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BENETO
Tout au fond des forêts de Theroc, Beneto perçut le message. Envoyé par un prêtre Vert le long du réseau neural de racines, l’appel public se répercutait à la manière d’une onde invisible. Beneto étreignit le tronc écailleux de l’arbre le plus proche et toucha l’écorce de son front, afin d’écouter l’injonction du télien.
D’un bosquet situé sur la lointaine planète Corvus, le vieux Talbun faisait connaître ses besoins. Beneto vit les images, entendit les pensées, déchiffra l’état critique du prêtre Vert ainsi que son souhait. Il écouta avec attention, assimilant tout ce qui était dit. Il évoqua les possibilités.
En esprit, Beneto découvrit la petite colonie de la Hanse à travers les yeux et les souvenirs de Talbun. Il sentit les vents qui sifflaient dans les plaines, agitant les champs géométriques plantés par les colons. Il imagina les troupeaux de chèvres, les festivités, la besogne, dure, la bonne compagnie. Il ressentit également les sensations transmises par la carcasse fatiguée du vieillard, comprit que Talbun se mourait, et qu’il avait besoin d’être remplacé.
S’il pouvait trouver quelqu’un.
Beneto rompit le télien et se redressa, entouré par les arbres, submergé par ses pensées. Le bruissement des feuilles l’apaisait. Elles le conseillaient, mais lui laissaient prendre ses décisions. Beneto inspira longuement : cette réponse à son plus profond désir le remplissait d’une joie anticipée. Car, depuis longtemps, il avait souhaité qu’une proposition de ce genre arrive, même s’il n’en avait pas conscience. La forêt avait envoyé une réponse à ses prières inavouées.
Beneto avait vécu comblé de tous les privilèges, entouré d’un luxe inimaginable, mais de telles choses ne signifiaient rien pour lui. Le destin de moine – missionnaire plutôt que politicien – lui convenait mieux. Il souhaitait entretenir la splendeur des arbres, et étendre la forêt de planète en planète. Son désir était d’aider les gens, de communier avec la forêt, de contribuer à l’esprit de l’humanité plutôt qu’à sa propre gloire.
Lorsqu’on l’avait choisi pour être le lien de transmission officiel sur Oncier, Beneto avait lu l’envie dans les yeux de Sarein. Tenir la vedette ne représentait rien pour lui, mais sa sœur considérait comme un grand honneur de se tenir au côté du Président Wenceslas et d’envoyer des messages au Vieux roi Frederick, sur Terre. Cependant, c’est lorsqu’il avait décrit aux arbres dévorés de curiosité l’incroyable expérience du Flambeau klikiss que Beneto avait éprouvé le plus de joie.
Ses parents avaient fréquemment tenté de le persuader d’accepter la fonction surpayée d’assistant diplomatique de la Hanse, ou un poste de prestige sur une de ces planètes où la forêt-monde disposait de bois florissants et de somptueux temples arborés.
Beneto ne voulait rien de tout cela. Il préférait la contemplation silencieuse.
— Que vais-je faire ? dit-il tout haut à la forêt.
Tandis qu’il priait, il reçut un flot de pensées, des milliers d’options provenant des arbres. Mais le conseil le plus émouvant fut qu’il devait se concentrer sur ses propres désirs, prendre une décision conforme à son vœu de protéger la forêt-monde, tout en restant en accord avec lui-même, avec sa condition et sa personnalité.
Beneto possédait un magnifique logement dans l’ancien récif de fongus, mais il préférait souvent s’éloigner de la colonie, descendre jusqu’au sol de la forêt, et dormir parmi les arbres. Parfois, il disparaissait pendant des jours, pour revenir ragaillardi. Les prêtres Verts savaient alors où il se trouvait. Il leur suffisait de pénétrer l’esprit de la forêt-monde, et de le regarder par les « yeux » d’un million de feuilles. Beneto ne courait aucun danger – ni sur Theroc, ni sur aucun monde abritant des arbres conscients.
Aucun monde, y compris Corvus.
Après avoir retourné les possibilités dans sa tête pendant des heures, Beneto comprit parfaitement ce que le vieux prêtre Vert Talbun et la forêt-monde voulaient de lui.
Il prit sa décision.