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NIRA
Nira n’eut pas l’occasion de se défendre, car l’agression la surprit en plein sommeil, dans sa chambre du Palais des Prismes.
Elle avait pris l’habitude de porter un masque, afin de cacher ses yeux de la lumière ininterrompue des sept soleils. Cela lui permettait de dormir, pendant que sa peau verte continuait de se nourrir de la lumière du jour perpétuel.
La jeune fille se reposait, lasse mais contente. Jora’h était parti sur Theroc en mission diplomatique, de sorte qu’ici, au palais, elle avait tout son temps pour réfléchir. Les changements de son corps, dus à l’avancement de sa grossesse, devenaient perceptibles. Dès le retour du Premier Attitré, après sa visite de la forêt-monde, elle lui révélerait l’heureuse nouvelle. Bien qu’il ait déjà de nombreux fils et filles, celui-ci serait différent, et elle espérait que cela lui ferait plaisir. Ensemble, ils décideraient du meilleur avenir possible pour leur bébé hybride ; un enfant, devinait-elle, doté d’un potentiel remarquable.
Nira ne s’attendait pas qu’il s’engage avec elle pour la vie, comme dans un mariage humain – c’était impossible. Mais elle avait vu à quel point Jora’h se préoccupait de ses enfants, et elle connaissait sa gentillesse à l’égard de ses anciennes amantes. De plus, Nira savait qu’ils éprouvaient quelque chose de spécial l’un envers l’autre.
Maintenant que son beau prince était parti, Nira pouvait se concentrer sur la lecture de La Saga des Sept Soleils. Aujourd’hui, Otema et elle avaient récité pendant des heures une litanie de versets aux surgeons, prenant plaisir aux légendes ildiranes pleines de magie. À la fin de la journée, Otema avait souri à son assistante, l’avait complimentée sur son travail, et envoyée au lit…
En silence, sept gardes musculeux se frayèrent un chemin dans les appartements de Nira, la réveillant en sursaut.
— Emmenez-la, fit une voix rogue tandis qu’elle luttait pour retrouver sa pleine conscience.
Des bras puissants l’empoignèrent. Elle se cogna à un plastron d’armure, sentit comme l’odeur âcre d’animaux en cage. Gauchement, elle ôta son masque de nuit et cligna des yeux dans la lumière éblouissante, essayant de fixer son regard sur Bron’n et sur les gardes qu’elle avait vus autour du Mage Imperator.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda-t-elle.
— Emmenez-la, répéta Bron’n, et les gardes la hissèrent sans façon sur ses pieds.
Ils tenaient des katanas blancs à pointe vibrante, au tranchant pourvu de facettes, comme écorné.
Nira rua et se tortilla.
— Qu’est-ce que j’ai fait ?
Elle tendit la main en arrière, les doigts tendus, tentant de toucher un surgeon à sa portée.
— Ne la laissez pas près de cette plante ! rugit Bron’n.
D’une secousse, ils traînèrent Nira à l’écart, de sorte que le bout de ses doigts frôla à peine le pot émaillé. Le surgeon vacilla, mais ne tomba pas au sol.
— Le Mage Imperator nous a ordonné d’être silencieux et efficaces, les avertit Bron’n.
Lorsque les mots et la force lui manquèrent, Nira hurla enfin. Bron’n la gifla violemment, et elle se recroquevilla. La terreur transforma ses jambes en coton, tandis que les gardes la tiraient dans le corridor.
— Ne l’abîmez pas, ordonna Bron’n. On a besoin d’elle pour sa fertilité.
Le désarroi de Nira ne connut plus de bornes lorsqu’elle s’aperçut qu’un autre groupe de gardes à l’allure bestiale s’était introduit dans l’appartement d’Otema et l’avaient également capturée. La vieille prêtresse Verte se tenait raide, le visage dur. Mais elle ne s’agitait pas, voyant que toute résistance était inutile.
S’enveloppant dans sa dignité comme dans un châle, Otema lança un regard furieux à Bron’n.
— Je proteste officiellement. Si vous nous accusez d’un crime, dites-le. Si nous sommes mandés par le Mage Imperator, nous irons de notre propre volonté.
Bron’n approcha tout près de la vieille femme.
— Je suis les ordres de mon Mage Imperator.
Otema regarda Nira, puis Bron’n.
— Si vous nous faites du mal, les conséquences diplomatiques seront désastreuses. Nous sommes les représentantes de Theroc. Nous avons été invitées par le Premier Attitré et par le Mage Imperator en personne. J’exige…
Bron’n tira de son épais plastron un couteau en dents de scie, taillé dans un verre opaque.
— Vieille femme, il y a longtemps que tu as passé l’âge de procréer. Par conséquent, tu n’es plus d’aucune utilité pour nous.
Avant que Nira ait pu crier, il frappa Otema, lui plongeant sa dague en plein cœur. Il retira la lame de verre, et les ravisseurs laissèrent choir la vieillarde. Chacun des gardes leva son katana. Chacun poignarda le cadavre de l’ambassadrice. Puis ils s’écartèrent du corps ensanglanté.
Bron’n lança un signal. Cinq serviteurs empressés se ruèrent en avant pour nettoyer, ainsi que le Mage Imperator l’avait ordonné.
Sanglotant de révulsion, Nira s’affaissa, des taches noires dansant devant ses yeux. Elle pria pour se réveiller de ce cauchemar, mais les gardes la saisirent et la soulevèrent. Elle sentit la poigne dure de leurs mains calleuses, et la violence de leur odeur.
Ils lui ramenèrent les bras derrière le dos, sans douceur mais en prenant soin de ne pas briser ses poignets. Ils la ligotèrent, la bâillonnèrent, puis la poussèrent à travers des galeries sinueuses, dans les profondeurs du Palais des Prismes.
Ils la jetèrent dans une chambre à la chaleur étouffante, aux murs de verre rouge sang, épais et incurvés. Ici, les ombres étaient plus sombres, les illuminateurs mis au minimum, et l’air était si lourd qu’il se respirait avec peine. Nira tomba à genoux, incapable de bouger les bras à cause de ses liens. Bron’n se tenait derrière elle, bloquant la porte.
Un homme arriva. Il lui saisit le menton, et releva sa tête vers lui. L’Attitré de Dobro la toisa de son regard morne, comme s’il ne voyait en elle rien de vivant ni de sensible, mais simplement un spécimen. Les narines frémissantes, il la renifla, puis lâcha son menton et recula, en adressant un sourire cruel mais approbateur à Bron’n.
— Une matière première parfaite, dit-il. Elle est forte et en bonne santé. Je peux sentir son potentiel génétique. Mettez-la dans mon vaisseau, et assurez-vous que toutes les preuves aient disparu avant le retour du Premier Attitré de Theroc.
Bron’n prit note de ces instructions. Nira ne trouvait plus la force de combattre. L’Attitré de Dobro la regarda, les yeux brillants.
— Ton potentiel, dit-il, représente l’unique espoir pour l’Empire ildiran de survivre à la guerre contre les hydrogues.