générations supplémentaires ; au moins plusieurs décennies.
Le Mage Imperator parut contrarié. Une expression orageuse fronça son visage joufflu.
— Il se peut que le temps nous manque. Nos plus grandes craintes se sont réalisées. La menace est revenue, et l’Empire ildiran doit se préparer à se défendre. Nous ne voulons pas finir comme les Klikiss.
Interloqué, l’Attitré de Dobro inspira longuement pour se calmer.
— Vous êtes sûr, Père ? Après tout, ces légendes datent d’il y a tant et tant de siècles…
— Aucun doute n’est permis. J’ai vu les preuves. Les hydrogues se sont de nouveau manifestés. Et tout mon thisme combiné n’est pas assez fort pour accomplir ce qui doit être fait. J’avais espéré qu’un hybride améliorerait ces caractéristiques. Nous n’avons pas de plus haute priorité, pas de plus grand impératif. Nous devons agir, et réussir, avant que quiconque comprenne la nature du danger. (Il serra les poings avec tant de violence que du sang perla.) Il nous en faut au moins un !
Rassemblant sa force et sa résolution, l’Attitré de Dobro s’avança.
— Alors, j’ai une proposition à vous faire, mais elle ne va pas sans risques. Il y a du neuf, Père. Peut-être l’avez-vous vu par vous-même ? Je viens de rencontrer un être humain, l’une des prêtresses Vertes de Theroc – une femelle jeune et manifestement fertile. Son lien biologique avec les arbremondes implique des… possibilités génétiques très intéressantes.
Le Mage Imperator fit signe à son chrysalit de se diriger vers le corridor. Les assisteurs le tirèrent vers l’arrière.
— Oui, en effet, dit-il. J’y ai déjà pensé. Nous allons peut-être devoir l’utiliser, la dresser – puis lui prendre ce dont nous avons besoin.