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JORA’H LE PREMIER ATTITRÉ
Tenu par les obligations de son rang, Jora’h le Premier Attitré mena une kyrielle d’amantes-candidates à ses appartements privés. Certaines étaient exotiques, d’autres belles et filiformes, d’autres encore solidement charpentées. Elles personnifiaient la variété des kiths ildirans.
Cependant, après avoir étudié la longue liste de partenaires éventuelles, Jora’h ne parvenait pas à chasser de ses pensées la ravissante Nira Khali. Il avait lu le nom des postulantes de son espèce, et vu l’éventail de la beauté ildirane qu’elles représentaient. Ses assistants contrôlaient les précédentes amantes qu’il avait choisies, de sorte qu’il ne paraisse pas avoir de kiths préférés. Jora’h devait être équitable avec tout son peuple.
Mais il désirait Nira plus que tout. La captivante jeune femme à peau verte remplissait ses pensées. Aucune des prétendantes du groupe qu’on lui proposait ne supportait la comparaison avec les charmes de Nira, à la fois innocents et exubérants.
Pour finir, le Premier Attitré choisit au hasard. Une chanteuse vint à lui, roucoulante et transportée d’enthousiasme. Ses grands yeux noirs étaient écartés ; avec son sourire et son corps lisse, elle ne demandait qu’à lui plaire. Elle se nommait Ari’t, et lorsqu’elle lui dit son nom, ce fut en le chantant plutôt qu’avec des sons ordinaires.
Le rire ravi de Jora’h sonna cru et guttural en comparaison des sonorités de miel qui s’écoulaient de la bouche d’Ari’t. Ses yeux cendrés émirent une lueur de reflets d’étoiles, tandis qu’il regardait avec plaisir la chanteuse éthérée.
— Je vous suis profondément reconnaissante de m’avoir choisie, Premier Attitré, dit Ari’t, ornant la fin de sa phrase d’une mélodie. J’espère que vous trouverez en moi une compagne à votre convenance.
Jora’h ne souhaitait qu’oublier ses visions de Nira. Il se cala dans son fauteuil incurvé, et admira les formes exotiques de la chanteuse.
— Tu es tout à fait à ma convenance, Ari’t.
Étourdie par la surprise, elle le regarda à son tour, tendue et paralysée par le respect. Les yeux mi-clos, Jora’h étudia son corps, son visage. Sans l’aide de sa liste, il ne pouvait se rappeler s’il lui était arrivé de choisir une chanteuse auparavant.
La poitrine d’Ari’t était ample, sa cage thoracique étendue pour contenir de puissants poumons. Sa gorge hypertrophiée comportait une symphonie de délicates cordes vocales. Elle possédait la plus belle voix que Jora’h ait jamais entendue. Elle avait, disait-on, le talent de faire pleurer ou rire son auditoire… ou de le faire tomber amoureux. Jora’h ordonna d’une voix rauque, un peu effrayé par ce pouvoir :
— Chante d’abord pour moi, Ari’t.
— C’est un honneur, Premier Attitré.
Et de sa bouche s’échappa un flot de musique tourbillonnant : des mélodies qui n’avaient nul besoin de paroles ni de versets, car leurs sonorités cristallines et colorées se suffisaient à elles-mêmes. Jora’h se sentit comme hypnotisé.
Depuis qu’il était en âge de procréer, voici des dizaines d’années, le personnel du Premier Attitré tenait des listes de maîtresses potentielles. Il accomplissait son devoir avec zèle, choisissant et propageant sa lignée y compris au sein des kiths de moindre noblesse. Il prenait pour partenaires des nageurs et des squameux ; de même, il honorait des femmes au type morphologique à peine humanoïde. Tous les kiths possédaient des qualités appréciables, et Jora’h trouvait de la force et de la beauté en chacun d’eux, là où les nobles ne voyaient que laideur.
Le Premier Attitré montrait gentillesse et déférence vis-à-vis de chacune de ses partenaires, bien qu’on n’attende jamais de lui qu’il tombe amoureux. Même avec les femmes qu’il trouvait peu séduisantes, Jora’h prenait soin qu’elles ne se sentent jamais dépréciées.
Il se rappelait en particulier une guerrière grande et d’allure brutale, qu’il avait fécondée l’année précédente. Le Mage Imperator Cyroc’h avait eu les plus grandes difficultés à faire comprendre à son fils aîné que chaque sous-espèce ildirane avait son rôle à jouer dans l’Empire, et qu’il était du devoir de Jora’h de les honorer toutes. En outre, Jora’h avait suffisamment d’amantes superbes et exotiques pour rattraper ces désagréments passagers. En fait, il se souvenait avec plaisir que la guerrière lui avait offert l’une des séances d’amour les plus sportives et épuisantes qu’il ait jamais eues.
À présent, la chanson d’Ari’t le transportait dans ses pensées et ses souvenirs, jusqu’à ce qu’il perde conscience de l’endroit il se trouvait. Puis, lentement, la mélodie se transforma en un trille incroyablement érotique. L’excitation de Jora’h devint insupportable, comme la chanteuse l’avait prévu.
Ari’t lui parlait avec sa musique, l’ensorcelait de sa voix. Le souffle court, Jora’h vint à elle. Elle continua de fredonner alors même qu’il l’embrassait sans retenue, promenant ses lèvres sur son visage et sur son long cou gracieux. Sa chevelure d’or crépitait et fouettait l’air autour de sa tête comme un orage électrique.
Bizarrement, en dépit de l’intensité avec laquelle ils firent l’amour, les pensées de Jora’h se détournèrent une fois encore vers la belle et modeste Nira… qui était si différente des Ildiranes.